De Lizzy Mercier Descloux, on a beau se forcer, on n’a jamais entendu ni retenu autre chose au moment d’ouvrir le livre que ce tube Où sont passées les gazelles ?, qui se situait à des années-lumière de ce qu’on écoutait alors. L’auteur tentera dans la seconde moitié de cette biographie passionnante de nous expliquer ce que les quelques enregistrements de Lizzy Mercier Descloux avaient de novateurs et de pionniers, notamment dans le domaine de la world music : ce n’est pas la partie qui aura retenu notre attention. A-t-elle été la prêtresse du No Wave, la reine d’un soir des nuits new-yorkaises, une sorte de Nico « à la française », beauté sidérale et fraîche comme la Nouvelle Vague, désinvolte et bigenre avant l’heure ? Oui, sûrement, éclipse et étoile filante à la fois, coucheuse, artiste et muse aussi, comme sortie d’un XIXème de bohème consumé en mèche hippie punk d’après l’ère fleurie. On s’est souvenu un peu plus tard avoir croisé son nom, comme une simple mention, dans de nombreuses biographies de l’époque : celle de Suicide, celle de Television, entre autres. Car Lizzy Mercier Descloux était là et pas ailleurs, à l’épicentre de ce New York du milieu des années 70 où s’est nouée la modernité et où sont les nés les principaux genres (électro, punk, pop, world) de l’ère nouvelle.
Le livre de Simon Clair est délibérément hagiographique ce qui ne nous empêche pas d’y croire. Il ressuscite avec une vivacité et une séduction extraordinaire le souvenir de cette jeune femme virevoltante que l’histoire aura recraché à 47 ans de l’autre côté, tandis que son ancien amant et adorateur Richard Hell traversait l’Atlantique trois fois pour venir lui tenir la main une dernière fois. La vie de Lizzy Mercier est en partie l’histoire d’un destin raté ou, du moins, qui aura ressemblé à son époque, vif, intense et quelque part volatile au point d’être devenu presque invisible. Une tragédie microscopique au regard des artistes immenses qu’elle aura côtoyés, une particule élémentaire et presque anecdotique mais suffisamment instable et centrale pour que le monde s’organise un temps autour d’elle.
Il y a un mystère Lizzy Mercier Descloux auquel Simon Clair vient rendre un hommage vibrant. L’histoire d’une jeune femme née en 1956 et qui débarque en 1975 avec son compagnon et comparse Michel Esteban de l’autre côté de l’Atlantique. Au moment où il faut. Jeune fille éternelle à la coupe garçonne et au visage de porcelaine, courbes franches et seins qui rigolent. Le moment où New York foisonne sur les décombres d’une ancienne guerre, sociale et économique. La ville n’a pas encore été reprise en mains par le Grand Capital et abrite en son sein les nouveaux beats et les anciens bohémiens, les vieux drogués et les putes à deux sous. Le centre est en ruines mais aussi en musique. C’est le temps de Suicide, de Blondie et des Talking Heads. Le temps du CBGB et de chez Max. Lizzy multiplie les aventures et se lie d’amitié avec tout le monde. Basquiat fait le peintre en coulisses. Lizzy couche comme elle respire et aime avec le cœur sur la main. Elle a pour coloc Patti Smith. Lizzy est une artiste sans œuvre. Elle dessine, compose des poèmes puis incarne la figure de la french poetess. Elle se mettra à chanter. Pourquoi pas ? Elle s’achète une guitare qu’on lui paie et contribue à inventer la no wave, une musique expérimentale qu’on ne vous conseille pas de reproduire à la maison. Son Press Color est tout et presque rien à la fois. On peut l’écouter en entier et n’en retenir que ce qu’il aurait pu être s’il avait été suivi. Les titres sont improvisés, la musique en partie mais rien n’est laissé au hasard, si bien qu’avec le recul, la perfection est ratée de peu. Lizzy y était déjà en croyant que tout ne faisait que commencer. C’était déjà la fin. No wave. New wave. Et déjà le sable…
Les albums, à la réécoute, sont presque anecdotiques, bien que pas sans importance. En 1978, Michel Esteban et Michael Zilkha fondent le label ZE Records, le plus grand laboratoire musical de l’époque. Tout est permis et rien n’est interdit. John Peel dira d’eux qu’ils sont le « meilleur label de musique indépendant du monde ». La preuve : ils font n’importe quoi. Suicide, Vega, Kid Creole and The Coconuts (on dira une autre fois comment les deux sont liés), Lizzy et Was (Not) Was. L’aventure ne dure que quelques années. En 1982, tout est fini ou presque. Esteban rentre en France et produit Octobre après la fin de Marquis de Sade. Avec Lizzy Mercier Descloux, il s’engage dans l’aventure de la world music qu’il précède à sa manière. On enregistre avec des musiciens du cru et on rejette (un temps seulement) le couleur locale. Business is business. Les affaires fleurissent. Afrique du Sud et gazelles, puis album brésilien en mode touriste sur lequel la jeune femme croise le chemin de… Chet Baker venu payer sa dope. Le livre est un livre de rencontres, de gens qui se frôlent et ne se revoient plus. Esteban et Mercier Descloux se séparent pour le meilleur et pour le pire. Esteban se trouvera une autre égérie en la personne de Lio qui réalisera enfin son vieux rêve d’une fusion des musiques arty et de la pop commerciale. Lizzy aurait pu être cette fusion mais elle était trop libre, dixit Simon Clair, trop impétueuse et incapable du moindre professionnalisme pour répondre aux exigences d’Esteban et du star system. Chacun sa pâte à modeler. Paris, campagne, picole, le reste est moins glamour mais Simon Clair s’arrange pour que cela sonne courageux et pas pathétique. C’est là que le livre pêche un peu et masque le désastre. Petite grandeur et décadence. La chute, l’oubli. Que reste-t-il de tout cela ? Des souvenirs, un peu de musique, des photos, des images.
Lizzy Mercier Descloux est à l’image d’une époque de liberté qui n’a pas grandi. Ce New York a été étouffé dans l’oeuf. Il est mort dans la came, l’alcool, le conservatisme triomphant de la décennie qui suit, sa propre insouciance. La biographie dit cela à sa manière : Lizzy n’a jamais eu aucune chance d’être plus et mieux que ce qu’elle aura été. Eclipse, étoile filante et puis s’en va.
Ça tombe bien, je me demandais si c’était encore écoutable (ça date de ma jeunesse). Bon, pas sûr que je m’y replongerai au final.
Pour ma part je ne connaissais qu un album et les gazelles. Ce n est pas inintéressant mais pas simple de réécouter. Une musique qui appartient à son époque, comme on dit.
Belle musique, j adore !
Nous aussi !