Quelques (bonnes et mauvaises) raisons d’aimer Christophe

Christophe en concert sur la scène Glenmor lors du festival des Vieilles Charrues 2014La mort de Christophe est l’événement du jour et devrait dominer l’actualité pendant les cinq ou six prochaines heures. Le parcours de Daniel Bevilacqua, son vrai nom, ne se résume pas aux Mots Bleus, à Senorita et à Aline, loin de là, même si ces tubes, les plus populaires, donnent un assez bon résumé de la diversité et des qualités de son oeuvre. Les plus jeunes se demanderont sûrement qui était ce bonhomme de 74 ans, artiste yéyé que la France entonne aujourd’hui et que les personnes qui avaient 20 ans à la fin des années 70 semblent révérer autant que les bobos et les critiques les plus pointus. Christophe était, avec Gainsbourg peut-être, Bashung avant lui, et Murat demain (on ne pense pas que Polnareff a la même importance), l’un des seuls artistes à avoir été populaire (et à l’être encore un peu) qui avaient aussi eu un pied (voire les deux) dans l’avant-garde.

Photo : Wikimedia.

C’était un enfant de l’Amérique

Né à Juvisy quelques mois après la fin de Seconde Guerre Mondiale, Christophe est, comme de nombreux jeunes de sa génération, venu à la musique à travers le déferlement de l’American Way of Life. Enfant d’immigrés du Frioul (mère couturière, père d’abord maçon puis exploitant d’une entreprise de chauffage), Christophe fait partie de ces artistes qui grandissent à travers les films et les musiques d’Elvis. Il découvre le blues et rêve de devenir James Dean et de mourir à bord d’un bolide. Adulte, il gardera son regard d’enfant et une forme de démesure romantique. Il circule dans des bolides américains qu’il conduit sans permis et fait figure de tête brûlée. Ses héros s’appellent Robert Johnson ou John Lee Hooker, des types qui pactisaient avec le diable et donnaient tout pour leur art.

C’était un fou furieux incroyablement stylé

Christophe a 20 ans quand il est emporté par le succès d’Aline. Malgré des accusations de plagiat (dont il sera lavé juridiquement à la fin des années 70), Christophe devient riche du jour au lendemain et n°1 dans de nombreux pays. Jeune, fringant, inspiré, il mène grand train et vit à cent à l’heure. Il traverse les années 60 comme une météorite, en buvant plus que de raison et en menant une vie dingue. Il voyage, il conduit comme un cinglé à travers Paris, achète des voitures américaines par dizaine. Christophe vit en décalé, s’éloigne de la vie du commun des mortels et devient une créature nocturne, intellectuelle, sophistiquée, un dandy bidouilleur électro, un vampire, une créature folle et insaisissable. Il se laisse pousser la moustache dans les années 70 et cultive un personnage d’excentrique reclus et amoureux, une sorte de latin lover éternel, compositeur fou et de fantôme de l’opéra pop qui n’a pas d’équivalent français. A côté, Michel Polnareff est un gugusse.

Les Paradis Perdus est un album incroyable

On ne va pas faire le malin et prétendre qu’on connaît tout par cœur. On n’était pas né quand les Paradis Perdus est sorti en 1973. Mais on a toujours trouvé que cet album, produit par Francis Dreyfus et composé avec le jeune Jean-Michel Jarre (à l’époque parolier essentiellement) était son plus curieux et son plus réussi. Ce n’était pas le plus sophistiqué, ni le plus emballant, mais sans aucun doute le plus touchant et celui qui présente pour nous le meilleur équilibre entre l’émotion et la technique.

Il a composé Boule de Flipper

En 1986, Christophe compose la musique de Boule de Flipper pour la veinarde Corynne Charby. La jeune femme avait déjà travaillé avec Didier Barbelivien mais c’est ce morceau de Christophe qui lui assure une postérité éternelle et qui ne sera concurrencée l’année suivante que par son autre tube, Pile Ou Face.

C’était un artiste d’avant-garde

Christophe était un fou d’électronique. Cela est évident sur ses œuvres tardives et notamment à partir de Vestiges du chaos. Christophe aime la guimauve italienne mais aussi la meilleure pop. Il adore découvrir de nouveaux jouets et de nouveaux outils. Surtout, il reste quelqu’un qui se nourrit aux créations des autres, fan de Presley quand il le fallait, il aime Bryan Ferry, Lou Reed et invitera, tardivement là aussi, Alan Vega à chanter avec lui. Dans le paysage français, il est l’un des rares à avoir su concilier recherche d’avant-garde et (assez longtemps) succès populaire.

Il était un compositeur de musiques de film rare et précis

on trouve sa trace sur La Route de Salina de Georges Lautner, mais aussi plus près de nous sur le magnifique Jeanne de Bruno Dumont, dans lequel il a un petit rôle. Amateur de musique instrumentale, Christophe a toujours été un homme d’images, intégrant assez tôt dans ses sets des projections. Il travaille aussi avec le hardeur HPG pour son film Fils de.

Parce que c’était probablement un vampire

Christophe vivait la nuit. Cela faisait partie de sa légende mais il a été dit qu’il n’avait pas vu le soleil pendant des décennies et que celui-ci le fuyait pour ne pas lui faire concurrence. Vivant dans des hôtels, dormant le jour (dans la soie), Christophe était un diva chic, qui invitait ses correspondants par téléphone ou avec un télégramme, leur donnait rendez-vous dans une datcha à l’étranger, au Maroc ou ailleurs. Les anecdotes sublimes sont multiples à son propos. Il buvait du champagne, mangeait ou pas et donnait l’impression à ses interlocuteurs d’être une créature extraordinaire.

Parce que les Mots Bleus

Sans conteste sa plus belle chanson, la plus connue aussi. Les dernières versions données lors de sa tournée Intime étaient incroyables et restent parmi les plus grands souvenirs des spectateurs.

Parce le temps de vivre

C’était juste notre chanson préférée.

Je veux partir avant que vienne l’heure
Je quitterai ce monde qui se meurt
Je veux mourir avant longtemps
Loin de ces bruits, loin de ces gens
Je n’ai pas eu le temps de vivre
Je n’ai pas eu le temps de vivre
Dans l’avenue, sous la pluie
Je marche droit devant
Dans mon blouson froissé
Je ne veux plus pleurer
Comme un enfant bien trop vieux
Sur le trottoir trop petit
Je me sens un peu gris
Je m’étouffe d’ennui
Dans le brouillard glacé
Même la mort… est blasée

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