Tube d’Halloween n°2 : Underworld dévoile sa pleine lune

Underworld - denver lunaUnderworld, voilà un groupe qui a niqué nos vies (et nos nuits), à un moment où l’on découvrait la jeunesse désabusée post-sida et post-Thatcher avec un certain Trainspotting ayant fait légende commune. Qu’on le veuille ou non, on ne serait échappé à cette génération (qu’on l’ait embrassé ou pas), nos vies étant quotidiennement touchées par la vision de hordes de zombies plus jeunes fonçant dans la gueule d’un libéralisme tout sourire et vorace, monde de plus en plus inextricable et inutilement complexe, laissant hors de lui ses hères gambader dans ses centres-commerciaux et autres futurs métavers. Personne ne sera épargné ; il ne reste donc plus qu’à danser sur nos peines, et c’est à quoi Underworld nous exerce depuis plus de trois décennies avec ses rythmes soutenus, oscillant entre une pop toute en célérité et une techno bien abrasive, l’ensemble parsemé de paroles périclitantes, calmant l’émollient subterfuge dans lequel on beigne. Le groupe, qu’on a toujours considéré comme des Pet Shop Boys moins cyniques, mais plus radicaux encore, revient avec un court morceau … de 8 minutes, dans la plus pure energy de ce début des années 90, lorsque le post-punk et la techno s’entrecroisaient à l’Haçienda – et Underworld en est l’enfant incestueux – et que le phénomène rave rameutait orphelins et laissés-pour-compte. Où es-tu, ô monde admirable ? Dans les limbes de la cuvette, au fond à gauche, oui madame…

Denver Luna, donc. On dira avec pudeur que le morceau est inflammable, épique, peut-être même œcuménique. Avec ses nappes oxydées, la comparaison avec leur morceau le plus célèbre, Born Slippy (Nuxx), est inévitable. On retrouve donc leur univers, mais aussi la souche plus large de groupes britanniques aussi hétéroclites qu’Orbital, Leftfield, The Prodigy ou The Chemical Brothers. Le morceau, par le désespoir apaisé et charismatique de Karl Hyde, rappelle l’angoissant Downpipe que le duo avait produit avec Mark Knight et D. Ramirez. On descend dans les tréfonds des montagnes intérieures du duo, loin loin…

Gun gun gun shot she said / Keep it silent, silent beautiful in your head shot
Shot laughin’ / A horn, a horn, a horn hit the siren come man the
Phone it’s sunny, sunny, sunny in the mornin’ you / Can cry some other time we are runnin,’ we are
Runnin’, we are runnin’ / A sleepin’ girl kiss, kiss the animal

On est pas sûr d’y comprendre grand chose, mais de ce fil de paroles aléatoires et cryptiques, volontairement scandées de manière atone sur un rythme de battue galvanisant, le duo semble nous souffler de ne jamais céder à la course de la vie, peu importe les dégâts, unique opportunité d’échapper – même pour quelques minutes – aux multiples aliénations (technologie et violence sont évoquées par éclats) d’un terrible présent. On pense alors à Alexandre Soljenitsyne, mais plus encore au « Please try to kiss the animal inside you trying to bite you yes yes. Please try to kiss the nothing that is waiting for you yes yes » de la poète Hannah Emerson – ah, cet animal sauvage qui sommeille en nous, qui tarde à émerger! C’est l’éternelle ambivalence de la musique électronique, musique des machines par excellence –  en intelligence avec l’ennemi, dirons certains – par nature sérielle, abrutissante, se voyant alors détournée, devenant arme de subversion devant provoquer un réveil, pure réaction animale amenant aux portes d’une potentielle émancipation. Calmons les ardeurs de révoltés en chemisette, disons plutôt : de quelques instants volés. On pourra toujours critiquer Underworld sur le fait que c’est encore la même recette (et c’est en soi légitime), mais on a toujours pas vu un groupe manier les bâtons de la techno et de la pop avec une telle dynamique. Courage, fuyons quelques secondes !

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