Nine Inch Nails / Ghosts V : Together et Ghosts VI : Locusts
[The Null Corporation]

7 Note de l'auteur
7

Nine Inch Nails / Ghosts V : Together - Ghosts VI : Locusts
Douze ans après la série Ghosts I-IV, Trent Reznor a mis en ligne gratuitement, en pleine période de confinement, deux albums entiers qui en prolongent le mouvement instrumental et ambient. Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les critiques en fassent, comme si tous les morceaux dataient de la veille, la « bande son de l’épidémie ». La tentation est grande en effet de voir dans cette série d’instrumentaux, lumineux mais inquiets, le regard de Nine Inch Nails sur un monde qui progressivement s’enferme chez lui et s’endort sans broncher. Si la première série était foutraque et désordonnée, l’ensemble Ghosts V-VI est beaucoup plus homogène et cohérent, agencé dans une recherche de continuité qui, si elle ne compose pas réellement une progression, témoigne du grand soin apporté aux titres et à une forme d’unité. Épaulé par son ami Atticus Ross, Reznor évolue sur ce diptyque dans un registre assez proche des bandes originales de film qu’il a pu signer. Le démarrage de Ghosts V sonne à cet égard comme une belle et délicate introduction à un récit qui se mettrait en place. Le clavier est au centre des compositions, environné d’un bourdonnement profond et qui représente sans doute la menace que fait peser le monde sur les protagonistes principaux. Il se dégage cependant de Letting Go While Holding On et Together, deux pièces de dix minutes, une impression de sérénité et de paix. Le premier Ghosts est d’une manière générale empreint d’optimisme et d’espoir. Les tonalités sont claires, le paysage dégagé, comme si le jour se levait, comme si la brume se dissipait et s’annonçait une aube radieuse. With Faith mêle des motifs japonisants à un écho orchestral pour suggérer une dimension sacrée un peu cheap et qui rappelle un Enigma en plus subtil. Ghosts V est appliqué et délicat mais manque de motifs marquants et de puissance. Apart est gracieux mais plat tandis que Your Touch ne fait que taquiner les possibilités entrouvertes par l’ajout de sonorités synthétiques. L’ensemble manque d’émotion. Il n’en reste pas moins solaire et précis à l’image d’un Hope We Can Again émouvant et dont la progression, sur un peu plus de sept minutes, est magnifique, ou d’un fier et droit Still Right Here où la guitare introduite à mi-chemin égrène des notes qui rappellent vaguement un hymne national avant que Nine Inch Nails ne s’ébroue d’électricité comme s’il venait de terminer son échauffement.

Ghosts VI : inquiet comme Lovecraft

Ghosts VI est plus expérimental et intéressant que Ghosts V. La texture est plus épaisse, plus complexe, comme si le groupe avait entrepris de dérégler ses instruments et de tracer dans ce dérangement un sillon nouveau. La réponse est « dans les coins », suggère Around Every Corner, comme s’il s’agissait maintenant d’aller voir ailleurs si la vérité s’y trouve. Nine Inch Nails semble se mettre à la recherche de quelque chose, créant ainsi une forme de suspense et de tension autour de ses compositions. Les titres sont plus angoissants et l’agitation est palpable. Des forces sombres apparaissent et noient le thème principal, comme sur The Worriment Waltz, sans qu’on soit forcément emballé. Le drame imprègne le splendide Run Like Hell qu’on croirait tout droit venu d’un film de genre. La rythmique est plus marquée et un saxo à l’arrière-plan renvoie à l’univers moite et satanique d’un Angel Heart. Ce second disque suggère qu’il y a un récit à l’œuvre, que le protagoniste fuit la ville pour rejoindre une Amérique profonde (When It Happens à des allures de grand cabaret), inquiétante et hors du temps. Pas étonnant dès lors qu’on traverse de belles plages fantômes où s’empilent les symboles de l’Amérique (Another Crashed Car). Les témoins sont peu fiables, les hôtes d’un soir dérangés et mènent au cauchemar comme dans un prologue/épilogue lynchien (A Really Bad Night, Just Breathe, Right Behind You). Reznor nous embarque avec une belle facilité dans cette immersion sans images, sans parvenir complètement à nous impressionner par la force des compositions. La saveur de Ghosts VI tient en effet plus au tout qu’à la somme de ses parties. Il y a bien de temps à autre un motif qui émerge (le joli thème de Your New Normal) mais l’ensemble reste un peu terne par rapport à ce que livrent d’autres compositeurs qu’on estime plus doués pour ce genre de travaux. En renonçant à la violence et aux sautes de sons, Nine Inch Nails renonce quelque peu sur ce disque à sa signature. Turn This Off Please, titre le plus agressif du lot, aurait pu figurer une direction plus intéressante, car plus frontale et bruitiste, mais Reznor n’avait, sur ce projet, aucune envie d’y aller. La chapelle redevient claire et le narrateur épuisé (So Tired).

Ghosts V-VI ressemble à du Lovecraft dont on aurait ôté les fulgurances monstrueuses. C’est une évocation intelligente et sensible des paysages d’Amérique, hantés et cinématographiques, inquiète et régulièrement brillante mais qui ne révèle à aucun moment la menace et la force qu’elle dissimule dans le creux de sa partition.

Tracklist
Ghosts V: Together

01. Letting Go While Holding On
02. Together
03. Out In The Open
04. With Faith
05. Apart
06. Your Touch
07. Hope We Can Again
08. Still Right Here

Ghosts VI: Locusts

01. The Cursed Clock
02. Around Every Corner
03. The Worriment Waltz
04. Run Like Hell
05. When It Happens (Dont Mind Me)
6. Another Crashed Car
07. Temp Fix
08. Trust Fades
09. A Really Bad Night
10. Your New Normal
11. Just Breathe
12. Right Behind You
13. Turn This Off Please
14. So Tired
15. Almost Dawn

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