Les Car Seat Headrest sont l’un des groupes les plus marquants apparus ces dernières années. Mené par leur leader chanteur Will Toledo, le groupe a démarré comme un archétype lofi à l’américaine. Le jeune Toledo a appris la guitare en jouant du Nirvana dans sa chambre avant de passer aux travaux pratiques et de diffuser de la musique à foison sur Bandcamp. Après trois ou quatre ans de ce régime, le jeune homme gagne Seattle et constitue un groupe autour de lui avant de signer chez Matador qui amorce sa discographie officielle en lui demandant de réenregistrer quelques-uns des meilleurs morceaux de sa période bandcamp. Car Seat Headrest sort ainsi coup sur coup Teens of Style (cette compil revisitée) puis en 2016 Teens of Denial, son véritable premier album. Le disque est une tuerie qui s’inscrit toutefois musicalement en rupture avec l’époque des enregistrements lo-fi : Toledo envoie désormais du vrai rock indépendant électrique et puissant, dans un esprit proche de Pavement ou plus près de nous de Cloud Nothings. Après avoir à nouveau réenregistré en 2018, à la demande du label, l’album Twin Fantasy sorti initialement en 2011, Will Toledo continue de capitaliser sur son héritage avec un enregistrement live qui témoigne de la vitalité de la tournée engagée en Europe en 2018 et du nouveau statut du groupe.
Commit Yourself Completely agit comme une sorte de best-of en 9 morceaux. Les compositions sont plus qu’excellentes et raviront les fans de rock dynamique et alternatif. Les guitares crépitent, la voix éraillée de Toledo achève souvent les paroles dans la douleur et une vague impression de justesse, tandis que le groupe étire les séquences en moments épiques qui taquinent et dépassent souvent les dix minutes. L’album alterne les morceaux de bravoure punk et les bras de fer avec des moments plus subtils où on retrouve la délicatesse et la sensibilité du Toledo des premières années. C’est le cas sur l’impeccable Bodys, capté à La Lune des Pirates à Amiens, qui présente une première partie presque intimiste avant d’être aspirée dans une forme de classicisme choral et électrique. Sur de nombreux morceaux, on a cette sensation que le format groupe n’a pas apporté grand-chose aux titres originaux, si ce n’est leur permettre de se balader aisément dans des salles de plusieurs milliers de personnes et d’y mettre le feu, ce qui est, en soi, une bonne raison.
Toujours est-il qu’il y aura des nostalgiques qui préféreront toujours les premières versions de Drugs With Friends ou de Cosmic Hero à celles qui sont référencées ici. Mais ce serait faire la fine bouche que de ne pas se ruer sur cet album, tant il y a de matière à s’enthousiasmer. Quel autre groupe alternatif peut se payer le luxe d’enchaîner des chansons aussi impressionnantes que Fill In The Blank, sans conteste l’un des titres les plus géniaux de ces dix dernières années, Drunk Drivers/Killer Whales ou Destroyed By Hippies Powers ? Car Seat Headrest a tout bon dans sa manière d’engager les hostilités, de jouer avec la vitesse des chansons, de cabotiner autour ou de les allonger à coups de solos et de variations semi-improvisées. Fill In The Blank s’offre deux dernières minutes sublimes. Impossible de résister à la perfection canaille et punk qui se dégage de Beach-Life-In-Death ou à la reprise fantastique du Ivy de Frank Ocean. Car Seat Headrest incarne à la perfection ce qu’on a jamais aimé dans le rock américain depuis le début des années 90 : une énergie redoutable, une rage juvénile, pervertie par la grâce et l’insouciance des années de glande en faculté. Le jeu est fragile, la musique bringuebalante mais la mélodie toujours centrale dans sa manière d’accompagner la prise de distance par rapport au matérialisme des adultes et du pays. Toledo parle de ses amis, de l’alcool, des drogues, de la façon dont il tente de résister à une carrière et ses mots sonnent comme les plus justes jamais écrits et chantés par cette génération. On peut pour l’exemple reproduire deux couplets magnifiques de Beach-Life-In-Death qui est sûrement la plus chanson du groupe et la plus spectaculaire ici, enregistrée à Kansas City.
« I am almost completely soulless
I am incapable of being human
I am incapable of being inhuman
I am living uncontrollably
(…)
It’s not enough to love the unreal
I am inseparable from the impossible
I want gravity to stop for me
My soul yearns for a fugitive from the laws of nature
I want a cut scene, i want a cut from your face to my face
I want a cut, i want the next related video. »
Ne jamais être séparé de l’impossible. C’est bien ce dont il s’agit ici.
En signant chez Matador pour devenir professionnel, Toledo a pris le risque que sa musique devienne tout à fait autre chose et c’est évidemment ce qui est en train de se produire. L’avenir dira si Car Seat Headrest termine du bon ou du mauvais côté du couteau. Commit Yourself Completely porte bien son nom. C’est bientôt l’heure de vérité et il n’y a aucune raison de se retenir. Que le groupe réussisse ou se plante, la partie sera intéressante à suivre.
02. Fill In The Blank
03. Drugs with Friends
04. Bodys
05. Cut Thing
06. Drunk Drivers/ Killer Whales
07. Destroyed by Hippie Powers
08. Ivy
09. Beach-Life-In-Death