On n’avait pas été transporté par le premier disque de Matt Low, La Ruée vers l’or, sorti en 2021. On l’avait trouvé un peu maladroit et pas à notre goût de l’époque. Avec le recul et à la réécoute, c’était sûrement une erreur de notre part. Le disque contient en germe nombre de qualités qui font le charme et l’élégance de ce deuxième essai.
Une Vie Cool est un excellent disque de pop française, de chanson ou de variété. On ne sait pas trop ou le classer : c’est un disque assez lent, au faux rythme folk, chanté/parlé, plus poétique que véritablement littéraire, et qu’on peut considérer (sans jugement) comme archétypal de ce que peut proposer la chanson française indépendante à son meilleur. Les situations sont ancrées dans la vie quotidienne, accessibles et assez banales. C’est un disque qui parle de la vie, de l’amitié, de la famille (un peu), d’amour (pas mal), de la lumière, de toutes ces choses qui font l’existence. Il n’y a chez Matt Low aucune envie de marquer les esprits, de forcer ses mots, son chant, d’en mettre plein la vue mais on sent un grand sens de l’observation, une curiosité pour l’autre et le monde alentours qui font du bien et rendent l’entreprise sympathique et chaleureuse. La forme est soyeuse, rassurante et plutôt confortable à l’image d’un Drôle de Ciel, chanson dont, paradoxalement pour une chanson française, on n’identifie pas bien le thème principal mais qui, par ses arrangements, l’assurance et le calme qui se dégagent de la voix, procure du plaisir et une forme de réconfort.
Pour ceux qui ne le connaîtraient pas, Matt Low est un musicien de Clermont-Ferrand qui fait partie, notamment, du Delano Orchestra. Il a joué et collaboré avec Elysian Fields, avec Garciaphone. Ce n’est techniquement pas un perdreau de l’année. Une Vie Cool est un album techniquement irréprochable, soutenu par un jeu de guitares impeccables et des arrangements qui ne sont pas si éloignés de certains travaux de Jean-Louis Murat, que Matt Low a côtoyé autour du projet Babel. Il y a du clavier, des tas de choses (on adore Cocktail Molotov et sa prise d’espace après 1’30), qui fortifient les chansons et leur donnent une belle texture folk, une résonance authentique et sophistiquée, mais aussi une force brute qu’on rencontrait chez l’Auvergnat disparu. Mais c’est à peu près tout ce qu’on pourra trouver de commun entre Murat et Matt Low. La langue du second est simplissime et vernaculaire quand celle de Murat recherchait plus souvent les effets spéciaux. Cela ne signifie pas qu’elle est plus pauvre et moins intéressante mais que son fonctionnement repose sur d’autres ressorts. On pourra lui reprocher parfois sa banalité mais celle-ci lui va assez bien. Elle inspire, elle respire le réel, le bout de canapé qu’on partage, les soirées entre amis, les approches amoureuses.
Le titre Une Vie Cool est chanté à deux voix. On dirait du Jean Bart, du Louis Philippe, ce genre de miniatures qu’on écoutait dans les années 90 et qui renvoyaient à un certain goût du détail, à l’amour des « petits riens », à l’art de vivre à la française et à une superficialité intellectualisée. Il y a plus d’esprit et de fantaisie chez Jérôme Minière, plus de lyrisme et de poésie chez Dominique A, plus d’amplitude aussi, plus de mauvais esprit chez Miossec, plus d’envie chez… Superflu, plus d’amertume et d’intelligence chez Erik Arnaud, mais Matt Low a sa place parmi ces types là, qui ont (si l’on ne se trompe pas) à peu près le même âge que lui. Il faut écrire une chanson aussi soignée, belle et élégante que Cri du Sang : c’est de la poésie brute, une belle prise caressante et émouvante, du travail d’orfèvre qui rend triste et courageux à la fois. Il se dégage de l’interprétation de Matt Low une langueur rurale, une sorte de conviction americana qui le rapproche plus du folk US que du folk anglais (plus attentif à la nature qu’aux émotions), une vraie habileté à mélanger la description des états d’âme et d’un « arrière-plan » un peu indéfini mais qui défile comme on regarde le paysage depuis la fenêtre d’un train.
« A quel démon tiens-tu tête ? Tu livres bataille, dans ta maison sans fenêtres. Pluie et nuages. Laisse faire le soleil. Laisse le t’emporter. Laisse le temps porter (?). » chante-t-il sur Laisse Faire le Soleil, l’une des plus belles chansons du disque. Le ton est un peu triste mais le message est porteur d’espoir, le propos plein de lumière. Voilà exactement ce qu’on vient chercher ici : la chaleur de cette belle voix amicale, la guitare de boy-scout qui renvoie aux veillées au coin du feu, à l’amitié, aux rapports de proximité. Cocktail Molotov est tout simplement magnifique, ambitieuse et inspirante. Les images sont fières et portent bien. Elles sont justes et contribuent à un crescendo émotionnel qui est formidablement construit. On adore traîner avec Matt Low, l’écouter nous raconter ses histoires qu’on comprend à demi. « Ta vie sera comme un arc-en-ciel. », entame-t-il Loupilou. Et pourquoi pas ? Pourquoi pas ? On peut laisser nos propres pensées, nos propres rêves s’infiltrer entre les ponts musicaux, juste fermer les yeux et presque aller vers autre chose. Cette musique permet la divagation et la dérivation. C’est un de ses pouvoirs spéciaux : la vision de l’artiste n’est jamais écrasante, elle ne s’impose jamais totalement à ce qui est en nous. Elle laisse de la place à l’imagination. Les dingues est joueur et presque primesautier. C’est une chanson qui pose des questions et qui renvoie à cette idée que la pop est juste là pour amuser et suggérer. L’approche de Matt Low n’est pas si fréquente dans le champ français où les artistes ont souvent pour objectif d’imposer leur personnalité et de « construire un univers typé ». Chez Low, l’auditeur est invité à la table du chanteur. Il reçoit les chansons comme autant de bienvenus, de perches tendues pour un dialogue invisible. C’est ce qui fait le caractère précieux de cette musique, en plus de tout le reste. Ce qui fait qu’on y reviendra sûrement mois après mois, avec délice.