Ne comptez pas sur nous pour dézinguer le jour même celles et ceux qu’on avait encensé la veille. On ne regrette pas un mot de ce qu’on écrivait il y a un peu moins de 18 mois en découvrant le premier album de Dry Cleaning, New Long Leg: vrai découverte et superbe réalisation atypique né de la confrontation d’une chanteuse conceptuelle usant du spoken word comme d’un art majeur (délicieusement arty) et d’un groupe rock ascendant jazz doué et imaginatif. A bien des égards, Stumpwork, le deuxième album du groupe, vient confirmer cela : c’est un disque immersif, mélodique à souhait (Kwenchy Kups), aussi intelligent et passionnant que le premier. La production assurée par John Parish une nouvelle fois donne un peu plus de place à la voix sensuelle et hypnotique d’une Florence Shaw qui continue de chanter sur elle-même, la sensualité féminine, la famille et se targue dans ce nouveau disque de faire un peu de politique (Anna comes from The Arctic ou Conservatice Hell).
Le résultat n’est musicalement pas très éloigné du premier album dont ce Stumpwork constitue le prolongement immédiat et naturel. On retrouve le talent du groupe pour habiller des mélodies soyeuses et assurées comme sur l’excellent Gary Ashby, l’un de nos titres préférés.
It was a bad surprise
Have you seen Gary?
With his tinfoil ball
He used to love to kick it with his stumpy legs
Shoop-shoop-shoop-shoop
Shoop-shoop-shoop-shoop
Shoop-shoop-shoop-shoop
Gary Ashby
Have you seen Gary?
Family tortoise
C’est quand même du grand art : raconter l’évasion d’un tortue domestique. Certains morceaux comme Driver’s Story sont clairement moins marquants mais il y a ici suffisamment de variété dans les approches et de rebondissements dans les textes et les arrangements pour qu’on ne s’ennuie pas une minute. Le regard de Florence Shaw est perçant et ses textes souvent complexes, mêlant observation sociale, dévoilement intime, le tout enrobé dans un joyeux mystère lexical qui maintient l’intérêt jusqu’au bout.
Hot Penny Day
Hooked over man, woollen woman
I don’t want to empty your bank account
And give you nightmares, but
I guess I don’t ever ask for what I want
I see male violence everywhere
Beautiful face, softness
I think ‘big soft bed club’
Hazmat suit, yeah, health first
Are these еxposed wires all good
Near thе steam?
On peut trouver cela redondant mais qui écrit aussi bien aujourd’hui ? Qui est capable de nous proposer des paroles avec cette richesse et cette portée sans avoir l’air d’y toucher ? le groupe n’est jamais en reste, même s’il est moins mis en avant ici. On avait salué sur le premier disque la capacité des musiciens à montrer les muscles et à poser des séquences noise ou du moins électrisantes entre les couplets. Cette qualité est clairement atténuée ici, puisque le parti pris est bien plus d’accompagner la chanteuse que de conduire. Mais cela n’enlève pas tout l’espace de jeu au groupe qui finit par dominer un titre tel que No Decent Shoes For Rain en proposant un beau travail exploratoire à la guitare qui évoque tant le jazz rock que les solos passionnants d’un Stephen Malkmus sur scène. L’ensemble manque peut-être un peu de force et de caractère par moment, ce qui ne nuit pas tant que ça à la fluidité et au sentiment d’harmonie qui se dégage du tout. Le groupe est très présent et responsable de l’ambiance étouffante d’un Liberty Log minimaliste et tout en percussion. C’est dans cet équilibre fusionnel entre le bruit et la voix que le travail de Dry Cleaning continue d’impressionner. On aurait aimé que ces moments de convergence soient plus nombreux et plus évidents sur Stumpwork qui, en donnant un peu trop d’importance à sa chanteuse, a quelque peu décentré sa musique.
Malgré ses petits défauts (tout à fait compréhensibles pour un deuxième album), Stumpwork est un disque passionnant et exigeant, remarquablement contemporain, dont on recommande chaleureusement la fréquentation. Florence Shaw confirme son talent de parolière et de chanteuse et sa capacité à exprimer avec force une féminité complexe et fascinante. C’est déjà beaucoup au point qu’on est presque prêts à pardonner la couverture en « poils de couilles et savonnette » du disque qui nous traumatise à chaque fois qu’on décide de glisser le disque dans la platine.