Il est parfois nécessaire de trouver un déclencheur pour évoquer un disque, choper le bon angle, dénicher le bon point de vue. Après avoir tourné des semaines entières autour d’Apocalypso, le second album de Calypso Valois, après l’avoir écouté cent fois sans aucune pression, juste par pur plaisir parce qu’il n’y a rien de pire que d’écrire sous la contrainte, l’angle s’est ouvert, funeste. Le départ de Françoise Hardy, associé à quelques écoutes nostalgiques et une couverture médiatique autant méritée qu’un peu inattendue a, soudainement jeté un pont dont on avait commencé à dresser les piles il y a quelques semaines à l’évocation du nouveau disque de Cléa Vincent. Bien évidemment, les temps ont changé et même les têtes de gondoles que peuvent être Clara Luciani ou Juliette Armanet ne pèsent dorénavant pas bien lourd face aux armadas rap et R’n’B qui envahissement les plateformes de streaming comme jadis les yéyés inondaient de leurs singles doucereux les ondes des radios périphériques et les playlists des surprises-parties au son des inoubliables des tourne-disques Teppaz. Mais quoiqu’il en soit, les femmes pop sont bel et bien toujours là.
Elles l’ont toujours été, mais force est de constater que la génération actuelle ne cesse de nous offrir de jolis moments dont les dénominateurs communs avec leurs ainées s’affirment au grand jour. Entre Calypso et la grande Françoise, Etienne Daho, parrain artistique et à la ville aussi dit-on de la première, soutien inconditionnel de la seconde jusqu’à ses derniers jours est un évident lien qui prend aujourd’hui toute son évidence. Il est celui qui mit il y a quelques années le pied à l’étrier de celle qui ne voulait pas spécialement chanter sur un duo en hommage à Jacno avec la reprise d’Amoureux Solitaire de Lio, comme il fut celui qui offrit à Françoise Hardy avec Et Si Je M’En Vais Avant Toi les faveurs d’un plus jeune public, enfants de leurs parents yéyés et qui contribua à en faire l’icône transgénérationnelle qu’elle était devenue. Si Daho n’est pas physiquement présent sur Apocalyso, ses habituels lieutenants François Poggio et Marcello Giuliani se chargent de le représenter et font peser avec le producteur Yan Wagner une atmosphère qui, indéniablement des Chansons De L’Innocence Retrouvée à Tirer La Nuit Sur Les Etoiles en passant même par l’excellent Rest de Charlotte Gainsbourg, intronise Calypso Valois dans cette grande famille dont il est la véritable figure tutélaire.
On prend donc les mêmes et on recommence. Sept ans après Cannibale, premier album remarqué par sa fraicheur et une certaine audace, la suite que lui donne Calypso Valois en sonnant cette fois le tocsin de l’Apocalypso n’apporte pas de réel bouleversement à l’univers qu’elle se façonne. Si elle a de toute évidence été bien élevée, c’est avant tout en tant qu’artiste accomplie qu’elle se présente et pas seulement en tant que fille de. Compositrice mais aussi autrice, musicienne évidemment, elle n’a aucune peine à s’insérer dans cette belle famille artistique pour s’y faire une place de choix tant l’album est efficace, impressionnant de maturité pour un second disque, porté par des mélodies impeccables et des textes mutins qui donnent au disque une coloration érotico-chic renforcée par les vidéos très 70’s des incontournables singles. Enfin, singles, singles… il est bien loin le temps où l’on sortait des 45 tours à tours de bras. Tenez, rien que pour l’année 1963, Françoise Hardy en a sorti 30 ! Un exercice d’autant moins utile ici que l’album, concis et particulièrement homogène s’écoute d’une traite.
Chaque titre est à sa place et l’histoire que raconte Apocalypso n’a rien des bluettes d’antan et s’éloigne même, quand on y prête attention, des apparences frivoles. S’il est bien question d’amour, c’est du début à la fin du plus cru et du plus vache qu’il s’agit. Celui des relations toxiques, brutales même, où il est autant question de coups de reins que de coups bas, de nuits d’amour agitées avec même quelques bleus au réveil, direction l’enfer à un train d’enfer. A l’époque #metoo où se recomposent les relations amoureuses avec parfois beaucoup de complexité et d’interrogations, Calypso Valois interroge la place de la femme qui se laisse aller à l’abandon tout en tenant à garder le contrôle, sans détour quand il est question de sang ou de foutre, mais avec nettement plus de subtilité qu’une certaine frange girl power actuelle qui considère l’outrance comme le meilleur moyen de faire passer son message. Calypso Valois, chanteuse, est comme ses personnages, parfois forte et sans concession, assumant sans peine sa présence sur le devant de la scène d’une superbe voix affirmée et puis quand les masques tombent, quand s’entrouvre La Brêche, comme chez la plupart des femmes de la galaxie Daho d’ailleurs, on la découvre plus fragile et sur le fil, à la recherche de l’Homo Eroticus tout en étant à deux pas de flancher dans le Ravin.
Mais ces quelques titres plus calmes, comme en suspension, ne sont que des respirations salutaires dans un album de pop absolument irrésistible où, avec sa chic équipe de choc, elle se fend d’une production ample et soignée qui se donne tour à tour des airs disco ou funky avec ses refrains aériens, ses pianos glamours et surtout une rythmique souvent dantesque. A plusieurs reprises, on y revient, plane sur les chansons le désormais spectre de la Françoise Hardy des années 80, celle que l’on avait du mal à prendre au sérieux en pleine période new wave avec son Tamalou d’apparence trop rigolote pour être sérieuse puis qui regagnait d’un coup un incommensurable crédit avec le seul refrain XXL de VIP. Après avoir dansé avec elle, toute l’ampleur de la production de Yan Wagner prend corps sur l’irrésistible Ta Gueule aux accents gainsbouriens (la fille), un Douce Bouche que l’on aurait bien vu dans une mise en scène caribéenne chez les Carpentier ou un N’Oublie Pas dont on n’est pas près d’oublier le refrain ultra accrocheur. Apocalype Now, avec ses guitares étincelantes et ses synthétiseurs en liberté divague sur la piste avant le grand décollage final qui prend la forme du plus léger A La Française et son ultime emballement, court mais absolument captivant, quand les guitares de François Poggio se mettent à sonner comme chez le parrain, celui de Blitz notamment.
Calypso Valois n’est pas la nouvelle Françoise Hardy ; pas de ça ici. Mais plus encore que sur l’inaugural Cannibale, Apocalypso l’intronise dans cette grande lignée d’une certaine pop française, faite d’héritages, de transmissions, de parrainages et de rencontres opportunes. Ça aide d’être bien née diront certains ; peu importe en réalité car on le sait, tout n’est pas question que de génétique et le talent doit aussi se cultiver, patiemment. La musicienne l’a bien compris et semble bien mener sa barque où bon lui semble, sans trop d’obligations ou de contraintes. Si ce second album ne devrait pas la conduire à un succès démesuré, il n’en demeure pas moins l’œuvre sincère d’une femme qui ne cherche qu’à se faire plaisir et se construire un univers à la fois original et référencé. La prophétie attendra, Calypso Valois n’a pas fini de nous enchanter.
02. Douche Bouche
03. Ravin
04. Ta Gueule
05. Bonheur Dans Le Crime
06. N’oublie Pas
07. Homo Eroticus
08. Apocalypse Now
09. La Brèche
10. A La Française
Crédit Photo: Calypso Valois à St Brieuc, Art Rock 2024 par Bruno Elisabeth.