2032 reprend les chose où Gontard les avait laissées en 2019 avec son disque intitulé 2029. Dix ans en avant, c’est à peu près la devise de ces disques d’anticipation sociale ou d’uchronie (comme on voudra) qui développent un récit suivi et critique sur le futur de la provinciale cité de Gontard-sur-Misère et plus généralement et ici en particulier, de notre joyeux pays occidental.
Le formidable accueil réservé (notamment chez nous) à Akene, la dernière réalisation du chanteur, a incité certainement Gontard à changer de braquet et à voir, avec 2032, beaucoup loin et plus vaste, transformant la poésie sociale qui faisait le charme de 2029 en une ambitieuse odyssée sociale et critique… intergalactique. A l’échelle de la chanson française, on doit avouer que le pari est osé et méritait d’être tenté. Le « récit » (puisqu’il s’agit bien de ça) démarre à l’aube de l’année 2032 dans une France abîmée par la surtechnologie, le contrôle social (sexuel et culturel) et le libéralisme porté par la classe dominante. Toute ressemblance avec l’actualité ne serait pas fortuite : Gontard n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ouvre et nous ouvre les yeux. Son engagement est impeccable et ses intuitions/intentions toujours inspirées et précieuses. Les premiers titres sont incisifs et sans concessions, décrivant avec minutie et imagination une France devenue invivable mais au sein de laquelle s’organise peu à peu une résistance subversive et qui défend la culture à l’ancienne. Ce qui restera de nous est magnifique, ample et martiale, émouvante dans un final qui réduit l’humanité sensible à de gigantesques séances de karaoké. La Bande à Guetno lui embraye le pas, phagocytant avec un peu moins de force l’enveloppe de l’excellente bande à Guetno introduite sur le précédent disque. On aurait aimé ici que Gontard reprenne ses personnages de loubards 3.0 qui nous rappelaient les petites frappes de Renaud mais il ne va pas au bout de son traitement. 2032 enchaîne les exposés narratifs (le moins convaincant La Nuit disparue) et les morceaux de bravoure héroïques ou sentimentaux à l’image de la splendide Juste Quelques Flocons Qui Tombent, l’une des plus belles chansons du disque, qui nous plonge dans une mélancolie profonde et convoque des images superbes, ou encore de la soyeuse balade Expérience en Cours qui va servir de transition habile vers… le départ de la Terre.
Car à partir de la chanson n°6, Gontard accélère le pas et envoie son couple de héros dans l’espace à la recherche d’un monde meilleur. La Terre doit être abandonnée pour que l’humanité retrouve ses valeurs. Allonsanfan expédie un peu vite l’appel des étoiles et y ajoute, de manière un peu trop brutale, le détour par une colonie du Nord qui serait le dernier espoir d’une liberté déjà mise à mal sur le nouveau satellite. Si la science-fiction nous est familière, l’album-concept progresse un peu trop vite et s’emmêle parfois les fils narratifs. Heureusement pour nous, les chansons prennent le pas et résonnent une à une comme des vignettes quasi magiques. Seul le croque-mort a pleuré est excellente, rythmée et presque entraînante portée par un synthé/orgue rieur, plein de vie et d’énergie, elle célèbre le départ héroïque vers le farwest galactique en mêlant musique populaire et électro. L’espoir renaît sur le magnifique Bienvenue qui décrit la nouvelle société avec enthousiasme avec une simple rythmique répétée. Les arrangements renvoient de la détermination et reflètent la force du destin. Les compositions sont solides et nettes. La fantaisie suit son cours avec le virtuose Krishna 2032 marqué par une ligne de basse structurante, des chœurs et une puissance d’évocation digne des grands récits romanesques. On rit, on baise, on pleure, prêts à explorer avec Gontard la nouvelle civilisation.
Malheureusement (SPOILER), l’expérience tourne vite court amenant Gontard à sonner bien trop vite le retour sur terre (Socrate). Les chansons sont toujours aussi belles mais on ressent une petite frustration d’avoir visé si haut pour ne pas avoir plus exploité notre voyage. Ce séjour trop bref sur la Lune est le seul regret qu’on éprouve à l’écoute de ce disque majeur qui s’achève à hauteur d’homme par un final déchirant et qui, sur De retour à Gontard sur misère, atteint un nouveau sommet d’écriture. On frôle ici la perfection sur un titre émouvant et épique, désespéré et grandiose, sublimé une fois encore par des percussions extraordinaires de précision. Sur sept minutes et quelques, Gontard dessine un mouvement ample et surhumain qui s’achève dans un crescendo seventies, psychédélique et sonique. Comme si cela ne suffisait pas, Reset referme le couvercle avec autorité et talent.
2032 est un disque épatant, sensible et humain, engagé et qui réussit à la fois à s’imposer comme l’un des meilleurs disques français de l’année mais aussi comme l’un des plus beaux et pertinents récits du moment. A quelques encâblures du Baltimore de Fuzati, qui posait un regard sec et sombre sur l’époque, Gontard nous regarde avec l’oeil mouillé, le poing tendu et le coeur sur la main. La seule faiblesse du disque est de ne pas compter 4 ou 5 chansons de plus qui auraient permis d’allonger l’utopie galactique ou de ne pas être allé taquiner jusqu’au bout la forme si peu française de la comédie musicale