Chevalien / Moonglasses EP
[Ghostcoast]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Chevalien - MoonglassesOn a beau suivre ses productions une à une, le mystère Chevalien reste intact disque après disque. On s’était interrogé en vain sur son patronyme, sur ses origines, mais c’est sa musique qui continue d’interpeller par sa capacité à surprendre, à terrifier ou à séduire. Le mécanisme s’enclenche à nouveau avec une facilité extraordinaire sur le premier morceau de ce nouveau EP qui en contient cinq dont, en figure de proue, l’assez génial Bleu Blanc Blood dont on avait parlé à sa sortie.

Le Moonglasses Ep démarre ainsi avec un Retaliate intrigant et radical. La structure rythmique rappelle les débuts du punk industriel ou une chute de studio des premiers Pere Ubu à la mode trap. On part ensuite dans un registre dark pétri d’électro et d’infrabasses qui déborde le cadre de tous côtés avant d’être contaminé par une voix d’outre-tombe et menaçante au refrain. « The world is still burning so no i’m not smoking. I took a look i had to stop to catch my breath yet i wasn’t jogging….Yeah ! You & i You & i should DIE. » L’understatement est de sortie. Le texte est tendu entre vocabulaire guerrier de fin du monde, imminence d’un combat final et saillies qui renvoient à des détails sentimentaux ou tirés de la vie quotidienne. Le deuxième morceau, Moonglasses, est encore plus impressionnant à cet égard. C’est probablement le meilleur titre des cinq, sur le plan de la composition et de la structure, tant il regorge de trouvailles et de rebondissements. On se croirait d’abord chez Suicide mais dans un Suicide ravagé et dépassé où les Terminator de Sky Net auraient emporté la mise et débarqué Martin Rev de derrière son synthé. Le premier vers à lui seul vaut le déplacement : « Would you suck a robot’s cock for a bitcoin ? », interroge un Chevalien crâneur avant de rebondir sur un définitif et sexuel « Rub it between two iPhones that’s a Steve job ». Pour les non anglicistes, le jeu de mots tient sur la confusion entre Steve Job (le nom de la Pomme) et l’anglais pour « pipe » (job).  Certaines images de Chevalien sont si fortes qu’elles emportent tout sur leur passage. Moonglasses réussit le petit miracle en moins de cinq minutes d’être à la fois dansant, glaçant et révolutionnaire. C’est Prodigy, The Chemical Brothers et les frères Hartnoll dans le même bateau en feu qui viennent vous chercher des noises sur le parvis. La violence est contenue tandis que le chanteur exprime la rage et la rébellion le sourire aux lèvres. Le rapport à la technologie est lui-même plus compliqué qu’il en a l’air. Moonglasses aurait fait une belle bande son pour une lecture de Maurice Dantec donnée dans une ruine Urbex.

Chevalien sonne plus souvent punk qu’autre chose. Son chant tient à la fois du rock, du metal et du (t)rap. Il brille lorsqu’il évolue entre ces trois mondes, tissant une toile intime et personnelle entre cold wave, dark hip-hop et post-punk. Black Speech est un peu moins intéressant de ce point de vue mais se raccroche à la complexité d’une production impeccable. Le texte est, comme à chaque fois, chargé de nervosité et de colère, mais en même temps plutôt drôle. On adore la chute où après avoir refusé (ou pas) l’amour d’une fille, le chanteur conclut dans un grand moment de cynisme : « Corpses make over, Gemey Maybeline. » Contrairement aux apparences, il y a un humour dévastateur qui s’exprime à travers ses morceaux et les distingue du tout-venant. Il ne s’agit pas ruer dans les brancards ou de faire peur aux enfants : Chevalien chante pour contrer les démons qui hantent le monde et livrer une croisade pour l’authenticité et la résistance des cœurs humains. La production, souvent ample et presque grandiloquente vient souligner la force des enjeux et donner un tour chevaleresque aux joutes verbales et musicales. Chevalien déploie, à travers ses morceaux, une forme de panache qui vient se heurter à la violence du monde. C’est ce monde fragmenté et fracassé qui est le produit et l’origine de la violence. La musique, dans sa forme la plus brutale, devient un outil de libération et rejoint sa destination première. Le EP se referme avec l’énorme Sunderground, remixé par Zero Gravity, planant et étalé sur cinq minutes qui en valent dix.

Ce Moonglasses EP est un jalon important par sa puissance d’évocation et sa force contestataire. Le pays manque de ces expressions radicales où le fond et la forme se rejoignent sans céder sur la poésie et les métaphores. On peut faire de Chevalien une sorte de Marilyn Manson électro français, parce qu’il se représente parfois ainsi, mais il est en réalité beaucoup plus dangereux que ça et que le théâtre d’opérette.

Tracklist
01. Retaliate
02. Moonglasses
03. Black Speech
04. Bleu Blanc Blood
05. Sunderground Remix
Liens
le site de l’artiste
L’artiste sur Facebook
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *