Le dernier souvenir qu’on gardera de lui était un de ces fameux concerts du confinement qui fleurirent l’an dernier un peu partout. Pat Fish abordait l’exercice dans un mélange de curiosité amusée (parler à un public qui n’existe pas ou ne s’exprime qu’à travers le fil de discussion) et de plaisir, ayant identifié que ces petits exercices de style où il interprétait quarante ans de chansons en piochant à droite et à gauche dans une discographie généreuse et pas si simple à explorer ravissaient l’assistance. Sa gentillesse et sa concentration guillerette emplissaient l’écran, tandis que ses doigts couraient le long de sa guitare, avant de rejoindre, de temps à autre, le verre de vin blanc qu’il avait posé (non loin de sa bouteille-source) sur une table ronde de bois brun.
Pat Fish était un sacré musicien. Et un sacré buveur. Il avait donné il y a six ans une interview entière consacrée à son goût pour la bière et les spiritueux qui est un délice et une promotion remarquable (terrible) de la boisson pour la boisson. Cela, bien sûr, n’était pas sans effet sur l’homme, et sans doute pas sans effet sur sa musique, même si celle-ci, de plus en plus drôle et iconoclaste, mais aussi poétique avec les années, semblait directement connectée aux effluves enivrantes qu’il se mettait dans le pif. Pat Fish était pour beaucoup le mélange de Lou Reed et de Paul Mc Cartney, un compositeur au don inné pour les belles mélodies mais aussi un parolier habile, social, très cultivé (il était diplômé de philosophie et faisait partie de la génération des chanteurs étudiants ayant émergé dans les années 70 de Londres à Oxford, intelligents, intéressés par l’histoire culturelle, sociale et urbaine du pays). »J’ai peur de mourir brutalement si je m’arrête de boire, expliquait-il. C’est pour cela que je ne laisse jamais passer une journée sans picoler. » Est-il à sec ces derniers jours ?
On se demandait dans le dernier article qu’on avait consacré à son groupe principal The Jazz Butcher et à la réédition de ses quatre premiers albums, pourquoi Pat Fish n’avait pas eu plus de succès. On ne le sait toujours pas : ses chansons avaient ce petit brin de dérangement qui faisait parfois penser aux Kinks, elle avait aussi cette petite part de fragilité qui pouvait inquiéter un public plus large ou mainstream, car c’était aussi l’une des caractéristiques de la musique de Pat Fish : sa capacité exprimer sa peur, sa peine (sentimentale, souvent, répétée au fil des ruptures et des abandons), ses banqueroutes (nombreuses), ses luttes. A l’instar de Daniel Treacy, il définissait son art comme une forme d’artisanat aspirant d’une certaine manière à un succès plus large mais qui, par nature, s’en barrait l’accès parce que trop près de l’homme et laissant transparaître, en creux et sous les formes douces, des failles, un cœur battant, celui d’une Angleterre de l’Après Guerre inconsciemment marquée par une angoisse. Pat Fish était, avec quelques autres, l’incarnation du sublime pouvoir de la pop indé, un genre indéfini mais irréductible à la pop tout court car présentant (sur chaque note, sur chaque interprétation, chaque couac) cette faille qui déchirait l’espace et où s’engouffrait une émotion troublante, trop humaine. Pas de pitié pour le génie, titrait-on alors. Tristesse, compassion, peine, oui.
Pat Fish devait se produire sur scène dimanche dernier. Il avait annulé suite à un coup de fatigue et reprogrammé le concert pour le dimanche suivant. Il se murmure que le concert pourrait bien avoir lieu. L’endroit n’a pas encore été dévoilé. Ceux qui veulent en savoir plus pourront se mettre sur les rangs et acquérir le coffret 4 CD qui sort en novembre et reprend les faces A (et B et C) du groupe dans une sorte de complément aux rééditions précédentes. Plus qu’un long discours, cela vaudra mieux pour se faire une idée de qui était le bonhomme. La plupart des personnes qui avaient assisté à ses concerts avaient fini par lui parler. Il avait une anecdote pour chacun et livrait les souvenirs et les attentions à la pelle. Cela en dit long. On pourra s’enfiler une German Kümmel à sa santé ou une Chartreuse Verte, une Pilsner. Ce qu’on veut.
Merci pour ce bel article…!! C’est drôle parce que vous écrivez « La plupart des personnes qui avaient assisté à ses concerts avaient fini par lui parler ». Il se trouve que, après assisté à de nombreux concerts du Jazzbutcher depuis 1987, j’ai eu l’occasion de lui parler lors de son dernier et ultime concert en France, à Malakoff en septembre 2019… Il était moins une…!!
Il était effectivement charmant et moi trop intimidé pour avoir été capable de dire des choses très pertinentes… Mais cela reste forcément un souvenir et marquant…
Merci en tout cas, ça fait plaisir de savoir qu’il y a des gens par ici qui pensent autant de bien de la musique de Pat Fish et de Pat Fish lui-même…