Il n’y a pas mieux que le rock anglais pour faire du rock anglais. Et tant pis si nos oreilles doivent rester bloquées éternellement quelque part au milieu des années 90, mais cet album solo de Jim Bob, l’ancien taulier du Carter The Unstoppable Sex Machine, nous semble aussi parfait et abouti qu’il est possible de l’imaginer. Sans doute est-ce que cet album, Pop Up, sera pour beaucoup l’occasion de redécouvrir le travail de cet immense chanteur et songwriter dont la qualité d’écriture n’a pas grand chose à envier aux grands chroniqueurs poético-sociaux de l’Angleterre tels que Morrissey et Jarvis Cocker. James Neil Morrison est de surcroît un excellent guitariste et un showman doué, ce qui rend surprenant qu’il n’ait pas fait plus de choses et enregistré de vrais disques en solo avant aujourd’hui. Le Carter USM a tout de même baissé pavillon après une petite décennie de reformations et réapparitions en 2014. On peut supposer que Jim Bob a pris le temps de peaufiner cette sortie. Et cela s’entend à tous les étages tant les compositions sont de qualité et les textes travaillés.
Pop Up est excellent d’où qu’on le prenne : la couverture est formidable et l’intérieur du disque une petite merveille avec ses dessins du chanteur en policeman ou en Robin des Bois, mais on est évidemment là pour les chansons et cela tombe bien, il y en a plein ! Cela démarre en fanfare avec un prologue soigné puis un Jo’s Got Papercuts qui parle de lui même, enlevé, vivant et d’une intelligence rare. On ne peut pas s’empêcher de reproduire ici quelques uns de vers incroyables dont Jim Bob nous gratifie ici à travers l’histoire de cette Jo qui conserve des coupures de journaux morbides et ultraviolentes. « Jo knows. Jo knows it is what it is now. She knows she can’t dance to the Smiths now. Jo knows which side she is on.// And everyday she’s doing her best to stay sober/ But people keep fucking her over/ Jo doesn’t know any more/ What she’s for or against. »
C’est ce qu’on appelle du grand art. L’album a pour thème principal le trouble de l’époque, l’indécision politique et une forme de désenchantement quant à la vie en société. Kidstrike! décrit un pays à l’arrêt où les enfants ont déserté les écoles pour prendre part à des émeutes. Il décrit des flics désorientés et qui ne savent plus où donner de la tête. Mais c’est surtout une chanson forte, mécanique et qui, à grands renforts de xylophone et de choeurs, rejoint les travaux d’un Luke Haines période The Oliver Twist Manifesto et Christie Malry’s Own Double Entry pour décrire le trouble de la jeunesse. On trouve dans la mise en place joueuse et le recours à des enregistrements « du réel » une vraie proximité également avec la force et l’énergie du C’mon Kids des Boo Radleys, ce qui, là encore, ne rajeunit personne. Mais Jim Bob prend une autre dimension lorsqu’il devient lyrique et aligne des textes d’anthologie comme sur l’épique et sublime Truce.
Le pouvoir de suggestion d’un tel titre est immense. La portée politique vaut celle d’un Billy Bragg (on n’ira pas jusqu’à aller chercher Lennon, mais on n’en est pas si loin) mais la sophistication de l’arrangement, le mélange de la voix principale et du chant féminin, la lisibilité du phrasé produisent un effet de saisissement stupéfiant. Truce, avec ses presque six minutes, est un morceau clé du disque et un morceau qui témoigne des ambitions immenses du songwriter qu’est devenu Jim Bob. L’ensemble est académique, terrifiant à bien des égards, sans véritable variation de rythme mais si granitique et bien mené qu’il en impose. Le chanteur récidive, dans le même esprit mais avec moins de réussite, sur un Ted Talks plus incisif et rentre-dedans mais qui tourne un peu à vide passé la phase de lancement.
C’est évidemment le risque lorsqu’on aligne des textes de plusieurs pages : l’essoufflement ou l’enlisement, la difficulté à moduler et à remuer le morceau. Jim Bob y échappe en se souvenant que le Carter USM a aussi été la plus formidable machine à danser que l’Angleterre des 90s a mis au monde. Son WTF2020! est d’une belle évidence punk et s’ébroue en moins de trente secondes. Plus loin, le ton s’adoucit autour d’un refrain ultra pop sur l’excellent If It Aint Broke. Ce morceau qu’on peut lire comme une chanson anti-Trump (« you’ve got the whole world in your hands/ and you burn it, frack it. Poison the wells and the land. Deny anything you dont understand.« ) ou plus largement pour une charge contre les puissants et aveugles de ce monde, invite à reprendre son refrain en coeur et ça marche. L’alternance de morceaux directs et entraînants (le chouette Barry’s On Safari avec ses claquements de mains) et de choses plus conséquentes et travaillées fonctionne à la perfection.
On mettra en avant, parmi les onze titres le final You’re Cancelled and We’re Done, courageux et très réussi, mais surtout l’immense Big Boy, sorte de prodige confessionnal au ralenti, qui épate par sa densité et sa capacité à évoquer l’intimité désordonnée du chanteur. « I can’t help my weakness show. I’m a big boy dont you know. And i’m not a snowflake. I’m not overly emotional. I may be easily offended. If i’m cancelled or unfriended/ And maybe i’m unique/ And i melt in the heat/ But i’m not a snowflake ». Big Boy est l’une des quatre ou cinq grandes chansons ici. Cela fait vraiment beaucoup pour un seul album, avec cette amplitude dans le jeu de piano et cette maîtrise totale du crescendo émotionnel. La texture du son est d’une belle richesse et marque un véritable progrès comparé à la relative brutalité des réalisations du Carter USM. Jim Bob est entouré d’un groupe de studio baptisé les Hondrats et qu’il faut honorer ici. La production est assurée par John Clayton, qu’on retrouve aussi sur les crédits à l’orgue, au Glockenspiel et aux percussions. Pop Up sent bon la réalisation mûrie au long cours et mise en musique dans un élan de fraternité et de rassemblement autour de son auteur/conteur.
Tout ceci se sent à l’écoute et contribue à faire du disque une excellente surprise. On ne résiste pas à l’envie de terminer cette chronique en présentant une vidéo de Jim Bob tel qu’il se présentait récemment sur site en acoustique. Cela donne une idée du personnage, de ce à quoi il ressemble et de son immense talent.
02. Jo’s Got Papercuts
03. Kidstrike!
04. Ted Talks
05. Truce
06. 2020 WTF!
07. If It Ain’t Broke
08. Big Boy
09. Barry’s On Safali (in His Safari Suit)
10. #thoughtsandprayers
11. You’re Cancelled and We’re Done
Largement mieux que Sleaford Mods dans le style music for lads. J’ai réécouté Carter USM grâce à votre chronique. J’avais assisté au concert de Carter USM à l’ancien Bikini à Toulouse à la sortie de 30 Something. Ils étaient juste 2 sur scène avec une beatbox et un synthé à balancer leur disco punk. En réécoutant Carter USM, je trouve aussi que Fat White Family doit un peu quelque chose à Carter USM
Tout à fait d accord. Je n ai vu qu une fois carter usm en Angleterre lors d une virée. C était un peu de la folie et oui je suis assez d accor c es un bon compromis entre la pop anglaise et des trucs déjantés et plus électro. Fat White family (un peu moins maintenant) était dans ce registre la et primal scream il y a bien longtemps proposait ça aussi. C est plus varié et aussi intense à mon sens que sleaford mods. Plus écrit sans doute même si sleaford a d autres qualités et est peut être plus percutant. Enfin bref c est un territoire que j aime et qui change du rock plus encadré et classique.