Miossec / Mammifères
[Columbia / Sony]

7 Note de l'auteur
7

Miossec MammifèresIl arrive parfois qu’on se détourne, pour quelques années et quelques albums, des chanteurs et des groupes dont l’identité est si marquée qu’elle ne nous surprend plus. Cela faisait ainsi quelques années, et même si on l’avait encore apprécié en concert à quelques reprises, qu’on ne prenait plus le même plaisir à écouter les albums de Miossec. Ces périodes sont intéressantes quand elles prennent fin et permettent alors de retomber amoureux d’artistes qu’on avait fini par laisser dans un coin de notre nostalgie et par ne plus écouter correctement. C’est exactement ce qui se passe avec ce Mammifères de la redécouverte. On peut considérer (comme toujours dans le storytelling médiatique) que ce dixième album marque un jalon important dans la carrière de Miossec qui : 1) a rejoint Columbia/Sony après avoir fait toute sa carrière chez Pias ; 2) a quitté Brest pour Paris ; 3) s’est entouré d’un trio violon/guitare/accordéon qualifié de formation légère et qui donne à son groupe des allures de cantine de campagne. Ou juste qu’on y est revenu. Changement donc, si l’on continue d’y croire, puisque par principe un album de Miossec reste un album de Miossec, avec surtout Miossec dessus, les paroles de Miossec et la voix de Miossec (ou ce qu’il en reste).

Mammifères fait un bien fou. La formule trio n’y est pas pour rien. Une fois digérée qu’on n’aura pas ici notre compte d’électricité et de batterie (on a toujours regretté de ne pas retrouver sur disque Miossec en formation punk), on peut s’en remettre à Mirabelle Gilis, Leander Lyons et Johann Riche, pour constituer autour du chanteur un écrin idéal à son expression. La musique évolue entre la variété, le vieux baloche, le rock musette ou le jazz de coin de rue, c’est à la fois simplissime et d’une belle efficacité pour ce que Miossec a à dire. Mammifères est en effet un disque chaleureux et profondément humain, le disque d’un homme qui se rassemble après les épreuves et redécouvre la sociabilité et l’envie de se livrer. La musique trahit cette volonté de simplicité mais le fait toujours avec une belle intelligence et une certaine sophistication. Entendre par là qu’il n’y a rien ici de rétro-chic ou de faussement reconstruit pour sonner « populaire ». On pense parfois aux réussites de Yann Tiersen et à la justesse de ses compositions. Sur le splendide La Nuit Est Bleue, adaptée du Thrill Is Gone de Chet Baker, l’accompagnement est minimaliste et donne un effet de profondeur spectaculaire au chant. On a connu des chansons plus enlevées et des mélodies plus enthousiasmantes mais l’ensemble semble bâti pour mettre en relief le texte et la parole du chanteur, ce qui n’est pas pour nous déplaire.

Miossec ne court pas spécialement après les années 60 et les bords de Marne, mais, comme il l’a démontré lors d’une série de concerts l’an dernier dans des lieux insolites, cherche à s’aérer après des années de tournées dans les mêmes salles. C’est l’esprit de cet album qui paradoxalement et, promo oblige, aura droit à sa tournée traditionnelle. Mammifères nous confronte à Miossec sur chaque syllabe. Sa voix est abîmée mais n’a jamais sonné aussi juste et pénétrante. La chanson On Y Va a l’intensité volontariste de ses débuts. « On n’a pas fait comme on a dit/ On a changé/ On a vieilli », chante-t-il, alors que le refrain répète : « On va quand même tenter le coup/ On va quand même tenter l’exploit. » L’illusion d’entendre une chute de studio essorée de Boire nous a traversé l’esprit et on en fait naturellement, en vieux con intégral, notre morceau préféré. Mais c’est un mirage : Miossec a grandi tandis que nous rapetissions. L’album agace parfois quand il se fait trop léger. Nous avons nos limites. On tique un peu sur Après Le Bonheur ou sur le plus pervers Alouette, à la limite mainstream de ce qu’on peut supporter, avant de se prosterner devant la délicatesse et l’intelligence de La Vie Vole. Si tout le monde a repris la phrase « Sur les terrasses en plein air/ On n’est pas si loin du paradis », c’est que ces deux vers sont probablement (comme la chanson entière) le plus bel hommage qu’on entendra jamais à la France pré-Bataclan. La Vie Vole est splendide, tout en nuances et en touches fines. Les textes de Miossec sont ici d’une précision redoutable. Les Mouches sautille contre le cours du monde, servi par une mélodie déconstruite et en tiroirs. On a beau se situer clairement dans un format « chanson » qui ne nous plaît pas plus que ça (le chœur final), Miossec est plus grand qu’il n’en a l’air, évoluant avec beaucoup de naturel et de spontanéité dans un cadre forcément limité.

Les Ecailles raconte la mue d’un type qui part en vacances et s’approche du littoral. La métaphore serpentine est filée avec beaucoup de rigueur, tandis que la musique joueuse et sautillante confère une étrangeté et une singularité réussies au propos. Mammifères gagne encore en profondeur sur son dernier tiers. Cascadeur est une chanson-fanion qui vient ajouter à la galerie de personnages-miroir (le boxeur, le footballeur du dimanche) celle du vieux cascadeur usé par la vie et ayant survécu aux épreuves. C’est bien vu et « très Miossec » dans l’âme. Ceux qui le suivent depuis ses débuts ne peuvent qu’aimer ce genre de personnages morrisséens. Le Roi évolue dans un registre assez similaire avec un accompagnement, dominé par l’accordéon, quasi Brelien. On pense au Roi Lear à poil ou à la cour désolée et fantastique des Gormenghast, au Père Ubu (celui de Jarry) et aux séquelles amusantes et tristes de Dick Annegarn. La poésie réaliste de Miossec prend des airs surréalistes sous cette forme. C’est brillant et plutôt inédit. Miossec fait dans la chanson épique, une veine qu’on croyait disparue ou condamnée à errer comme un canard sans tête depuis Delerm et Bénabar. L’album s’achève sur le tendre Papa, « une chanson émouvante » comme dirait l’autre. Le texte est à hauteur d’homme comme l’album entier. C’est beau et presque « too much » mais on en est tous là : exprimer nos sentiments nous maintient en vie. Nous sommes tous des pleureuses post-modernes, des métro(homo)sexuels et des chiffes molles en puissance. Des durs au cœur tendre et des papas gâteaux. Il sera bien tant de regretter les épanchements et la rétention sentimentale. Miossec est là pour cela depuis le début : il parle à notre place et exprime mieux qu’aucun chanteur de notre génération nos contradictions… viriles. On se demande si les femmes l’aiment aussi. On en connaît quelques-unes, mais on n’a jamais vu ce qu’elles lui trouvaient. Miossec travaille pour nous. Il rattrape des années de décadence, des années d’affadissement du genre. Il a bu et vu pour nous.

Mammifères a des tas de défauts et surtout celui de nous cueillir si tard. Il nous rappelle qu’on n’est plus des rockeurs et qu’on ferait mieux d’arrêter ces conneries. C’est pour cette raison qu’il est aussi vivifiant et désagréable. C’est pour ça que Miossec a son importance. Il nous aide à ne pas changer et devient un vieux type pour nous et à notre place. La vie vole et l’homme non. On l’a bien eue.

Tracklist
01. On y va
02. Après le bonheur
03. La vie vole
04. Les mouches
05. Les écailles
06. La nuit est bleue
07. Alouette
08. Cascadeur
09. Le roi
10. L’innocence
11. Papa
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