Note au lecteur – attention chronique verbeuse et autocentrée mais pas Gonzo.
La critique est aisée mais l’art est difficile et souvent plus subtile qu’un jugement à l’emporte-pièce ne le décrète.
Double ration de plaisir intense avec deux artistes, à mon goût, trop souvent décriés pour l’un ou méconnus pour leur talent pour l’autre voire la réciproque : Mickey 3D et Gablé.
Déjà entendu à leur sujet, comme au sujet de nombreux autres, en mode shuffle : trop simpliste et trop connu pour le premier, et trop simpliste et pas assez grand public pour le second. La bonne blague.
Il est tellement facile de juger ces deux artistes sans chercher à gratter sous le vernis ou le crépis, selon. A la première écoute d’un album de Gablé on pourra(it) s’arrêter à leur savoureux style foutraque et se dire qu’ils sont juste de vagues cousins copistes d’un Ween franchouillard et que la ménagère de 50 ans n’imprimera pas. Qu’on se rassure, d’autres plus jeunes ou moins vieux ont déjà raté plusieurs passages au stand des Caennais.
« La faute à qui? » À ceux qui choisissent à la place du public la facilité l’écoute confortable de titres linéaires et aseptisés sortis de chaînes de production(s) à la papa et qui pourraient un tant soit peu faire confiance à l’auditeur.
S’agissant de Mickey 3D, l’auditeur inaverti, guidé par un simplisme benêt, pourrait tacler derechef et arguer -par exemple- que La Rose blanche qu’une pâle resucée de Respire, hymne auto-journalistiquement-proclamé comme écologiste… C’est le problème quand on juge un livre à sa couverture, une chanson à son clip, sans pour autant prendre la peine de se pencher sur les mots que l’auteur aura utilisé… La perspective serait donc toute autre si ce même auditeur se posait la question, ne serait-que le temps d’une inspiration bienvenue, de savoir à quoi fait référence cette chanson, typiquement légère, comme sait les écrire Michael Furnon, mais à double plafond, que les bas du front auront tôt fait de pendre en pleine poire. Sous les atours de la légèreté musicale folk, ‘Mickey‘ est bien l’un des seuls auteurs actuels à être capable de décocher tout un florilège de tableaux vivaces de la dure existence de tout un chacun, en la fardant de traits doux amers sympathiquement dérisoires.
Lorsqu’il appelle à ce que chacun « rallonger (ses) rêves », il met au défi de se rappeler comment chacun imagin(e/ait) sa quarantaine, sa cinquantaine… face à tous ces rêves d’Amérique qui s’arrêt(e/ro)nt au périphérique.
Le croquis jadis en noir et blanc d’un Grand Jacques mal habile (Mistigri torture) prend aujourd’hui plus de couleurs avec une image qui a fait le tour de la France, celle d’un président en mal de popularité, retranché derrière ses lunettes, sous la pluie. Près de vingt ans plus tard, l’oeil et le verbe restent aussi jouissivement désabusés comme sur Sebolavy, En léger différé ou Liberté, égalité, fragilité.
Son aisance pour la composition pop, déjà maîtrisée à l’époque de 3DK, même si à l’époque son écriture était au service de la voix d’Ana, avec cette coloration new wave que l’on retrouve toujours régulièrement en filigrane de ses titres. Cette puissance de composition indy pur jus reste intacte quand il s’agit de décocher quelques breaks couplets/refrains soulevés par un riff hélicoptère entêtant (Aurelia) ou quelques mélodies dandy electropop 80’s brodée de frises multicouches funk (Le dernier des cinglés) ou new wave justement (Des fleurs dans les cheveux). Et comment ne pas tomber sous le charme de cette (contre) plongée enfantine chronique lorsqu’il s’agit d’exorciser les démons de l’amour de 7 à 77 ans (Sylvie, Jacques et les autres)
Un thème que ne renierait pas Gablé. Derrière une pochette qui tendrait le bâton pour se faire battre, le talent du trio de dreamers sans batteur est toujours aussi flagrant et déflagrateur. Écoutez pour voir de SK Hippie jusqu’à Rocking Skeleton sur seminéoproantiantiantifolk ! Leur savoir-faire ne date pas de la dernière pluie et réside à n’en pas douter dans ces structures raffinées et piquantes, sortes de frêles échafaudages de bambous qui laissent craindre le pire, mais qui démontrent une ingéniosité et une flexibilité à tout épreuve. Ici la naïveté tranchante de l’enfant est rehaussée d’assemblages cartoonesques. Magic Gift vous décrit un tour de magie de cartes comme les pratiquent les Garcimore en herbe… en demandant d’en choisir une autre.
Dans la même sphère, avec Tropicool, les trois petites canailles cultivent l’homérique idée de se baigner dans un étang rempli de requins en habit de poulet, sorte de gloubibouga sonore assaisonné de chants et contrechants rehaussés d’une flûte mutine, avec en toile de fond cette énorme rythmique déambulatoire si caractéristique de Gablé. Cette rafraîchissante salade de vas-y-que-je-te-vide-le-frigo fonctionne à plein pour tout auditeur un tant soit peu attentif mais surtout curieux voire gourmand de mélanges et de références maniées à la baguette, évitant la maladresse du surjoué et de la copie carbone. Surdoué Gablé, certainement donc. How long renvoie autant à la guitare pop caraïbéenne empruntée par tant de groupes anglo-saxons depuis quelques années, qu’ils soient d’Oxford ou de New York, qu’à la déviance punk voire métal de chevelus moustachus et/ou tatoués. Les textes restent eux saperlipopettement ancrés dans le foutraque. N’oublions pas de souligner et saluer cette délicieuse habitude de construire leurs disques comme un rollercoaster dans un décor digne d’un train fantôme tiré d’un épisode de South Park. Déjà à l’époque de seminéoproantiantiantifolk, ils enchaînaient (ou presque) leurs 22 titres, certains de 25 secondes, les autres n’atteignant même pas les 2’30. Ils cultivent ainsi pour notre plus grand plaisir cette forme de composition qui sait ne pas se perdre dans d’inutiles circonvolutions dès lors que la chanson a dit ce qu’elle avait à dire. Voilà une forme de respect de l’auditeur face à la tentation du formatage/remplissage de 3’30 qui laisse une prime à la spontanéité rafraîchissante. Dans un état d’esprit similaire, Mickey 3D fait nénamoins toujours plus long, prenant le temps de jouer avec ses mots, sa musique et la nostalgie, laissant prendre tout leur essor à ses comptines, qu’elles séduisent ou pas, à tord, l’auditeur mal dégauchi. Et comme il le dit, quelque part entre optimisme et utopie : ‘Les idiots ne l’emportent jamais mais le ciel a tout filmé‘.