En 2020, Blur fêtait (ou pas) les 25 ans de The Great Escape

Blur - the Great EscapeEn trois années consécutives (93, 94, 95), Blur, qui a mal digéré l’échec artistique et commercial de son premier album (l’inégal Leisure), entend clairement redorer un blason terni par trop d’indécisions musicales et une fausse attitude de branleurs alcoolisés. D’où, chose alors rare dans la pop anglaise, trois disques littéralement composés puis enregistrés l’un à la suite de l’autre – tous produits par Stephen Street. Trois disques considérés comme la trilogie londonienne du quatuor (ou « Trilogie de la vie »), ainsi que les débuts (Modern Life Is Rubbish), l’apothéose (Parklife) puis la petite mort (The Great Escape) du mouvement Britpop. Car effectivement : comme dans la plupart des trilogies, le dernier volet est souvent le moins bon…

À sa sortie, The Great Escape affole pourtant la presse anglaise (le Melody Maker lui accorde une note ahurissante de 12 sur 10 !) et française (couve Magic !, débats pour ou contre dans Les Inrocks). Mais surtout, l’album, en ce mois de septembre 95, entre directement à la première place des charts britanniques et s’offre une petite percée dans le Billboard américain (ce qui n’était pas le cas des précédents Blur).

Boosté par la guéguerre opposant Damon Albarn et Alex James aux frères Gallagher, The Great Escape n’est assurément pas écouté avec toute la distance rationnelle que supposerait un événement aussi commun que la sortie d’un disque (fut-il très attendu et écrit par des surdoués). En France, où le clash Blur / Oasis fait gentiment sourire, le débat autour de The Great Escape ne se veut heureusement pas idéologique, encore moins patriotique, mais banalement, simplement musical.

En même temps, ce quatrième Blur est la suite d’un chef-d’œuvre monstrueusement populaire et générationnel : Parklife et son tube discoïde “Girls & Boys” imposèrent, un an auparavant, la troupe de Colchester parmi les formations anglaises les plus érudites et originales (Bowie + Kinks + The Smiths + XTC dans une seule marmite). Sans parler du matraquage entourant la sortie du single “Country House”, dont la mélodie (trop) rusée devint, malgré nous, l’hymne à chantonner en ce début d’été 95.

À la première écoute, The Great Escape est le disque que nous attendions de Blur : refrains imparables, tubes en puissance, saillies punk, morceaux anthologiques (“The Universal”, nouveau sommet)… Pourtant, deux points laissent entrevoir un certain malaise : d’une part, le disque est long, très long, jusqu’à donner, lors des écoutes suivantes, une sensation de gigantisme exagéré (voire boursouflé) ; puis, en guise d’avertissement, un requin s’apprête à dévorer les baigneurs trop clean, trop insouciants de la pochette. Cette dernière, en 95, laissait sous-entendre que Blur, au top de sa gloire, craignait un retour de bâton médiatique, un soudain revers de médaille. Or, en réécoutant The Great Escape au fil des années, il semblait évident que ce requin ne symbolisait ni le NME ni le public teenager, mais Blur lui-même : à trop vouloir plaire, à ne plus suivre son instinct musical, la formation signifiait que compromis et concessions pourraient lui faire la peau.

Car The Great Escape, en 2020, apparaît comme le seul album de Blur au service du savoir-faire et de la recette miracle. L’ingéniosité supplante le cœur : Damon Albarn y écrit des textes maussades fustigeant le mode de vie londonien, mais telle une récusée du précédent Parklife ; Alex James et Dave Rowntree exécutent le job avec une perfection trop visible ; surtout, Graham Coxon n’est dorénavant guère en phase avec les jolies mélodies kinksiennes, il s’emmerde et rêve de laisser hurler ses guitares… Paradoxe The Great Escape : le disque de Blur ayant fait couler le plus d’encre, à son corps défendant responsable de l’accession au pouvoir de Tony Blair, est aussi celui qui ne résiste pas à l’épreuve du temps, c’est celui qui ne se réécoute que de façon éparse (outre “The Universal”, citons le magnifique “Yuko And Hiro” ou un “Entertain Me” qui permet enfin à Coxon de lâcher la bride).

Albarn, dès le Blur suivant (l’éponyme Blur, dont les accents bowiens berlinois ont font, depuis toujours, un autre « classique absolu » du groupe), n’hésitait guère à cracher sur “Country House” et plus généralement sur l’intégralité de The Great Escape. Damon exagère un peu : s’il est certes difficile de réécouter le tube emphatique de ce quatrième album, et si The Great Escape correspond dorénavant à une œuvre ambitieuse mais redondante d’un grand groupe irréprochable, le disque possède le mérite d’avoir marqué une époque, créé du débat, enflammé les rédactions journalistiques comme les cours de lycées – ce genre de querelles musicales, à la vie à la mort, renvoie à une époque lointaine où nous osions renier un ami car il formulait un avis négatif sur une œuvre que nous chérissions.

Si Blur, suite à The Great Escape, prit un certain hédonisme à n’en faire qu’à sa tête, et si Graham Coxon, durant sa très sincère carrière solo, revint à ses fondamentaux (Françoise Hardy rencontre Pavement, pour aller vite), Damon Albarn tenta de corriger l’inclinaison british d’un disque qu’il savait inabouti : en solo (Everyday Robots) ou en compagnie de The Good, The Bad and the Queen, le musicien proposait une vision de l’Angleterre loin des fanfaronnades multicolores de “Country House”, comme un mea culpa réaliste, une façon pour lui de toujours chanter son pays non plus en tant que star mais à la manière d’un citoyen ordinaire.

The Great Escape n’est donc pas un grand Blur mais détient en revanche un privilège extramusical : avoir représenté l’Angleterre victorieuse, fière et un brin centriste d’alors. Un document précieux pour ce qu’il nous raconte aujourd’hui de cette étrange première moitié des années 90 U.K.

The Great Escape en intégralité

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[L’Album Idéal #7] – Blur / England Made Me

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