Christophe / Christophe Etc
[Capitol Music France]

6.9 Note de l'auteur
6.9

Christophe etcIl arrive que le commerce ait des idées. On imagine bien qu’au vue de la mode des albums de duos et de reprises, une huile de chez Capitol aura proposé à Christophe, le chanteur de 73 ans, de reprendre avec quelques jeunes talents du moment ses propres tubes. Budget conséquent & carte blanche : c’était parti pour un album cash-in pour celui qui ne fait jamais rien comme les autres. Christophe a apporté, pour son quatorzième album, un traitement original à cette commande : relecture parfois radicale des chansons, casting transgénérationnel et recours sans gêne à l’autotune. Vous avez voulu de la modernité ? Vous en aurez pour votre argent. Le pire, c’est que ça marche plutôt pas mal, voire superbement sur certains titres.

On croit s’étouffer à l’entame avec le traitement surfiltré des voix sur Succès Fou. Christophe abandonne le lead au rappeur Nusky avant de revenir en force sur le refrain. C’est une belle hérésie et en même temps une version assez époustouflante qui mêle nostalgie, modernité et un souffle romantique remarquable. Le son est rénové de la cave au grenier et se pare, malgré la longueur du titre, d’un attrait synthétique nouveau. Il fallait oser. L’audace est aussi de mise sur une version atrophiée de Senorita interprétée avec Sébastien Tellier. Le caractère enjoué de la chanson est abandonné au profit d’une version attristée et mélancolique. Les arrangements sont soignés et les voix se mêlent à merveille. La sobriété de Tellier fait penser au jeune Gainsbourg. Christophe enchaîne avec un autre petit inconnu en embauchant Étienne Daho sur Petit gars. L’impression laissée par la relecture est très différente de l’originale, presque crépusculaire mais vibrante et accompagnée par une pulsation électronique magnifique. « Malgré deux hommes morts pendus sur le mur d’en face, criant love, love, love, je joue de l’harmonica assis sur la place. Je crie love, love, love. » L’amour qui ne dit pas son nom y gagne un nouvel hymne sublime.

A d’autres moments, cela fonctionne moins bien. La voix de Camille sur Petite Fille du Soleil est difficile à supporter et change les quatre minutes du morceau en un long calvaire. La Man avec Yasmine Hamdan est trop solennelle et ralentie pour produire autre chose qu’un sentiment diffus d’ennui et de lassitude. C’est un demi-raté seulement car la chanteuse y est excellente, ramenant à chacune de ses interventions le titre dans le domaine d’une variété luxueuse et infiniment séduisante. Les mots bleus sont traités d’une façon bien plus radicale. La voix de Christophe, usée et abîmée par le temps, est poussée très en avant et simplement encapsulée dans une rythmique-écrin sourde et métallique. L’effet est somptueusement relevé par les reprises d’arrière-plan de Son Lux. Ceux qui révèrent la version originale passeront leur chemin mais la chanson est intacte, ramenée à son essence de défi insensé et de reconquête. Christophe Etc, à l’image de son précédent album, témoigne à quel point Christophe est resté pertinent en matière de productions et de maniement des sonorités électro. L’album sur ce point est un bonheur et réellement impressionnant.

J’lai pas touchée est le plus beau morceau du disque. Vaguement rnb et électro avec l’apport de la chanteuse Chrysta Bell, on se retrouve face à un OVNI vulgaire et atemporel qu’on réécoutera mille ans. Eddy Mitchell apporte sa touche « dernière séance » à Parfum d’Histoires mais écrase le morceau par sa personnalité. On n’entend que lui et cela ne mène nulle part. Raphael se fait manger tout cru par le phénix de ses bois sur Un Peu Menteur. On se dit que Christophe aurait mieux fait d’y aller tout seul parfois et qu’il gagne aussi à être écouté sans compagnie. Sa voix est désormais d’une texture si fragile et en même temps si envoûtante que chacune de ses saillies fait mouche. Christophe Etc vaut surtout pour cette mise en relief de son immense pouvoir et de son personnage de dandy expérimental. L’homme peut tout se permettre et même d’embaucher les vieux punks de Panik LTDC pour un faux duo qu’on aurait aussi bien vu avec le cadavre rôti de Johnny. Coeur défiguré est un plaisir coupable que Christophe domine haut la main. Il n’y a plus de concurrence, même pas de faire-valoir. L’album porte bien son titre. Christophe etc. Ce n’est pas manquer de respect à ses compagnons de route éphémères que de dire qu’ils sont moins forts que lui et bien servis par ses tubes. Christophe est un ogre. Ce disque lui fera l’apéritif guère plus. Nous sommes tous des zombies au cœur tendre.

Pour une fois, on écoutera le disque comme les jeunes d’aujourd’hui, en sautant les plages qui nous ennuient et en se contentant des titres qui nous bottent. Et ce sera bien ainsi/assez.

Tracklist
01. Succès fou feat. Nusky & Vaati
02. Petite fille du soleil feat Camille
03. Senorita feat. Sébastien Tellier
04. Petit gars feat Etienne Daho
05. La Man feat Yasmine Hamdan
06. Les mots bleus feat Son Lux
07. J’lai pas touchée feat. Chrysta Bell
08. Parfum d’histoires feat. Eddy Mitchell
09. Un Peu menteur feat Raphael
10. Cœur défiguré feat Panik LTDC
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