L’amour de la pop est souvent une question de fidélité. Volage ou excessive, c’est elle qui nous force à aimer ce qu’on aimait hier avec la même énergie qu’on désaime parfois. Il faut être radicalement fidèle pour continuer à écouter Miossec aujourd’hui. Il faut avoir aimé Boire, Baiser et sûrement un jour ou plusieurs croisé le Brestois à son apogée tonitruante pour supporter sa voix d’aujourd’hui. Personne n’a jamais écouté Miossec parce qu’il chantait bien ou effectuait des prouesses vocales mais il reste si peu de choses de sa voix désormais qu’il faut souvent sur ce disque passer outre la souffrance et la difficulté à chanter qu’elle exprime pour entendre de quoi il retourne. La voix de Miossec ferait passer Étienne Daho pour Roberto Alagna. C’est un désastre qu’il faut dépasser ou apprécier avec un fond de perversité comme s’il fallait y avoir un symptôme de quelque chose, un signe magnifique et noble d’usure alors qu’elle serait partout ailleurs rédhibitoire.
Si l’on dépasse cette voix (ce qui fait peine à écrire s’agissant d’un disque de chansons), il y a dans Simplifier matière à se réjouir. La production minimaliste est admirable et le recours à un dispositif organisé autour de guitares et d’une boîte à rythme fonctionne remarquablement bien pour nous ramener à une époque où Miossec opérait en franc tireur partisan d’une écriture simple et dépouillée des artifices et enluminures toc de la variété française. Le chanteur a lui-même plus ou moins renié l’habillage d’un certain nombre de ses disques. Les Rescapés, l’album sur lequel on était resté en 2018, démarrait lui-même dans des conditions similaires (simplicité, épure) avant de basculer vers autre chose.
Simplifier a le mérite de s’en tenir au plan. Tout est bleu est épatant, poétique et triste comme un couple qui bat de l’aile, mais évidemment pas dénué d’espoir et d’espérance. Je m’appelle Charles inaugure une courte série de chansons qui fonctionnent comme des pastilles ou des portraits. On n’est pas forcément emballé par cette première tentative qui rend hommage au patron d’un bar brestois, mais un peu plus par le récit tiré de l’affaire Gérald Thomassin et de la postière de Montréal la Cluse, sur Meilleur Jeune Espoir Masculin. Miossec y exerce habilement son sens de l’observation et se réaffirme comme un excellent micro conteur.
Partout ailleurs, l’approche est à la fois terre à terre, et abstraite ou universelle à l’image du beau Je Souligne ou de L’Adolescence, la réflexion moins décisive et lisible qui referme le disque. Miossec apparaît la plupart du temps comme un homme en bout de course, épuisé et dans le repentir, affligé mais aussi fier de ses victoires et du souvenir de ses belles années. Ce positionnement n’est pas nouveau chez lui évidemment mais s’exprime sur Simplifier avec une justesse « définitive » qu’on pourrait décrire comme proportionnelle à l’usure globale qu’il présente ou semble présenter. Le recours aux images est parfois habile comme sur le fringant single les Voitures (qui parle « en réalité » plus des histoires d’amour que d’automobiles), parfois forcé ou presque maladroit à l’image du poussif Le Fruit.
L’ensemble propose de vrais morceaux de grâce (Une Histoire de Soleil et titre vraiment chanté le plus abouti du lot), dignes, lumineux et touchants (Mes Disparus) à côté de titres plus brouillons ou clairement moins forts (Le Message, Qui, quoi, comment, où, pourquoi ?) qui, couplés à la faiblesse de la voix, rendent l’ensemble moins séduisant et puissant qu’on ne l’aurait souhaité. Simplifier est un album attachant mais inégal, une vraie belle tentative d’aller droit au but qui ne réussit qu’à moitié à retrouver l’impact et le mordant d’antan.
02. Je m’appelle Charles
03. Mes voitures
04. Le message
05. Meilleur jeune espoir masculin
06. Qui, quoi, où, comment et pourquoi ?
07. Mes disparus
08. Une histoire de soleil
09. Le fruit
10. Je souligne
11. L’adolescence