Go-Kart Mozart / Mozart’s Mini-Mart
[West Midlands Records / Cherry Red Records]

7.6 Note de Benjamin
8 Note de Jean
7.8

Go-Kart Mozart - Mozart’s Mini-MartL’année 2018 serait-elle enfin l’année Lawrence ? Lawrence qui ? Lawrence Hayward, si c’est bien son nom véritable, est une figure culte du rock indépendant que février célèbre à foison avec la réédition majeure (et somptueusement chère) des 5 premiers albums de son groupe phare Felt (qu’on ne présentera pas ici pour ne pas nuire à l’actualité de l’artiste) et la sortie simultanée d’un nouvel album de son groupe actuel Go-Kart Mozart.

Ceux qui ont entendu parler du bonhomme, voire suivi ses aventures depuis le film qui lui a été consacré, Lawrence of Belgravia, savent peut-être à quoi s’attendre. Une figure « singulière » pour le moins, mi-clochard céleste, mi-artiste de génie, junky mégalomane fracassé capable du meilleur comme… du meilleur. Les 17 morceaux de ce nouveau disque sont les premiers depuis On The Hot Dog Streets, sorti en 2012, et probablement les plus appliqués et réussis depuis la première sortie du groupe, en 1999. Les deux albums suivants avaient leurs bons moments mais Mozart ‘s Mini-Mart les dépasse en cohérence et en justesse. Pour ceux qui ne s’attendraient pas à ça, Lawrence évolue sur toute la longueur de l’album dans un environnement à l’image de sa pochette : criard, jaune et tape à l’oeil. La musique (et la seconde partie notamment) est offensive, majoritairement synthétique, ce qui confère à l’ensemble un charme qu’on jugera gentiment désuet ou, au contraire, rétro-moderniste, selon qu’on se situe du bon ou du mauvais côté du synthétiseur. En clair, il est tout à fait possible que les deux tiers des amateurs de Felt crient à l’imposture, en jurant leurs grands dieux que le gaillard est devenu fou. Cela fait un bail que Lawrence évolue dans ces contrées musicalement étranges de la pop synthétique et il faut s’y habituer ou passer son chemin.

L’album est bien meilleur qu’il n’y paraît. Les textes, bien que souvent brefs, sont habiles et fulgurants. Le sens mélodique est affûté, dissimulé sous des arrangements attrape-tout et qui visent à inonder le marché des supérettes convoité par l’artiste. Comme toujours, Lawrence se plante et on parie sur un four du côté des fans de RnB et de scies variété. La profondeur, à l’image de morceaux remarquables comme You’re Depressed ou Relative Poverty, est réelle, tant lorsqu’il s’agit de se coltiner des sujets comme la dépression, la pauvreté ou (pour faire simple) la violence civilisationnelle sur le très bon A Black Hood On His Head.  Sans avoir l’air d’y toucher (et c’est là tout le génie du  bonhomme), Mozart’s Mini-Mart est un album touche à tout, politique et sensible qui propose (les grands mots!) une vision du monde où les artistes, les rêveurs et les gens biens ont du souci à se faire. Contourner la vulgarité en détournant ses propres moyens, faire simple pour dire le compliqué : Lawrence travaille comme un sumo de la pop, en utilisant/détournant les codes de la société de consommation musicale à son avantage.

Lawrence se pose, comme souvent, en prophète raté d’un réveil difficile. On peut se réfugier dans l’amour (Zelda’s in the spotlight) ou dans une forme d’absurdité surréaliste (Big Ship), ou encore passer volontairement pour un débile (Nub-end in a Coke Can), on n’échappe pas à la lucidité et à l’esprit critique du chanteur qui, sur cette première face, entend « dévoiler » le réel, dénoncer à sa manière et souligner la précarité de l’existence. Comme tout ceci se fait à partir d’une matière première fringante et mélodiquement guillerette, l’effet produit reste bizarre et la sensation de dérangement authentique. Est-ce du Lawrence ou du cochon ? Alors qu’il veut (sûrement) enchanter, Lawrence fout les jetons à la manière d’un Chat du Cheshire trop souriant et avenant pour être honnête.

Par contraste, la face B est un poil moins réussie. Les morceaux sont encore plus pétillants et attaqués par cet esprit pub rock synthétique qui constitue la matrice musicale de l’ancien Felt depuis Denim. Lawrence multiplie les excentricités et semble renvoyer sa musique dans le psychédélisme anglais des années 70. Chromium-Plated We’re so Elated est un bon exemple de cette régression temporelle avec ses choeurs et sa rythmique rock. Farewell To Tarzan Harvey, l’un des meilleurs titres ici, est une autre curiosité nourrie au funk et au psychédélisme, qui s’abîme de manière spectaculaire dans une balade poisseuse. N’importe quel autre artiste emmènerait ces chansons dans le trou, mais Lawrence réussit, par un mouvement qui tient de la magie, à les rendre séduisantes et pertinentes, sophistiquées et populaires (voire putassières, son objectif ultime) en même temps. Le rythme est vif, les titres s’enchaînent avec une frénésie qui traduit la confusion et la profusion de l’auteur. On fatigue parfois avant de relever la tête et de remuer les pieds. Man of two sides, là encore chanson hybride, renvoie à cette schizophrénie permanente qui est probablement celle du chanteur lui-même, tendu entre une réalité qui le fuit et un imaginaire aux fondations incertaines. Faut-il rire ou pleurer ? Faut-il espérer ou se résigner ? En être ou pas ?

Mozart’s Mini-Mart laisse l’impression mitigée mais unique d’un objet au-delà de l’étrange, au-delà du médiocre et du sens commun, au-delà de la pop et de ce qui est à la mode, une certaine idée du trop plein qui déborde de tout côté et outrepasse les cadres de référence. C’est à la fois le meilleur album de Lawrence depuis longtemps mais aussi un album inabouti et hors du coup/temps par sa forme-même. Si la meilleure musique procure autant d’enchantement que de frustration, Mozart’s Mini-Mart est grand.

Benjamin Berton

Il les enterrera tous. Malgré l’insuccès, la poisse et les soucis monétaires, Lawrence, toujours porté par le culte (ô combien justifié) l’accompagnant depuis… le premier album de Felt (en 81, quand même), persiste et signe dans son idée d’un « album de pop commerciale ». Et quelque part, Mozart’s Mini-Mart, à l’instar de TOUS les albums de Felt, Denim et donc Go-Kart Mozart, atteint cet objectif. À sa façon : déviante, malicieuse, obstinée, non défaitiste car sachant y adjoindre le bon regard distancié (sur soi, en particulier).

Lorsque Lawrence chante son quotidien rythmé par la dépression, ou lorsqu’il affirme dorénavant vivre dans une « relative poverty », il y a chez lui une telle sagesse humaine, ainsi qu’un humour corrosif excluant la moindre amertume, que le supposé tragique devient ici héroïque. Lawrence, parmi ses innombrables qualités, dans la mouise, veut toujours concurrencer les sommets bowiens. Difficile de lui donner tord car, en plusieurs décennies de carrière (au cours desquelles il sera impossible de dénicher le moindre gras, la moindre chanson mineure), l’auteur de Penelope Tree (la plus grande chanson du monde ?), dans nos esprits, n’a jamais abandonné le piédestal que nous lui avons consacré : celui de meilleur songwriter anglais depuis… Bowie.

Mozart’s Mini-Mart, soyons sérieux, ne va guère décrocher la timbale. Synthés préhistoriques, bleep bleep déphasés, production soucieuse de grandiloquence (avec les moyens du bord)… Sauf que ça fonctionne. Dans le cousinage de Pulp période Razzmatazz et Babies, Lawrence écrit des hymnes sur des appareils Casio, des refrains fédérateurs avec plein de petits bruits autour. Du faux cheap : l’inspiration de Lawrence s’adapte à la pénurie, mais la tuerie pop, elle, détient encore le beau rôle.

Reste que cet album risque de ne jamais outrepasser le clan des fidèles. Et comme à chaque nouvelle de Lawrence, il s’agira évidemment de se lamenter sur le manque de reconnaissance publique d’un auteur génial. Oui mais, en y réfléchissant, qu’importe : cela n’a pas empêché Lawrence de sortir des disques, de contenter ses fans, et surtout d’être resté lui-même (ou égal à lui-même). Effectivement, il les enterrera tous…

Jean Thooris

Tracklist
SIDE ONE
1. ANAGRAM OF WE SOLD APES
2. WHEN YOU’RE DEPRESSED
3. RELATIVE POVERTY
4. ZELDA’S IN THE SPOTLIGHT
5. BIG SHIP
6. NUB-END IN A COKE CAN
7. A BLACK HOOD ON HIS HEAD
8. FACING THE SCORN OF TOMORROW’S GENERATION

SIDE TWO
1. A NEW WORLD
2. I’M DOPE
3. CROKADILE ROKSTARZ
4. KNICKERS ON THE LINE BY 3 CHORD FRAUD
5. CHROMIUM-PLATED WE’RE SO ELATED
6. MAN OF TWO SIDES
7. FAREWELL TO TARZAN HARVEY
8. A DING DING DING DONG!!
9. ANAGRAM 1ST PRIZE REPRIZE

Écouter Go-Kart Mozart - Mozart's Mini-Mart

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