Depuis leur passage chez David Letterman en 2014, les Future Islands ont changé de statut. La presse les a découverts et on a tressé leurs louanges un peu partout. Dans l’univers rikiki du rock indé, cet intérêt croissant ne suffit néanmoins pas à ce qu’on s’intéresse aussi à leurs side-projects, voire à ce qu’on en fasse un groupe vraiment populaire. Et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle. Personne n’a des nouveaux morceaux hip hop de Samuel Herring, qui ne sont pas tous super et il n’y a pas eu grand monde non plus de ce côté-ci de l’Atlantique pour écouter le premier album de The Snails et en dire quelques mots.
Les escargots, The Snails donc, ont été créés aux alentours de 2013 comme un side project déconnant de Future Islands, à partir d’une sauterie organisée à Baltimore. Samuel Herring et quatre ou cinq copains s’y sont retrouvés très sérieusement déguisés en escargots. De fil en aiguille, le groupe est monté sur scène ainsi attifé et tout un univers s’est ouvert à leurs yeux : qu’est-ce qui se passerait si on était juste un groupe d’escargots en train de faire du rock ? Le projet de Songs from the Shoebox était dans les tiroirs avant que la carrière de Future Islands ne décolle. Il a pris du coup un peu de retard mais débarque directement sur bandcamp, en téléchargement, sans chichi, ni trompettes, mais avec tout de même du saxophone. On ne va pas se lancer dans de longs discours autour de cet album comique et hyper sympathique car ce ne serait pas fidèle à l’esprit du projet.
Pour venir jusqu’à Baltimore assister à leur concert, les amis escargots du groupe The Snails ont été transportés dans une boîte à chaussures. L’album est le récit de cette odyssée et d’un tas d’autres machins qui font les tourments, les joies et les désirs des escargots. On trouve une chanson de Noël, une chanson triste (une seule), et beaucoup de chansons enlevées, uptempo et carrément dingos. Côté musique, Herring tient la boutique avec le bassiste William Cashion qui définit à lui tout seul le son de cet album. Pour ceux qui s’intéressent aux projets parallèles, l’album de The Snails est assez exactement ce que l’album de The Glove est à The Cure : un album mineur, décomplexé dans lequel on entend les caractéristiques de composition du groupe, ses éléments en vrac, mais où l’ensemble est assemblé d’une manière complètement lâche et sans les garde-fous qui fonctionnent sur des albums sérieux. D’où la déconne, le charme du tout-fou, le saxo outrancier, l’aspect garage et mal fini de certains titres, cette idée que Future Islands se serait arrêté avant ou n’aurait pas osé aller au bout de telle ou telle idée. Le talent d’un groupe étant du reste de savoir identifier quand il faut s’arrêter et ce qu’il ne faut pas ajouter au prix de faire tout à fait autre chose, on en conclut que l’album de The Snails est bien inférieur à n’importe quel album de Future Islands mais n’en est pas moins tout à fait fascinant et jouissif.
Sur le magnifique Street Walkin’, Samuel Herring est en roue libre sur un titre quasi garage et c’est un bonheur absolu : sa voix déraille tandis que des riffs antiques massacrent l’arrière-plan. Future Islands établit la jonction avec le rock de Memphis, le rockab et toute cette génération de crooners tarés qui ont fait le rock d’aujourd’hui et d’hier. Shoebox démarre sur l’une des lignes de basse la plus cool du monde. On se dit jusqu’à la fin de la première minute qu’on tient peut-être l’un des titres les plus sobres et incroyables du groupe avant que l’effet escargot ne vienne faire baver l’ensemble. Herring cabotine et le morceau hoquète en espérant que la nana escargot ne décline pas l’invitation de venir faire la fête. Le tout n’en est pas moins carrément chouette. Tantôt boogie, tantôt pop, tantôt rock, Songs of The Shoebox n’est ni un album homogène, ni un album complètement cohérent (au-delà de son pitch à antennes), mais c’est un album libre comme l’air et qui donne l’impression d’avoir été enregistré sur le vif. Sur chaque titre, on sent l’entente des musiciens, l’enthousiasme et l’envie de faire preuve de créativité. Les règles sont lâchées les uns après les autres et on n’hésite pas à sampler des bruits de bouche ou de bave qui bulle (le grandiose Barnacle on A Surfboard), à gribouiller un instrumental (Dusty Snails) ou à inventer une chanson de Noël complètement incroyable (Snails Christmas).
Maintenant qu’on y pense, on a un bon millier de raisons de ne pas écouter ce disque mais aussi deux ou trois bons milliers d’y aller voir. Pour les spécialistes des escargots, Songs of The Shoebox est au niveau du dessin animé Turbo : imparfait mais complètement délirant et speed. L’escargot a pris ses vitamines. Le rythme est endiablé. C’est bon et goûtu comme une bonne sauce beurre-ail mais cela peut rebuter au bout de la troisième douzaine. Il n’y a que dix chansons ici. C’est bien suffisant pour se faire une riche idée. The Snails laisse un sillon baveux derrière lui qui ressemble à des bulles de champagne. On les sniffe à la paille entre deux petites saucisses apéro.
02. Barnacle on A Surfboard
03. Shoebox
04. Street Walkin’
05. Dusty Snails
06. Parachutes
07. Tea Leaves
08. Flames
09. Do Like You Do
10. Snails Christmas (I Want A New Shell)