Il y a quelques semaines, un micro-séisme émoustillait les réseaux sociaux : les quatre anglaises d’Electrelane avaient décidé de réactiver les comptes du groupe, laissant évidemment entendre par là qu’elles étaient de retour aux affaires. Bien que fort plaisante, la nouvelle n’en demeurait pas moins purement théorique et sans aucun nouveau son à se mettre dans l’oreille, c’est vers d’autres horizons qu’il convenait de se tourner. Vers Pamplona par exemple. C’est en effet de Navarre que viennent les quatre filles de Melenas qui ont repris avec un certain talent le flambeau laissé vacant : celui d’un soit-disant « rock de filles ». Terrain à la fois consensuel et glissant, ce depuis des années, le terme soulève la question de la place de la femme dans le rock et la pop, entre la potiche chanteuse (« It’s still girl-sings-while-boys-play » clamait Sarah Records dans un édito au vitriol au début des années 1990 et cela n’a sans doute pas beaucoup changé) et les femmes qui peinent à se faire reconnaitre dans un univers qui, des studios aux scènes, des fosses aux hautes sphères des labels, des backstages aux suiveurs, est encore très largement masculin. Et parfois bien misogyne.
Alors oui, un groupe de filles, évidemment. Mais comme on n’aurait jamais besoin de dire « un groupe de mecs » et encore moins du « rock de mecs ». Quatre copines qui sortent 3 ans après leur premier album Dias Raros (de prémonitoires Jours Etranges), coproduit par les basques de Elsa Records, les catalans de Snap! Clap! Recs et les américains de Trouble In Mind. Et si on pense à Electrelane, tout comme on pourrait aussi évoquer d’autres illustres ainées telles que les Shop Assistants, Talulah Gosh ou même Les Calamités, c’est bien évidemment que Melenas se présente aujourd’hui parmi les plus dignes héritières de ce son qui célèbre l’alliance de la pop sixties, des aspirations métronomiques seventies et de la noisy des années 80/90. C’est que l’Espagne, dans le sillage d’une Movida pas toujours intéressante vue de l’extérieur mais essentielle pour des générations d’artistes muselés par des années de dictature franquiste, a toujours été une terre d’accueil pour les groupes anglo-saxons, bien plus que la France à y regarder de plus près. Bien plus qu’ici aussi, les espagnols ont assez vite balayé l’idée encore tenace chez nous que le rock devait s’exprimer en anglais. C’est donc nourri d’influences très variées et décloisonnées, décomplexée par l’usage d’une langue qui sied parfaitement aux univers pop et rock, que l’Espagne parvient à apporter sa pierre au grand édifice musical mondialisé.
Dire que Melenas y contribue est une évidence ; la place qu’elles y laisseront se jugera à l’aune des années mais tout dans Dias Raros laisse à penser qu’elle ne sera pas complétement anecdotique. Maitrisant avec aisance l’art de la mélodie pop accrocheuse, les navarraises se construisent un univers vite personnel, bien qu’habité de diverses influences toutes plus louables les unes que les autres et pas encore complétement digérées, du rock néo-zélandais de Flying Nun aux Pastels, des Ramones (Oihana Melenas, Leire Melenas, Maria Melenas & Laura Melenas sont les filles spirituelles de la famille Ramone) à Stereolab, pour faire bref. Ce rock est d’une fraicheur incroyable, ensoleillé comme une balade sur les contreforts pyrénéens, arides mais magnifiques, d’où s’élèvent des papapapaaa et des ouhouhouuuuh qui filent comme des cheveux au vent chaud. Ritournelles rythmées, carrées, tourbillonnantes au gré de guitares tour à tour légères puis prises de bonnes crises noisy à coup de distorsion ou de flanger et surtout d’un orgue généreux, elles évoquent ces vies de jeunes femmes entre amours et amitiés, les moments de bonheurs simples qui succèdent aux journées interminables à contempler un mur, allongée sur un lit. Un peu comme chez les galiciens de Linda Guilala, ces petits tourments de la vie auraient vite fait de la pourrir de façon durable mais il y a chez Melenas une envie de leur filer une bonne beigne et d’oublier tout ça dans une bringue entre copines. Mais sous leurs airs rock et rigolotes (voir la vidéo de 3 Segundos pour s’en persuader), les quatre « sœurs » Melenas montrent qu’elles ont aussi de la ressource pour foutre le frisson. Ainsi par exemple, de façon un peu classique, chaque face se conclut par un temps calme : c’est le très Laetitia-Sadier-esque El Tiempo ha Pasado conduit par cet orgue divin et des voix d’anges. C’est aussi ce magnifique slow d’école, une Vals toute en apesanteur avec son refrain aérien qui conclut ce disque de la plus douce des manières.
Avec Dias Raros, Melenas s’affranchit du son un peu garage alternatif de son premier album pour offrir un disque plus lumineux, bien équilibré et qui met en évidence de beaux talents de compositrices et de musiciennes. Un album de rock avant tout, et surtout pas d’une improbable sous-catégorie « rock de filles ». Car personne n’a besoin de « rock de filles » mais bien de filles dans le rock ; de filles, de jeunes femmes, de femmes, à tous les niveaux. Besoin par contre de sortir d’un entre-soi couillu d’un autre âge et qui n’a que trop duré. Melenas, ça n’est pas de la discrimination positive ni de la parité réglementaire. Melenas, c’est quatre filles pétillantes et douées qui gagnent toutes seules leurs galons, grâce à leurs personnalités et leurs sensibilités, sur disque et sur scène, tout ce sans quoi elles n’en seraient pas là. Le rock des années 2020 a vraiment besoin de Melenas, de plein d’autres Melenas.
02. No Puedo Pensar
03. 29 Grados
04. Despertar
05. El Tiempo Ha Pasado
06. Los Alemanes
07. 3 Segundos
08. Ciencia Ficción
09. En Madrid
10. Ya No Es Verano
11. Vals
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