Moscow Olympics – Cut The World
[Too Good To Be True]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Moscow Olympics - Cut the WorldLe milieu de la pop, underground et internationale, est rempli de ces histoires étranges, saugrenues parfois, qui font qu’un obscur groupe philippin (oui, il y a donc de la pop indé aux Philippines), auteur d’un seul mini-album en 2007 sur un tout aussi obscur label suédois, Lavender recordings, devient véritablement mythique. Ce groupe, c’est Moscow Olympics dont l’annonce fin avril de la réédition, pour la première fois en vinyl, de son unique album, Cut The World par le label brestois Too Good To Be True a créé un microséisme dans le Landerneau des internets indés, suscitant un engouement presque effrayant pour cette petite entreprise artisanale (un premier tirage de 500 précommandes épuisé en quelques heures), bien décidée cependant à assumer un choix qui ne date pas d’hier. C’est que, conformément à ce qui ressemble de plus en plus à une ligne de conduite, le label met en avant une aventure autant amicale que musicale qui a débuté en 2009 avec le 12ème single numérique de la première vie de Beko, alors DSL (pour Digital Single Label) et qui s’est poursuivie en 2013 par Reprise, un 7″ tout à fait délicieux sur Beko (tout court) et quelques morceaux éparpillés dont un remix club flamboyant de leur tube Alphonsine signé du non moins mystérieux Valdorea.

C’est que Moscow Olympics cultive une véritable discrétion, notamment sur les réseaux sociaux où, à part un antique Myspace, seule une page Facebook délivre au compte-goutte quelques maigres informations, une poignée de rares photos live un peu floues sur lesquelles on les devine dans une formation à quatre et c’est à peu près tout. On le sait, entretenir le mystère, volontairement ou non, a toujours été un des bons moyens d’acquérir un statut iconique même si l’admiration que suscite Moscow Olympics est avant tout liée à sa musique. Cut The World qui ressortira donc cet été à la veille de l’ouverture des JO de Tokyo, clin d’œil évident au nom du groupe mais aussi au passé du label et la compilation Bekolympics qui avait marqué les esprits en 2016 à l’occasion des jeux de Rio, est une formidable collection de pop songs ciselées dans la plus belle des matières sonores, de Factory à Slumberland. Du premier, il garde la fougue et cette force un peu noire et mélancolique des années 1980, celles des premiers New Order et The Wake, même si les mauvaises langues prétendront toujours que c’est un peu la même chose ; du second, ces hymnes pop emballés et gentiment bruyants qui faisaient de ce son noisy-pop américain des 90’s, celui des Ropers ou de Lorelei, l’un des plus excitants et attachants de cette époque.

Remasterisé et augmenté de 3 titres extraits des 3 singles qu’a sortis le groupe, Cut The World nous propulse dans un beau voyage dans le temps, un rien nostalgique mais surtout diablement entrainant et efficace. Inutile de chercher de la nouveauté, ça n’est pas vraiment l’esprit car l’histoire, on le sait bien, n’est qu’un éternel recommencement. Avec Moscow Olympics se réveille ce petit bonheur simple de retrouver des sonorités familières qui aspirent à une nouvelle vie dans un contexte différent. C’est vrai, on est dans l’hommage appuyé, dans l’inspiration démesurée peut-être par moment, mais jamais dans le plagiat car cette basse, celle qui se joue souvent sur la dernière corde tout en bas, cette batterie sèche et métronomique, ces claviers aériens qui entrainent l’esprit tout en haut, au fin fond des rêves, ces guitares tour à tour en arpèges cristallins puis qui s’emballent dans des cavalcades distordues et même cette voix si familière, particulièrement marquante sur l’introduction What Is Left Unsaid, ne sont que les ingrédients de compositions dans lesquelles les philippins ont projeté toute leur âme, leurs désirs et leur passion de deux décennies de musique anglo-saxonne.

C’est que si l’album commence assez nettement du côté du The Wake d’Here Comes Everybody, il glisse rapidement vers une hybridation franchement plus personnelle où, au-delà des ingrédients, ce sont avant tout les intentions, ces chansons bien nées, ainsi que le résultat, souvent jubilatoire qui priment. La musique de Moscow Olympics est une course effrénée qui ne s’arrête jamais, un relais au cours duquel les coureurs s’enchainent sans perdre ni le fil, ni la vélocité. Quasiment chaque morceau recèle d’au moins d’un de ces moments suspendus, ceux que l’on finit toujours par fredonner machinalement ou que l’apprenti musicien cherche à reproduire laborieusement. Et puis il y a les chefs d’œuvres, ces montages parfaits où tout semble véritablement s’imbriquer à la perfection. C’est l’évanescent The Farthest City qui pourrait à lui seul illustrer la définition de « dreampop » dans un dictionnaire audio, assemblage de pièces mineures à la simplicité confondante qui finissent par former un tout d’une grande force mélodique, sensuelle, intimiste. C’est surtout l’alambiqué et fuzzy Ocean Sign avec sa rythmique travaillée, presque déstructurée portant une mélodie aérienne qui met du temps à percer avant d’éclabousser de toute sa gracieuse évidence la seconde partie du morceau où, au loin, le fantôme de Keith Girdler entame un pas de danse mélancolique au fond de la cale d’un vieux cargo amarré à un quai de Bristol.

Cut The World en 2021, c’est une plongée dans un son qui n’a finalement pas pris tant de rides que ça en près de cinq décennies. Un genre qui n’a jamais disparu de la vie d’adeptes fidèles mais aussi sans cesse rejoints par de nouvelles générations de fans, de labels et de musiciens. Et si Moscow Olympics est aujourd’hui, bien évidemment à une échelle qui respecte les proportions du genre, aussi reconnu et attendu, c’est qu’il symbolise parfaitement à la fois cet esprit transgénérationnel mais aussi cette internationale pop disséminée dans tous les recoins du globe. Cette possibilité offerte à n’importe qui, même au cœur d’un pays pas spécialement renommé pour sa culture indé, pour peu qu’il soit doté de goûts musicaux irréprochables et d’une indéfectible capacité à composer de merveilleuses chansons, de séduire à l’autre bout du monde suédois ou bretons pour toucher à travers eux un public de dévots sensibles et fidèles. Comme d’autres héros olympiques ordinaires avant eux, les philippins ne termineront jamais au sommet du tableau des médailles mais auront conquis de façon inoubliable le cœur des partisans de l’esprit plus que de la performance, les véritables amoureux du beau geste.

Sortie le 23 juillet 2021

Tracklist
01. What Is Left Unsaid
02. No Winter, No Autumn
03. Second Trace
04. Safe
05. Carolyn
06. Ocean Sign
07. Cut the World
08. Still
09. The Farthest City
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1 Comments

  1. says: Li-An

    Je suis très perplexe à propos de ce groupe. Évidemment, c’est les Philippines, ces gens n’ont pas d’appareil photo correct en 2008 et même pas de carte d’identité (visiblement la maison de disque originelle doit envoyer ses chèques à une boite postale anonyme de Manille). Ah, si, il y a sur leur compte FB des photos nettes de dos de gens qui pourraient tout aussi bien être de Montargis. Il faudrait qu’un journaliste digne de ce nom fasse une enquête sur cet enfumage de première.

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