Thierry Jourdain / R.E.M. – Remember Every Moment
[Editions Le Boulon]

7.8 Note de l'auteur
7.8

R.E.M. Remember Every Moment - Thierry JourdainOn attendait avec beaucoup de curiosité cette première biographie française des Américains de R.E.M. A la fois parce que, bien qu’ayant écouté beaucoup en son temps la musique du groupe d’Athens, on en connaissait assez peu sur eux et ce qu’ils avaient finalement à dire comme groupe, mais aussi parce que la réputation d’un auteur méticuleux et souvent exhaustif de Thierry Jourdain l’avait précédé, exprimée à travers ses travaux sur Miossec, Elliot Smith ou encore Philippe Katerine.

Le résultat, R.E.M, Remember Every Moment (soit ce que le sigle du groupe signifiait pour la grand-mère de Michael Stipe à l’article de la mort) est un livre formidablement documenté, intelligent et qui, sur un peu plus de 250 pages serrées, propose une immersion dans la discographie du « plus grand groupe de rock américain » de  notre génération et peut-être bien l’un des premiers grands groupes alternatifs américains à avoir émergé. Fidèle à sa méthode, Jourdain y va pas à pas, disque à disque, alternant les analyses titre à titre et les pages d’interlude (2 ou 3 seulement entre chaque album) où il évoque la vie du groupe entre les tournées et les rapports entre les membres. Cette construction qui donne la part belle à l’analyse de la musique et des textes sibyllins, voire cryptiques à leurs débuts, de Stipe ravira ceux qui connaissent la musique par cœur. Elle perdra peut-être un peu en route ceux qui ne sont pas experts ès R.E.M, lesquels trouveront sûrement un peu trop brèves les transitions et les évocations de la vie du groupe et de la vie de ses membres. Jourdain est fidèle à sa méthode et à sa doctrine : il met le disque et la musique au premier plan et c’est un choix formidable pour qui s’est toujours demandé ce qu’on pouvait bien trouver à ce groupe.

R.E.M fait en effet partie des énigmes : il y a bien la voix de baryton extrêmement malléable de Stipe, son attitude, sa présence physique, sa sensibilité, la qualité de ses textes. Il y a la guitare de Peter Buck, rock et souveraine. La batterie d’un Bill Berry, précise comme aucune autre. Et puis l’addition des trois talents, leur histoire d’amitié et de professionnalisme, infiniment sérieuse et peu tortueuse comparée à d’autres groupes. Et puis une forme de magie qui fait de R.E.M, un groupe qui ne laisse rien au hasard, qui s’élève dès son premier concert et décrochera très vite une première partie du groupe The Police en tournée (parce que Buck connaît le frère de Copeland et lui avait demandé quelques billets gratuits pour assister au concert).

R.E.M est un groupe à succès et surtout « conscient » de ce qu’il fait : un groupe qui choisit de changer de ton entre les albums, d’appliquer telle ou telle méthode, de composer un tube parce qu’on lui en demande un ou parce que c’est ainsi, mais aussi un groupe qui, parce qu’il est trop compliqué pour l’univers FM et MTV, se heurtera après son ascension qui culmine en 1991 et 1992 avec les disques Out of Time et Automatic For The People, à une sorte de plafond de verre figuré par son intégrité et son exigence. Jourdain ne dit pas vraiment quel est le rapport du groupe au succès : il évoque à quelques reprises les tensions qui règnent, les interrogations personnelles d’un Stipe qu’on aurait aimé approcher de plus près.

Avant Nirvana (dont il est question aussi pour l’admiration que Cobain vouait à Stipe et vice versa), R.E.M connaît cet étrange itinéraire du groupe qui vient de rien et écoule par mégarde des disques par wagon. Jourdain parle de l’amitié simple qui relie les membres du groupe. On lui reprochera juste de ne pas s’intéresser tant que ça à ce qu’est la vie de chacun de ces hommes : ce qu’ils aiment, ce qu’ils pensent, avec qui ils couchent et quelle est la couleur de leurs chaussettes. L’approche est aussi professionnelle et anti-people que l’est le groupe lui-même, si bien qu’on a le sentiment après la lecture que si on comprend mieux la musique du groupe (on avoue qu’une bonne moitié des textes nous était restée imperméables), on n’est pas certains d’avoir appris grand chose sur la psychologie du groupe, sur ce qui anime leur dynamique de groupe. Jourdain évoque en revanche soigneusement les amitiés du groupe, ses engagements politiques et artistiques, sa générosité et son extrême application.

A travers cette biographie, et on peut s’en féliciter, R.E.M émerge conforme à ce qu’il sonne : emballant et en maîtrise permanente, formidablement riche et en même temps discipliné dans l’attitude rock, intelligent mais aussi passionné et un brin fragile. R.E.M reste aussi fascinant qu’un tantinet discret et difficile à cerner. De quoi parlent-ils ? Parlent-ils de l’Amérique ou d’autre chose ? Le groupe est doué et s’est réinventé presque sur chaque disque. Il n’y a guère eu que U2 qui court toujours pour oeuvrer dans la même catégorie mais à l’échelon commercial du dessus. R.E.M est le groupe indépendant et majeur par excellence. C’est aussi un groupe qui n’a pas d’héritier direct : The National peut-être, dans une époque différente. Un groupe unique et dont la discographie peut s’explorer sans fin et se redécouvrir à tout moment. C’est ce à quoi nous invite Thierry Jourdain avec brio.

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1 Comments

  1. says: Cédric

    Très bonne analyse de cette biographie qui arrive sans doute au bout moment, en prenant du recul sur la carrière de ce groupe insaisissable et hors-normes (dans tous les sens du terme).

    Il y a eu au milieu des années 90 une bio traduite en français : « Document » qui se penchait déjà bien sur le groupe et surtout la période IRS. Elle abordait notamment le mal-être de Michael Stipe dans sa vingtaine.

    En tout cas la bio de Thierry Jourdain arrive à faire la somme de l’œuvre et du parcours de R.E.M. Dommage en effet de ne pas saisir la tension réelle qui pouvait animer le groupe lors de sa dernière décennie par exemple. Ça laisse encore et toujours planer le mystère sur cette fin de carrière profondément digne mais infiniment frustrante pour tout amateur de bonne musique. D’autant que Accelerate est un très chouette album qui a été suivi d’une super tournée. D’ailleurs le succès relatif du groupe en France est un autre mystère.

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