Il aura fallu une pandémie mondiale et une rencontre à distance avec la musicienne londonienne Dee Sada pour que le génial Écossais Fergus Lawrie revienne à ses anciennes amours noisy pop et nous gratifie de l’un des albums les plus aériens, électriques et réussis de l’année. Ceux qui suivent ce site savent combien on est attachés aux pas du guitariste chanteur de Urusei Yatsura et à ses divers projets. Cela fait toutefois plus de quinze ans que Lawrie oeuvre dans un champ, la drone music, qui laisse assez peu l’occasion de s’emballer. Mais les choses sont très différentes avec ce Morning Hairwater, premier album en neuf pièces et autant de singles de Paper Birch.
On a déjà parlé du single, Summer Daze, sorti en éclaireur et des promesses qu’il avançait. Morning Hairwater les relève toutes ou presque. Le disque est une réussite éclatante de bout en bout avec des pièces plutôt classiques et quasi acoustiques, gracieuses et délicates, comme Love For The Things Yr Not, et des choses plus âpres et complexes. Elegy (As We Mourn) chanté par Dee Sada est un titre crépusculaire envoûtant et morne comme un champ mortuaire. La répétition caractéristique du drone est quasi éteinte à l’arrière-plan, tandis que la voix elle-même étouffée évolue dans un brouillard électrique fantomatique. On reste baba d’admiration devant la beauté du titre 4, I Dont Know You, balade californienne pure et parfaite, chantée par un Lawrie au sommet de son art désinvolte et soutenue par une simple ligne de guitare épaisse. Le groupe installe des arrangements à mi-chemin (une guitare n°2) qui sont d’une simplicité élémentaire et qui donnent pourtant au morceau une dimension et une profondeur extraordinaires. La musique de Paper Birch a retenu de la drone music, l’idée de ne jamais en faire trop, de ne pas rechercher les effets décisifs (un riff, un refrain faciles) mais plutôt celle d’installer une ambiance, de la cultiver dans l’abstraction puis d’y déposer une cerise en offrande (une voix, un motif) qui explose sous l’oreille comme une sensation éternelle ou un baiser furtif. C’est ce sentiment là qu’on éprouve au contact d’un morceau d’apparence anodine comme Hide, celle de devoir chercher la chanson sous la gangue, de la découvrir comme on déshabillerait un homme ou une femme.
Lorsque la pop, lisible et cristalline, reprend le dessus, c’est comme un enchantement tant tout ce que touche le duo paraît aisé et gracile. Cemetery Moon ressemble à un grand morceau des Cocteau Twins. Le final réserve deux belles surprises aun peu académique et lofi : Curse, comme tombé du ciel et assemblé à la machette et l’extraordinaire Fallen, morceau de magie essentielle où les notes tombent comme des corps somptueux d’un ciel entrouvert. Le travail sur le son est épatant et le mixage (pour un album enregistré uniquement à distance et en assez peu de temps), le résultat d’années passées par Lawrie notamment à travailler sur la matière. MorningHairwater est fascinant et troublant jusque dans ses dernières secondes passées à faire vrombir les guitares, crisser les pédales d’ampli.
Ce disque n’a pas une ambition démesurée mais il la dépasse par son évidente spontanéité et la pureté de ses intentions. L’alliance de la mélodie et de la haute/basse fidélité, de l’électricité et de l’art des hommes pour frissonner dessous, y frôle une perfection (mineure) qui est réjouissante.