On aurait donné quelques années de vie pour retrouver un Miossec en super forme, incisif et bon sur la durée d’un album. On aurait donné quelques jours pour retrouver notre héros défourailler à coups de vers branques contre les cons et lui-même dans un même mouvement de rage et de désespoir. Les Rescapés commence comme l’album dont on rêvait pour Miossec depuis longtemps. On pourrait le vendre comme un retour aux sources : les arrangements sont minimalistes et proposés à partir d’instruments disparus des catalogues comme la boîte Elka ou l’orgue Yamaha. La voix très en avant retrouve, à un souffle près, la scansion à plat et à deux temps qui nous ramène immanquablement vingt ans en arrière, à cet instant même où le Brestois était devenu, pour l’éternité, notre compagnon d’armes et de déveine.
Nous sommes, le premier morceau des Rescapés, est le titre le plus réussi composé et chanté par Miossec depuis des années. C’est un titre qui cause de l’homme et de l’écologie, un titre intelligent et inspiré qui met en parallèle le destin d’un homme au bout du rouleau et d’une civilisation entière, condamnée à s’abîmer. Nous Sommes fonctionne comme une métaphore merveilleuse de ce qui fait le caractère de Miossec : la confrontation de l’usure et de l’urgence. C’est sur cette dynamique vouée à consumer celui qui la produit que Miossec a bâti sa légende, la maladie ne venant au final que confirmer ce qu’on savait déjà : le chanteur était condamné depuis longtemps à mourir pour nous. Cette logique sacrificielle s’incarne à la perfection dans un Je suis Devenu crâneur, désolé et joueur. La chanson est kitsch comme du Go-Kart Mozart, mettant en scène un Miossec amusé par son propre ratage et jouant à incarner ce qu’il est pour nous. Le texte se pose en best-of de l’autodépréciation comme un résumé des épisodes précédents, sublimé par quelques formules brillantes du style de « je me suis fait tout seul et je me suis raté ». L’instant sublime se prolonge avec le touchant On meurt, chanson de redite, cocasse et néo-réaliste, où Miossec s’intéresse aux morts qui en disent plus long que des instants de vie. « On vit comme s’il n’y avait pas de fin. », chante-t-il avec émotion. « On vit en essayant de faire du bien. On vit pour faire danser toute une salle entière. » Il y a dans ce morceau une justesse d’observation et une attention aux détails qui fait plaisir à voir et à entendre. Les Rescapés est un album d’entomologie humaine, un album enregistré à hauteur d’homme et qui essaie de capter ce qui fait l’humanité en nous. Les infidèles est l’un des sommets du disque. On s’y débat avec un certain panache sur un arrangement minimal entre tromperie et petit réconfort. On a longtemps rêvé que Miossec s’impose comme le nouveau Brel. Il n’en a jamais eu la voix mais son regard empreint d’humanisme et en même temps cynique lui en donnait les moyens dans l’écriture. Cette chanson est de cette veine, cruelle et généreuse. Les cordes sont magnifiques et la corne qui gronde à l’arrière-plan en fait une réussite marquante.
Malheureusement pour nous, les Rescapés a donné ce qu’il a de meilleur sur sa première moitié. L’aventure est un morceau laborieux qui sonne faux et forcé. Miossec se débat pour le chanter et semble pour la première fois en décalage complet avec les arrangements qu’on lui propose. Les chœurs féminins renforcent cette impression d’un retour aux enluminures superflues d’il y a quelques temps, tandis que le propos s’étiole. La suite n’est guère mieux. Les gens (quand ils sont les uns dans les autres) est trop démonstratif et anecdotique pour convaincre. « Faire, faire, faire l’amour.. en simulant, ou comme au premier jour, tout simplement, ou en allant se jeter de tout du haut de la tour…. » L’intérêt est moindre et la thématique fonctionne mal. On ne rentre pas plus dans la mer, quand elle mord, c’est méchant. La mise en place est dramatique à l’excès et les effets trop appuyés. Le morceau est immédiatement sombre, agissant comme une mer déchaînée d’emblée, ce qui ne nous permet pas d’y entrer après les titres précédents. On se trouve un peu trop vite projeté dans la tempête et aussi désorienté qu’incrédule. Miossec a expliqué que cette chanson était en hommage à son grand-père disparu en mer, il y a bien longtemps. Les arrangements sont pourtant somptueux et l’effet final très réussi mais la progression est ratée et neutralise l’effet d’immersion.
La vie sentimentale ne sonne pas plus juste, continuant de gâcher l’effet produit par une première partie presque parfaite. Le chant est douloureux et à la limite de la justesse. L’instrumentation rétro vient en renforcer la fragilité, nous détournant complètement du propos. Son homme est une tentative musicale audacieuse mais seulement à demi-convaincante. Il faut attendre les deux derniers morceaux pour que l’album retrouve des couleurs. Pour est un bon morceau qui manque peut-être un peu d’allant. Le texte est soigné mais la mélodie est sans ressort et s’enlise au bout de quelques minutes, si bien qu’on a l’impression que les trois minutes en font cinq de plus. L’album se referme avec la Ville Blanche, l’un des meilleurs morceaux du disque. Avec son fond à la Morricone et ses allures de conte de l’Ouest, Miossec taille un retour au bercail digne, émouvant et qui s’apparente à un western marin. La ville blanche renvoie bien sûr à Brest et ce retour à la ville blanche au parcours du chanteur qui s’y est réinstallé il y a quelques années. Il fait souligner encore ici le magnifique travail d’arrangements qui renforce la dynamique granitique du titre.
On aurait donné quelques larmes pour que Miossec réussisse son coup de bout en bout. On aurait donné quelques rides. Les Rescapés est un bel album, seulement à demi réussi. Mais il offre suffisamment de chansons magnifiques et d’émotions pour qu’on s’en satisfasse et qu’on remercie le ciel, Poséidon et les dieux de l’amer pour avoir permis au Brestois d’être revenu à ce niveau. Les choses auront beau n’être jamais plus comme avant, Miossec est toujours un poil moins décevant que nous. Il chante comme il vit, en déraillant et en boitant, tandis que les autres font encore semblant. Il y a 1001 manières de se répéter et de revivre ce qu’on ne vivra plus. Écouter Miossec fait partie des moins désagréables.
02. Je suis devenu
03. On meurt
04. Les infidèles
05. L’aventure
06. Les gens (quand ils sont les uns dans les autres)
07. La mer, quand elle mort, c’est méchant
08. La vie sentimentale
09. Son homme
10. Pour
11. La ville blanche
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