Retrouver Mogwai à ce niveau de qualité est un plaisir qui devrait suffire à nous rendre la rentrée plus facile. Si on n’a pas encore vu le film qu’elle illustre (qui sortira comme la musique le 31 août), la BO composée par les Ecossais donne une envie folle d’aller voir KIN: le commencement, blockbuster américain développé par les frères Baker d’après leur court métrage, et qui met en scène un gamin en cavale avec son frère (un ancien détenu) après avoir récupéré une arme… extraterrestre que ses propriétaires veulent également reprendre…
Le film se présente comme un film de science-fiction indé organisé autour d’une chasse à l’homme. Le gamin (noir) fait figure de héros tandis que James Franco incarne le méchant. Pour l’heure, on n’en dira pas beaucoup plus sur l’intrigue pour ne s’intéresser qu’au travail de Mogwai.
Malgré leurs qualités, les précédentes contributions de Mogwai au cinéma ne figuraient pas parmi leurs travaux les plus intéressants. La meilleure en date reste d’ailleurs probablement la première, cette illustration sonore du Portrait de Zidane pour leur ami Douglas Gordon en 2005. Atomic en 2016 manquait de peps (mais pas son sujet) et la BO des Revenants, malgré tout le bien que l’on pouvait penser des premiers épisodes de la série, s’imposait plus comme une musique d’ambiance que comme une collection véritable de « morceaux » (si l’on entend par « morceaux » des titres, là aussi instrumentaux, susceptibles de figurer sur un album du groupe). Il y a en effet, pour l’amateur, à distinguer le Mogwai des albums et le Mogwai des films bien que la matière première soit sensiblement identique, comme on distinguerait le rat des villes et le rat des champs. Sans surprise du coup, le meilleur moment offert par Mogwai au cinéma, après quasiment 20 ans de tentatives, était jusqu’ici à chercher dans la reprise par Michael Mann pour son Miami Vice de deux titres (Auto Rock et We’re No Here) composés pour un album (on y revient) et entrant en résonance de manière fascinante avec deux des plus belles scènes du film. Douze ans après, peu s’en sont remis.
La BO de Kin s’impose a contrario comme la première fois où une musique de film de Mogwai s’élève quasiment au niveau de qualité et d’intensité d’un véritable album. Et comme par hasard et un clin d’oeil de l’histoire, la BO de Kin sonne terriblement comme une version nouvelle de la musique proposée par Stuart Braithwaite et les siens à l’époque de Mr Beast. On ne cache pas que cet album, le 5ème du groupe à l’époque, est pour nous le dernier grand joyau de la discographie des Ecossais, voire le meilleur tout court en deux décennies. Les disques qui suivent sont, pour certains, magnifiques (Hardcore Will Never Die, But You Will, notamment) mais clairement en de-ça du sommet de puissance, de délicatesse et de variété atteint par le groupe sur cet album. Kin ressuscite, musicalement, le son du Mogwai imperturbable et granitique de Mr Beast, un groupe au sommet de sa cohésion, mené par un Braithwaite habité et qui (le DVD qui accompagnait l’enregistrement en témoignait) menait ses troupes d’une main de maître pour satisfaire une vision presque extralucide de la musique à venir. Le son Kin a cette pureté originelle mais aussi une apparence similaire, reproduite à l’ère numérique. L’électronique (paradoxal pour un film SF) a reflué au profit d’une texture riche en guitares et au contenu atmosphérique. Ce choix ouvre la voix à des progressions nouvelles mais au charme ancien qui nous permettent de renouer avec le Mogwai qu’on a aimé. A l’exception du thème final (We’re Not Done, splendide), la BO de Kin est muette, somptueuse et labyrinthique. La tension s’installe d’emblée avec le thème complexe, Eli’s Theme, associé au frère du héros. qu’un piano crépusculaire porte à bout de cordes. Scrap relaie l’inquiétude initiale, suggérant un monde sombre et en perdition, qui culmine dans un Flee épatant où fusionnent les instruments organiques et synthétiques. Ce morceau s’organise autour d’un double crescendo (sans explosion finale) contrarié en son milieu qui fait penser à un double mou du génial Glasgow Mega Snake. Mogwai, ici, ne fait jamais usage de sa monumentale puissance de feu mais se contente de la faire gronder en sourdine à l’arrière-plan, comme une menace sans cesse différée et qu’on garderait dans la besace pour des jours meilleurs. Les deux morceaux qui viennent ensuite sont remarquables : le mélancolique Funeral Pyre est beau à pleurer et nos sens immédiatement revigorés par la progression épique (6 minutes et 24 secondes) de Donuts, le grand morceau de cette BO. Il y a une emphase dans la prise d’espace et une amplitude dans la manière d’embrasser les notes qui non seulement s’adaptent parfaitement à l’ambiance cinématographique qu’on devine (mélange d’aventure, de fin du monde et de changement d’ère) mais renvoient à une forme désuète d’héroïsme de chevalerie. Mogwai n’est jamais meilleur que lorsqu’il se dresse ainsi de toute sa force et toute sa hauteur pour tenir la note.
Sur son dernier tiers, la BO s’apaise et coule le long d’un fleuve tranquille et lumineux. Guns Down et Kin suggèrent un apaisement, une forme de renaissance mélancolique où la vie repousse depuis les pertes et le sang laissés derrière. KIN est une réussite presque totale et une BO pleine de promesses qu’il faudra juger (bien entendu) au regard du film qu’elle sert. On y retrouve un Mogwai souverain et en pleine maîtrise de ses effets, auquel il manquera juste un unique morceau furieux et déchaîné pour ravir ses anciens fans. Les chefs d’œuvre tiennent à peu de choses. On n’est pas passé loin.