Une réussite pleine et entière : voici comment résumer l’impressionnant troisième album des Londoniens de Public Service Broadcasting (PSB pour les intimes). Every Valley est probablement leur projet le plus immersif depuis la formation du groupe en 2009, le plus intriguant, fondu dans son environnement et le plus réussi musicalement. Pour ceux qui auraient raté les précédents épisodes, le groupe a popularisé au début des années 2010 une formule de docu-rock visant à écrire une bande-son thématique et des chansons à partir de documents originaux, d’extraits de films, d’interviews, de témoignages recueillis sur un sujet donné. Leur premier album évoquait la seconde guerre mondiale, le deuxième la conquête de l’espace.
Cette fois, la bande de J. Willgoose Esq a posé son studio en plein cœur du pays minier au Sud du Pays de Galles et a décidé de s’intéresser particulièrement à la fin du charbon et à la grande grève des années 84-85 qui en a sonné le glas. Enregistré à Ebbw Wale, l’album démarre par une série de déclarations qui nous propulsent directement au cœur du sujet. La musique est volontairement emphatique, proche des mini-symphonies du Brandt Frauer Frick, mélange d’instruments classiques et d’électronique. La voix incroyable de Richard Burton domine la mêlée, exposant la fierté des mineurs du pays dans lequel il a grandi. Après cette ouverture en majesté, on descend littéralement au fond du puits avec un The Pit, dense et crépusculaire. « As the kids drop suddenly into darkness. The working money had begun » entend on, avant que la porte de l’ascenseur qui descend à la galerie ne se referme. La température monte, il fait chaud. Ce morceau est incroyable et mime la descente aux enfers des travailleurs du noir. People Will Always Need Coal amuse ensuite en compilant les déclarations d’hommes politiques et de notables locaux qui promettent une prospérité éternelle à l’industrie du charbon. Premier single tiré de l’album, Progress, chanté avec Tracyanne Campbell, lorgne du côté de Kraftwerk en évoquant de manière ironique et en même temps rêveuse la modernité apportée par la technologie. L’apologie des machines est faite en voix off, promettant aux hommes un sort meilleur et une disparition progressive du travail pénible. Le thème est d’actualité. Le chant de Campbell n’est pas ce qu’on préfère mais sa voix fonctionne bien dans ce contexte où elle vise à amener un sentiment d’irréalité et de futur en marche. Le récit se poursuit ainsi pendant quelques minutes avant que PSB ne se change en Mogwai pour déclencher les hostilités. All Out marque le début de la grève et une irruption de colère à guitares. Le morceau est formidable, explosif, hargneux en diable, interrompant la logique démonstrative du disque. Ce sera le seul éclat de voix du disque et probablement son moment le plus marquant.
Les collaborations se multiplient ensuite, affaiblissant paradoxalement l’homogénéité entretenue pendant toute la première partie de l’album. La plupart des morceaux sont réussis. On peut citer le très chouette They Gave Me A Lamp, chanté par Haiku Salut, délicat et poétique, mais aussi le beau You + Me, chanté par Willgoose et la chanteuse galloise Lisa Jen Brown. Ce morceau fonctionne comme une autre parenthèse sentimentale dans un contexte globalement très politique et permet de détourner un instant l’enjeu du disque vers le domaine privé. On mettra de coté l’atroce Turn No More chanté avec James Dean Bradfield des Manic Street Preachers pour ne retenir qu’un final somptueux enregistré avec une chorale locale, où chantent quelques-uns des mineurs dont il était question. Chanson traditionnelle, Take Me Home, conclut en beauté et dans le plus grand respect de son sujet un album passionnant, profus et d’une élégance véritablement fascinante. Public Service Broadcasting œuvre dans une veine qui lui est propre (à cette échelle) et conduit une démarche aussi pertinente socialement, politiquement que musicalement. C’est la force du récit, la justesse dans le traitement du sujet et l’approche du milieu dans lequel il prend corps qui permet à la musique de déployer sa force et de toucher au cœur. Every Valley réussit à mêler les enjeux et les émotions, les registres et les modes d’approche, sans que l’unité du projet en pâtisse. C’est l’exemple même d’une œuvre intelligente et, à sa manière, socialement utile. Ceux qui recherchent le fun en seront pour leurs frais mais on a aussi besoin de ce genre de travail.
02. The Pit
03. People Will Always Need Coal
04. Progress (feat. Tracyanne Campbell)
05. Go To The Road
06. All Out
07. Turn No More (feat James Dean Bradfield)
08. They Gave Me A Lamp (feat Haiku Salut)
09. You + Me (Feat Lisa Jen Brown)
10. Mother of The Village
11. Take Me Home