Après les exploits en série de Laudanum, c’est au tour de Philippe Raimond de donner des nouvelles du pays de l’électro pop déviante française, avec ce retour d’Ichliebelove, groupe tête chercheuse aux talents fragmentés, expérimentaux et poético-scientifiques peu courants.
Même label, We Are Unique!, que chez Malon avec lequel Ichliebelove partagera la scène du Petit Bain pour une release party commune le 27 novembre, mais aussi même obsession pour ce que les machines ont à dire dans une époque où le rock, selon ce qu’on raconte, n’a plus grand chose à faire valoir : Laudanum et Ichliebelove ont de nombreux points communs mais aussi de vraies différences/singularités. Philippe Raimond pousse ainsi, sur ce troisième album, encore plus loin son travail sur le son, sur les boucles et l’écriture sérielle. Le disque est compact (!), 8 titres et moins de 40 minutes, et compte son lot de morceaux qui vont chercher dans la répétition à capturer l’air du temps, cet instant de grande dépression et de doute dans lequel nous baignons. C’est le cas sur le remarquable Liquid Time, variation obsessionnelle sur la nature du temps, chanson métaphysique et intellectuelle, qui a plus à voir avec Brian Eno ou Philip Glass qu’avec le rock ou la pop.
Comme sur ses précédents disques, Ichliebelove essaie de conjuguer expérimentation musicale et travail sur le son et format chanson. La composition est serrée mais organisée de sorte à donner le sentiment que les machines, les synthés, les percussions sont laissées en liberté et peuvent s’exprimer comme bon leur semble. L’ouverture The Beginning and the End of The Anthropocene donne ainsi le sentiment de prendre son temps (ne s’agit-il pas de représenter l’essor et la fin de l’humanité en… un peu plus de six minutes) mais présente un plan ou une feuille de route quasi millimétrée avec un « interlude » chanté (l’acmé de la civilisation humaine peut-être), situé au milieu, qui va venir s’éteindre sur un final frustrant et presque brutal. Le morceau qui suit, de la viande, laisse une étrange impression de malaise comme si le texte soulevait un haut-le-cœur (l’ingestion de viande présentée comme un acte presque cannibale…puisque nous en sommes aussi) tandis que la musique suit son propre cours à travers un folklore kraftwerkien presque entraînant et festif.
Hyperherz est un disque abstrait, expérimental mais aussi joueur et résolument inscrit dans l’époque. On pense parfois aux compositions bricolo d’un Pascal Comelade, quand la technologie de pointe sonne si simple et élémentaire qu’elle paraît improvisée, organique et à la portée d’un enfant de trois ans. I Must Be Happy est remarquable et à cet égard l’un des titres les plus marquants du disque. Le chant d’Alice Champion est envoûtant et la pulsation qui mène la danse si primitive et nucléaire qu’elle nous renvoie immanquablement à une déclinaison berlinoise (pour le son glacial) d’une improvisation entre John Cale et Nico, captée durant les répétitions. Au fil du disque, les machines qui nous semblaient bavardes et presque humaines sur les premiers morceaux deviennent plus rigides, plus mécaniques, plus proches en définitive de ce qu’on attend d’elles. Elles deviennent des forces d’appoint à une créativité post-punk humaine et restaurée dans son leadership.
Alors que Raimond leur donnait l’occasion de montrer ce qu’elles savent faire en recourant à l’IA pour le clip de son single Like A Trap, les machines s’en reviennent à leur essence rythmique et prévisible sur un Had Some Good Times, métallique et krautrock. Elles bégaient sur Let The Fire Burn dont la composition est sauvée par un trait de guitare organique, avant de foncer tête baissée dans une « chanson à l’ancienne » sur le sublime Like A Trap. Alors qu’on était à deux doigts de leur abandonner la conduite des opérations, on les retrouve asservies et converties aux charmes de la voix et de la mélodie. Like A Trap peut se lire comme la manière dont la poésie reprend le contrôle de la situation et fait rentrer la technologie dans le rang et la magie du format pop. Les forces digitales sont de nouveau canalisées et dirigées, avec leur électricité baveuse et grésillante, leur capacité à servir un crescendo, dans un format conventionnel. Ce n’est pas un hasard si Hyperherz se termine par son titre le plus harmonieux et fusionnel, Blame It On The Core of Earth, qui semble sceller la réconciliation générale.
Est-ce que tout le monde a disparu ? Ou est-ce qu’au contraire, la fusion des hommes et des machines a permis de redonner une chance à chacun ? Hyperherz par sa beauté formelle et les questions qu’il pose semble pencher en faveur d’une poursuite de la vie et du cœur battant par… d’autres moyens. Il n’est même pas certain que la clé soit dans ce rapport de l’homme à la machine mais plus sûrement dans celui de l’homme à son environnement. Ichliebelove renvoie avec ce disque à la question de l’envie et de la direction des choses. Que faire et pourquoi ? La réponse est musicale, artistique, ambivalente et par nature incomplète. Les huit morceaux forment une sorte de conte cruel où s’exprime toute la dureté, la froideur du monde, mais aussi ce qui fait qu’on a envie de jouer jusqu’au bout.
Se pourrait-il que le monde soit sauvé un jour par une ligne de basse et deux accords de guitare ? Raimond n’est pas le seul à y croire… Hyperherz fait partie de ces disques qu’on pourrait sortir de leur étui quand on sera au bout du bout.
02. De la Viande
03. Liquid Time
04. I Must be Happy
05. Had Some Good Times
06. Let The Fire Burn
07. Like A Trap
08. Blame It On The Core of Earth
Lire aussi :
Ichliebelove me too
Ichliebelove / Wax & Wane
Ichliebelove fait monter (encore) la température