Churros Batiment / Sale Quart d’Heure
[New Sinister]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Churros Batiment - Sale Quart D'HeureOn ne va pas en faire des tonnes : ce n’est même pas le meilleur disque de David Litavicki, qui se cache d’ordinaire (et aussi) sous le patronyme de Bleu Russe. Sale Quart d’Heure ne compte que 4 titres en plus mais c’est suffisant pour permettre au groupe Churros Batiment, composé de Litavicki et de Pierre Gheno, de réorienter la musique de leur duo vers une électro cheap et crade qui est sacrément addictive et incroyablement séduisante à l’écoute.

Churros Batiment avait lâché un précédent EP l’an dernier composé en une journée et appelé 19 mars 2020. C’était un bon aperçu de leur (absence complète de) talent, un manifeste naturaliste de premier ordre et un excellent exercice de style. Le groupe n’est pas virtuose, n’est pas encore tout à fait au niveau de Joy Division lorsqu’il compose de la cold wave ou du post punk (Termite Horrible) ou à celui de Philippe Katerine quand il essaie de déconner ou de passer pour un groupe décalé (Adorable Traître). Ils sont bien meilleurs. Comme les camarades de Gangstgang dont on parlait il y a peu, les groupes de David Litavicki sont en train de redéfinir de manière radicale et assez glaçante ce qu’on peut attendre du rock français, de la chanson chantée dans notre langue, en se ré-accaparant des motifs et des codes qui relèvent à la fois de l’electro-punk, de la variété et du hip-hop.

Ce sont des biens grands mots pour définir ce qui se présente souvent comme autant de petites chansons déconnantes mais il serait bête de prendre tout ça à la légère. Dans un univers explosé où les groupes apprennent à vivre et à prospérer dans la marge, à composer dans leur tente igloo, la musique de Churros Batiment se situe tout en haut (c’est-à-dire tout en bas) de l’échelle. Il tombe était l’une des plus belles chansons de l’année dernière. Wesh qui ouvre le nouvel EP est tout aussi percutante. Sur un fond de sauce que ne renierait pas Martin Rev, le duo sert un titre de trois minutes qui se pose comme une scène de vie flamande, un portrait en pied d’un gars avec la classe. La qualité de la narration est telle que le tableau prend vie sous nos yeux avec toute sa portée politique et sociale, sa qualité d’observation. La musique de Churros Batiment renvoie un sentiment de noblesse et de misère qui donne envie de voter socialiste (les vrais, pas ceux du PS) ou de devenir punk à chat. Vaurien est encore plus entraînant et pervers. C’est le son de la réalité qui claque, de la vie qui sue des bras et pue des pieds, des équilibres perdus et des délires surréalistes. Il se dégage un humour macabre, un sens de la formule et un esprit joueur à l’écoute de cette musique qui sont roboratifs et fortifient l’âme. Sur l’affreux Raclette au, le groupe ne joue pas et fait le petit pas de côté en mode horrorcore qui le rend inquiétant et vaguement menaçant. On pense à Umberto, au John Carpenter d’Halloween et à cette terreur qui s’empare de nous quand ce qui faisait rire prend une toute autre tournure. Car il ne fait jamais oublier que ce qui se présente parfois sous un aspect léger et taquin est avant tout radical et contestataire.

Churros Batiment referme ce quatre titres avec un Cannibale sans queue ni tête, juste affreux et là pour choquer le bourgeois. Il ne fait pas bon s’encanailler avec ces types. Il ne fait pas bon se considérer comme l’un des leurs. On pense au film Dellamorte Dellamore et à ces films de cimetière où les zombies, les dégénérés et les cannibales se mélangent. Churros Batiment est une chance et une menace pour la France. Il ne faut pas s’y laisser prendre. Le disque, affiché en format numérique, à 1000 euros est un peu cher pour ce qu’il propose. Mais ces gars là les méritent.

Tracklist
01. Wesh
02. Vaurien
03. Raclette au
04. Cannibale
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2 Comments

  1. says: Dorian Fernandes

    Impossible que ces mecs de Churros Batiment n’aient pas écouté du Jean-Louis Costes. Le brin de voix complètement atonal et désespéré du chanteur de Bleu Russe me fait vraiment penser à lui. Les paroles sont emplies de sentiments de minable, de rage triste punk, comme le Costes (« Il avait trop de style le mec » trahit la référence). Ça me donne envie de rire (ou de pleurer)… tellement c’est révélateur de l’époque. Avec un son moins crado et plus propret, tout de même. J’observe de plus en plus cela chez les artistes provinciaux (d’ailleurs, plutôt blancs, je crois que c’est important de le préciser, même si jamais j’aurais pensé le dire il y a 5 ans) : la haine de soi, le blues du blanc. Rien que dans le rap, on a aussi les mecs de dAMEbLANCHE, type Stick.Ou même, dans l’électro-pop, Magenta (sans l’humour, évidemment : écoutez le titre « 2019 » et vous comprendrez). Très intéressant sociologiquement parlant. Et fertile d’un point de vue artistique. J’en parlais avec des potes : je ne sais pas si c’est bon signe de la vitalité de ce pays. Ça ne dépasse pas JLC en tout cas, même si c’est toujours très bon et fun.

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