C’est bon, l’alerte enlèvement est levée ; celle que l’on avait lancée il y a quelques semaines après la disparition soudaine de Richard Adams, effacé sans crier gare des tablettes du dernier album de Memory Drawings. Tout va bien, que l’on se rassure ; enfin, du mieux possible en tout cas. Le musicien du Yorkshire a visiblement décidé de se concentrer sur The Declining Winter dont il sort avec Last April le second album en deux ans, le n-ième depuis les débuts du plus ou moins groupe, on ne les compte plus tant la production est pléthorique, protéiforme et difficile à suivre entre Cdr ou singles ultra limités, chansons perdues puis retrouvées, enterrées puis exhumées. Si elle est difficile à suivre, il est cependant indéniable que la production de The Declining Winter commence véritablement à prendre une place de choix dans le paysage musical anglais, celui qui sort des sentiers battus, des autoroutes du succès « indie », préférant emprunter, depuis toujours en fait, les chemins de traverse de la campagne du nord de l’Angleterre, à la recherche parfois, c’est encore le cas ici, de la note parfaite ou plus exactement du silence parfait. Ça n’est donc pas complétement un hasard si la pochette du disque renvoie à la sobriété d’un disque aussi essentiel que l’unique album solo de Mark Hollis, rompant visuellement avec l’esthétique lumineuse et dorée du merveilleux Really Early, Really Late sorti l’an passé. Pas un hasard non plus de trouver que ce code visuel rappelle celui du premier album du Michel Cloup Duo, Notre Silence. Et pour cause : ces deux albums traitent à leur façon de la même blessure, profonde, irréparable : la perte de la mère.
Mrs Adams est partie un jour d’avril 2022. C’est ainsi, c’est notre destinée à toutes et tous même si certains décès semblent plus injustes que d’autres tant il est souvent trop tôt. Le dire ne rend pas les choses plus acceptables, n’efface pas le chagrin, les regrets éventuels, les moments que l’on ne partagera plus. Le chanter non plus, mais il est probable que cela apaise, c’est déjà ça. Alors qu’il ne reste plus que des sons, des odeurs, des photos jaunies, toutes sortes de souvenirs matériels et immatériels que l’on ressort en diverses occasions comme une flamme qui ne doit pas s’éteindre de sitôt, chacun peut se bâtir un hommage à la hauteur de ses moyens et de sa propre sensibilité ; on connait celle de Richard Adams. Six chansons composées en une nuit, six chansons qu’il fallait écrire, six textes qu’il fallait sortir. Enfin plus exactement cinq puisque celui de Mother’s Son, comme une évidence, est retravaillé à partir d’un emprunt à un autre grand disparu, David Berman sur ce qui restera l’unique album de Purple Mountains paru en 2019 quelques semaines avant sa mort.
L’austérité de Last April n’est pas que visuelle. Richard Adams, on le connait bien maintenant pour fréquenter sa musique depuis des décennies a toujours pris le parti d’explorer la face sombre et mélancolique de son existence, y compris quand il le faisait jadis de façon plus électrique, bordélique et pour autant souvent géniale. De fait, Last April tranche sacrément avec l’album précédent, lumineux, luxuriant et plein de vie que portait une joyeuse troupe de musicien à travers les champs ensoleillés du West Yorkshire. Il n’est ici question que de cordes qui font de ce Declining Winter un duo particulièrement ascète : celles du violon pour Sarah Kemp, vocales et de guitare acoustique pour Richard Adams. Ce jeu de guitare qui n’a jamais été flamboyant, c’est aussi pour cela qu’on l’aime depuis toujours mais qui a, particulièrement ici, cette capacité à transposer les émotions en notes délicates, parcimonieuses, choisies avec soin, entrecoupées de ces instants de silence. Des instants de respirations, réflexions ou de contemplation, se plonger furtivement dans ses pensées, quand le bruit d’une chaise dans la cuisine ou d’une porte qui claque évoquent tant de souvenirs. La voix est plus plaintive que jamais, parfois à la limite de se faire submerger par l’émotion, portant des textes dont la justesse et la sincérité des mots est la plus belle des cautions. Et puis il y ces cordes, mélancoliques et déchirantes au possible qui accentuent à chaque apparition, comme cette entrée magnifique sur Last April, ce sentiment de tristesse infinie qui nous transporte dans une parfaite empathie.
Alors bien sûr, dans ce contexte, difficile d’attendre de Last April l’émergence d’un pic mais, à défaut, c’est son homogénéité qui s’avère remarquable. L’immersion est totale et on se laisse emporter par cette ambiance complétement en dehors du temps où peu importe finalement que les chansons durent trois ou près de huit minutes. Dans ce concert de beauté triste et lente, seul le final du disque, seconde partie d’un August Blue de toute beauté apporte une sensible montée quand pour la première fois résonnent quelques cordes basses marquant un semblant de tempo, le battement d’une vie qui doit reprendre et continuer.
C’est précisément ce qu’on aime chez les artistes : cette capacité qu’ils ont de transformer toute chose en œuvre. Richard Adams a sans doute beaucoup pleuré, mais il a su convertir ce profond chagrin en chansons douces et délicates pour rendre hommage, sans doute de la plus belle des façons, comme on l’envie, à cet être adoré et unique, probablement exceptionnel à ses yeux comme le sont la plupart des mères aimantes qui ont su bien élever leurs enfants. On imagine les après-midis au coin du bow window de ce petit pavillon en brique à présenter à leurs parents les démos de ce premier groupe foutraque que Richard et son frère Chris venaient de monter, leurs inquiétudes, leur bienveillance et leurs encouragements. Réelles ou imaginées, on se plonge avec lui dans ses archives familiales (la vidéo de l’excellent single I Remember en 2021) et l’accompagne plein de tendresse et de compassion dans ce très beau disque de deuil et de chagrin.
02. Last April
03. Lime Tree House
04. Mother’s Son
05. My Greatest Friend
06. August Blue
07. One Year (bonus track digital)
08. When The Wind Blows, I Hear Your Voice (bonus track digital)
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