Alors que l’album Hex de Bark Psychosis vient enfin de faire l’objet d’une réédition (certes dans une version minimaliste sans plus-value si ce n’est le toilettage du mastering) treize ans après sa parution originelle, on tient peut-être là un album qui pourra soutenir la comparaison à l’usure du temps. On doit encore à ce stade pondérer le propos et parler au conditionnel, mais le fait est que Portico Quartet transcende allégrement les espoirs suscités par ses cinq précédents albums à l’issue d’un long processus évolutif initié il y a plus de dix ans.
En 2015, alors que le groupe raccourcissait son patronyme au simple Portico après le départ consécutif de deux de ses membres, Living Fields paru pour le compte de Ninja Tune était marqué par des invités de choix qui prêtaient leurs voix aux compositions de Jack Wyllie. L’album était déjà une réussite majeure, malheureusement aussi peu médiatisée que Your Love Means Everything de Fautline (2002) dans un registre proche.
Cette fois-ci, le compositeur-saxophoniste n’a pas fait appel à qui que ce soit au groupe pour incarner sa musique. Le quartet recomposé présente un line-up hors du commun : Duncan Bellamy s’occupe de la batterie (et cosigne les compositions pour la première fois), Milo Fitzpatrick est à la (double) basse, tandis que Keir Vine utilise un hang, un instrument hybride combinant « le gong, le gamelan, le ghatam, le tambour, la cloche ou la scie musicale » (dixit l’encyclopédie en ligne dans une description qui peine à faire deviner quelle note peut produire ce truc !). Autant dire que Portico Quartet ne sonne comme nul autre. Ceux qui bornaient le groupe à un créneau « électro » ou « jazz moderne » auront toujours tout faux, en essayant de classifier en fonction de codes qui relèvent de la technique plutôt que de considérer la démarche artistique où l’émotion et la sensibilité prévalent.
Art In The Age Of Automation (Gondwana Records) explose les frontières. C’est un disque électronique empli de sonorités acoustiques, un disque instrumental qui raconte plein de choses, un disque cérébral qui donne la bougeotte, un disque visionnaire qui s’adresse à l’intime. Un album qui ferait aimer le saxophone – c’est dire ! Car c’est bien cet instrument souvent détesté qui donne sa coloration caractéristique au disque en dialoguant avec une rythmique fourmillante. Voilà qui n’est pas sans évoquer la période de transition Fridge / Four Tet sur les deux sommets que sont Objects To Place In A Tomb et A Luminous Beam (rehaussé d’une bonne dose de dub). Les Anglais conjuguent les notes bleutées et le stroboscope, éclipsant d’un revers de main les effets de style pour allier sensualité et immédiateté. A l’heure des produits standardisés et interchangeables de la pléthorique production discographique mondiale, Art In The Age Of Automation est un album singulier dont on mesurera la portée réelle à l’aune du temps. Dans l’immédiat, il est déjà d’ores et déjà acquis, qu’on l’écoutera jusqu’à l’enivrement.
02. Objects To Place In A Tomb
03. Rushing
04. Art In The Age Of Automation
05. S/2000S5
06. A Luminous Beam
07. Beyond Dialogue
08. RGB
09. Current History
10. Mercury Eyes
11. Lines Glow