Pour fêter ses quarante ans d’écoute au-delà du raisonnable et d’achats compulsifs de disques de rock, de pop et de quoique ce soit d’autre, notre rédacteur Olivier s’est plongé dans sa discothèque pour en retirer 4 disques pour chaque année en 4. Un exercice forcément très (trop) partiel, mais qui convoque quelques beaux souvenirs.
Noël, 12 ans, un billet de 100 Francs, un coup de vélo vers le petit supermarché du village dont le rayon vinyl est plus incroyable que celui de la moitié des grandes surfaces pseudo-culturelles actuelles et le premier album « rock » est dans mon escarcelle. Il y aurait eu plus mauvais choix pour un gamin de 12 ans et celui-ci conditionne forcément d’une manière ou d’une autre la suite.
U2 – The Unforgettable Fire (Island)
C’est donc lui ce premier album. Usé jusqu’à la corde, forcément, mais même si on aura beau lui trouver tous les défauts du monde (de la coupe aux vocalises d’un Bono déjà héroïque), il tient encore assez bien la route aujourd’hui, porté par son impeccable hit Pride (In The Name Of Love) et le refrain XXL de son titre éponyme mais aussi une poignée de titres plus confidentiels (l’énervé Wire, l’épique Bad ou le splendide 4th Of July) qui l’aident à passer les décénies dans la peau d’un discret classique, coincé qu’il est entre War et The Joshua Tree.
Étienne Daho – La Notte La Notte (Virgin)
Possiblement le premier album dupliqué sur cassette alors que les premiers grands tubes du rennais inondaient déjà la toute jeune bande FM : Week-end à Rome, Sortir Ce Soir et bien entendu l’immense Grand Sommeil éveillant en moi ce goût pour la pop française qui ne me quittera jamais. Mais au fil du temps, ce sont les titres downtempo d’un Daho charmeur cool qui l’emporteront : Signé Kiko, Laisse Tomber Les Jaloux et le magnifique St Lunaire, Dimanche Matin.
The Cure – Concert (Fiction)
Découvert rétrospectivement, forcément, son introduction, ce « hello, this is called Shake Dog Shake » résonne encore incroyablement tant d’années après. Résumé brut de cinq premières années trépidantes et dernière étape avant l’explosion populaire l’année suivante, Concert et sa définitive version d’A Forest, hantée et interminable, est probablement l’un des meilleurs albums live qui soit.
Les Calamités – A Bride Abattue (New Rose)
Pas d’histoire non plus : je ne découvrirais les beaunoises que plus tard, en 1987 lorsque Daniel Chenevez (Niagara) leur produira ce petit bijou de pop que fut Les Vélomoteurs et c’est encore un peu plus tard, alors que Sarah records faisait renaitre Talulah Gosh que la découverte d’A Bride Abattue au détour d’une foire aux disques après quelques mois de recherches compulsives confirmera qu’après la pop, le rock aussi se combinait merveilleusement bien à la langue française et qu’il n’y avait pas forcément besoin d’aller se chercher des héroïnes outre-Manche.
1994 est une année compliquée, contrastée, marquée par des évenements bouleversants mais marquant le véritable début de ma gourmandise musicale. Entre les disques de cet excellent cru découverts sur le moment et les autres, encore plus nombreux un peu plus tard, il est bien difficile d’en retenir 4 tant l’année fait office de véritable charnière inépuisable ; un très très grand cru. Par honnêteté intellectuelle et parce que ça me simplifie un peu la tâche, je ne retiendrai que ceux écoutés au moment de leur sortie ; et ça n’est déjà pas facile.
The Halo Benders – God Don’t Make No Junk (k records)
C’est l’histoire d’une tristesse vite convertie en bonheur. A peine découvert avec ce qui s’avèrera être son ultime album, Beat Happening fait place à The Halo Benders, collaboration entre Calvin Johnson et Doug Martsch de Built To Spill qui aura au final une vie aussi courte (4 ans, 3 albums) mais tout aussi passionnante. …Sinon plus en réalité. L’histoire sera tellement une bonne affaire qu’elle me permettra aussi, un peu plus tard, de pénétrer dans l’insondable discographie de Built To Spill et de reconnaitre que les longs solos de guitares, normalement prohibés par l’Indie Police, ça peut aussi être franchement cool.
Prolapse – Pointless Walk To Dismal Places (Cherry Red)
C’est l’histoire d’un album acheté sur la seule foi d’un nom dans un fanzine et d’une promo chez un disquaire de Clermont-Ferrand (un CD EP offert avec l’album) et qui inaugure l’histoire du plus sous-estimé des groupes de rock de Grande-Bretagne dont le krautrock noisy et gouailleur ne m’a plus jamais quitté. Je ne sais pas si quiconque l’a prétendu mais au cas où, sachez que deux des plus importants groupes d’outre-Manche de ces dernières années, Fontaines DC et Sleaford Mods n’ont rien inventé.
La Buena Vida – La Buena Vida (II) (Siesta)
C’est l’histoire d’une passion (prémonitoire) pour ce qui se passe de l’autre côté des Pyrénées. L’année précédente, c’est tout ce que compte San Sebastian de classe qui entrait dans la discothèque avec Les premiers albums de Le Mans et de La Buena Vida qui laissaient éclater leur pop claire au grand jour. En 1994, ce déjà second album n’était sans doute pas le meilleur que le groupe aura produit jusqu’en 2006 mais outre son incomparable fraicheur, il montrait déjà toute leur capacité à enrichir leur musique d’influences diverses et à écrire de merveilleuses chansons comme Cinco Días En Invierno ou Un Vestido De Tul qui font encore 30 ans plus tard leur petit effet (garanti).
The Pastels – Mobile Safari (Domino)
C’est l’histoire d’un amour déjà éternel depuis 5 ans, l’album Sittin’ Pretty et son inoubliable Nothing To Be Done. Entre temps, les écossais ont signé sur le grand label en vogue de l’époque, Domino et s’apprêtent à conquérir le monde (croit-on), lui assénant en pleine face cet autre tube ultime qu’est Yoga. Mais malgré la débauche d’électricité, ils ne réitéreront pas le coup que leurs voisins de la banlieue de Glasgow avaient réussi avec Bandwagonesque quelques temps plus tôt, restant à jamais le groupe pour happy few par excellence, trop singulier sans doute. Le monde sera pourtant bien conquis, mais uniquement celui des caves et des souterrains.
Il a existé un top 2004 qui signait tous mes mails du mois de janvier mais malgré une intense plongée dans mes archives numériques, impossible de remettre la main dessus ; ces quatre albums sont donc (parmi) ceux qui ont le mieux traversé le temps. Drôle d’époque que cette période séquano-dyonisienne de laquelle je garde le souvenir d’avoir un peu dû cravacher pour que rien ne vienne prendre le dessus sur la musique, comme chez tant d’autres, perdus pour la cause. 2004 est surtout très clairement une année de seconds couteaux, à moins que ce ne soit moi qui ait volontairement snobé les noms les plus clinquants d’une époque où je n’en faisais qu’à ma tête. Tant mieux pour eux en tout cas : place aux outsiders si chers à Sun Burns Out.
Arovane – Lilies (City Centre Offices)
En 2004, celle que l’on appelle alors electronica ou même indietronica est passée en vitesse de croisière. Les premiers émois de la fin du siècle passé ont laissé place à un mouvement ancré et bien structuré qui perdure encore (Uwe Zahn a sorti une trentaine d’album, le dernier en 2023). Avec sa magnifique pochette et sa musique bourrée de petites trouvailles carillonnantes qui viennent cajoler les oreilles, Lilies d’Arovane reste sans aucun doute et pour longtemps encore l’un des meilleurs ambassadeurs d’un genre bien plus novateur qu’il n’y paraissait.
Bark Psychosis – Codename: Dust Sucker (Fire)
En 2004, quand sort ///Codename: Dust Sucker, son seulement deuxième et ultime album, Bark Psychosis est déjà ce que l’on appelle un groupe culte, sur la foi du premier, Hex, mais aussi une poignée de EP largement compilés (Independancy en 1994, Game Over en 1997, Replay en 2004) qui en faisaient l’un des groupes les plus novateurs des années 1990. Ce second album, c’est peu de le dire, très attendu après un break de 10 années n’a sans doute pas l’impact qu’ont eu les débuts du groupe mais reste à sa sortie et encore aujourd’hui très largement au dessus de l’ennuyeux lot.
Gravenhurst – Flashlight Seasons (Warp)
En 2004, quand Warp met en lumière Flashlight Seasons sorti en toute discrétion l’année précédente, tout comme le premier album en 2002, c’est tout un monde qui s’ouvre aux esthètes de tous bords, celui de Nick Talbot jeune banlieusard des Home Counties qui va faire de Bristol son port d’attache et renouveler notre attachement musical (mais pas que) à la métropole du sud ouest de l’Angleterre. Il suffit de voir en Bluebeard l’une des plus belles chansons jamais écrites pour comprendre le niveau du disque et du musicien, parti bien trop tôt à 37 ans en 2014. Il repose en paix et son œuvre majeure pour toujours dans ma discothèque.
The New Year – The End Is Near (Touch And Go)
En 2004, on ne s’est pas encore tout à fait remis de la fin de Bedhead qu’il faut déjà faire avec le second album du groupe dans lequel les frères texans Matt et Bubba Kadane poursuivent leur épatante collaboration. La vérité, c’est qu’on ne comprend pas trop pourquoi ils ne s’appellent plus Bedhead et que tout cela n’est qu’une affaire de nom. Si le duo ne parviendra peut-être jamais à dépasser son séminal Bedside Table d’une intensité exceptionnelle, sa musique, sous l’une ou l’autre de ses identités ne va cesser de se bonifier, gagnant en maturité, en nuances pour devenir tout simplement essentielle.
Avec les réseaux sociaux, le bilan annuel prend de l’importance ainsi que du galon : il se formalise et c’est sous couvert d’un astucieux « Top 14 » tout rugbystisque qu’il est publié le… 4 février 2015 après un mois de janvier cataclysmique qui coupait nette toute envie de légèreté. Que reste-t-il donc de ces quatre disques que je plaçais il y a 10 ans en haut de la liste ?
KG – Passage Secret (Herzfeld)
Petit événement dans le Landerneau des musiques de caves françaises, 12 ans après ses Adieu(x – A l’électronique), Rémy Bux, l’une de ses personnalités les plus atypiques et influentes signe son grand retour avec un album tout simplement fracassant, usant de son inimitable sens mélodique qu’il lacère d’électricité sauvage, de chant en allemand et de rythmiques technoïdes qu’il explorera plus en avant par la suite, sans toutefois atteindre l’intensité de cet album du retour. Si rien ici n’est alors et encore 10 ans plus tard à jeter, on se délecte toujours autant de ce Passage Secret et plus particulièrement de l’extraordinaire Mein Herz Schlägt Nur Für Dich. M83 a conquis Hollywood pour moins que ça !
Cre·scen·do – Lost Thoughts (auto-produit)
Le coup parfait : Los Angeles, un beau gosse hyper doué, Gregory Cole, perfecto sur le dos et Rickenbaker en bandoulière, qui s’ennuie pendant ses études et convie deux copines, Olive Kimoto et Jess Krichelle à l’accompagner dans une aventure de courte durée : Cre·scen·do. Trois ans, deux albums parfaits, c’est plié, merci et au revoir. Aujourd’hui, Gregory, dévasté par le décès de sa mère en 2020 a disparu des radars pop, se consacrant dorénavant aux… jeux de plateaux. Il laisse derrière lui Lost Thoughts (2014) et Unless (2016), deux albums redoutables où l’urgence (de l’écriture, des compositions, des guitares) côtoient la grâce mélodique frisant sur chaque morceau la perfection. Vivre vite et fort, jouir et mourir : un adage qui nous aurait évité bien des médiocrités si un bon paquet d’artistes avaient daigné s’y conformer.
Mogwai – Rave Tapes (Rock Action)
On ne dit pas ça pour Mogwai bien évidemment. Rave Tapes, est déjà leur huitième album studio « officiel » et le groupe n’a toujours (et encore aujourd’hui) pas pris l’habitude de décevoir. Après des débuts tonitruants, il en faut de la volonté pour s’interdire de tourner en rond, garder le contrôle en toute indépendance tout en assumant un statut de premier rang indé mondialisé. Rave Tapes dont on sent plusieurs morceaux largement influencés par l’excellent travail sur la BO de la série française Les Revenants l’année précédente apporte son lot de doutes levés et de certitudes assénées, évoluant par touches (une électronique plus présente après le très électrique Hardcore Will Never, But You Will) et parvenant, comme à chaque fois, à glisser dans un ensemble plutôt de haute volée, quelques petites perles comme peuvent l’être Remurdered, Deesh et surtout le merveilleux No Medecine For Regret, clairement un des plus beaux morceaux du groupe (et il y a de la concurrence…)
Single – Rea (Elefant)
Il aura sans doute fallu arriver au bout des deux albums précédents pour comprendre où voulaient en venir les anciennes têtes pensantes de Le Mans, Teresa Iturrioz la chanteuse et Ibon Errazkin, l’homme à tout faire : pas question de reproduire avec Single la pop soignée et intemporelle de la légende donostiarra. Ici, sur une base très souvent reggae/dub, se multiplient les pistes, y compris les fausses, les surimpressions, les changements brutaux de direction qui font des titres de Single des morceaux fortement cérébraux et complètement passionnants. Rea est alors une mine, un trésor à découvrir écoutes après écoutes et qui, 10 ans plus tard, n’a pas encore livré tous ses secrets.
On avait dit « pas de top 2024 cette année chez SBO » mais que serait la vie sans un peu de triche, de mauvaise foi et d’esprit de contradiction ? Après tout, 40 ans, c’est juste une étape qu’il convient de terminer en beauté.
Stephen Pastel And Gavin Thomson – This Is Memorial Device (Geographic)
Le disque frisson de l’année et ce n’est même pas complétement un Pastels.
Morgane Imbeaud – The Lake (Roy music)
Le disque surprise de l’année, c’est toujours bon signe quand il y en a un.
Sinaïve – Pop Moderne (Antimatière / Super Structure)
Le disque attendu de l’année, une sacrée confirmation.
Fontaines DC – Romance (XL recordings)
Le disque clivant de l’année, mais toujours aussi percutant 4 mois après.
Très bonne idée d’article :-). Merci les découvertes ou les réécoutes