Qu’est-ce que c’est beau ! Il y a assez peu de choses à dire sur ce nouvel album du Lyonnais Raoul Vignal. Les précédents The Silver Veil et Oak Leaf étaient assez réussis mais celui-ci est nimbé d’une délicatesse et d’une sérénité qui lui donnent une résonance tout à fait particulière et chérissable par les temps qui courent. On ne peut pas aimer un disque parce qu’il fait du bien et détend, parce qu’il apaise et vous projette, dès la première écoute, dans une bulle protectrice et dans laquelle on se sent bien. On ne peut pas aimer un disque parce que les chansons sont élégantes, intelligentes (Century Man) et glissent comme du miel entre les oreilles. On ne peut pas aimer un disque parce qu’il évoque les paysages naturels, une longue balade en bord de mer ou dans une campagne éternelle, entre les herbes et les fleurs. On ne peut pas aimer un disque parce qu’il nous rappelle des vieux disques de folk anglais dont on ne se souvient même plus du nom, de vagues souvenirs de John Martyn, Fairport Convention, ou, plus vivaces, de faux airs de Nick Drake heureux et ayant survécu à lui-même. On ne peut pas aimer un disque parce qu’il fait penser à du folk triste, solaire et… redevenu heureux et paisible. On n’est pas dans un foutu truc de zen attitude ou de relaxation pour les nuls.
Toutes ces mauvaises raisons d’aimer un disque sont pourtant celles qui font qu’on trouve ce Years In Marble particulièrement aimable et précieux. Le disque est léger comme l’eau, fluide et frais comme un bain tiède, il est épais et savoureux, sucré et diététique. C’est un disque qui est bâti sur un petit vent d’Ouest, autour d’une batterie précise et effacée (le jeu en toucher de Lucien Chatin), d’une guitare cristalline (celle du chanteur) et d’un bel équilibre entre les instruments et les voix. La production utilise des techniques quasi photographiques pour souligner une ombre ou faire apparaître un élément au premier plan, avant de le laisser glisser dans l’oubli (Red Fresco). La clé du folk est dans l’éclairage. Tous les morceaux ont tendance à créer un continuum (entendre qu’elles ne se distinguent pas toutes les unes des autres) mais cela ne pèse pas du tout ici et ne crée surtout aucun effet de monotonie. Bien au contraire, la continuité de certains motifs est relevée par une volonté d’engager uptempo et de varier le ton, aussi bien musicalement que vocalement. Sur Silence, Raoul Vignal chante un peu haut et évolue vers des accents presque western. Un petit effet sur la voix, pour Summer Sigh, donne au morceau une allure californienne. Le texte évoque la perte de repères et des choses pas forcément harmonieuses, qui sont contrebalancées par la douceur de l’instrumentation :
Clouds are still /
The road used to set us free /
Defeated by The faint spark of a summer sigh /
Dreary nights in Paris town /
Have me dive deep In a state of disarray
Le disque repose pas mal sur cette technique là : exprimer le désarroi, l’inquiétude et la perte de repères, puis la guérir instantanément par l’instrument. C’est à la fois imparable et très dans l’air du temps. To Bid the Dog Goodbye est splendide et raconte une belle histoire allégorique dans la plus pure tradition du folk anglais. Des serpents, une danse, un chien. Le Black Eyed Dog de Nick Drake a le poil souple désormais. La guitare joue en regardant vers l’Orient, créant un magnifique effet d’étrangeté. Enregistré dans la cuisine de l’artiste, Years In Marble est aussi un disque rêveur et voyageur. Raoul Vignal voyage dans sa tête, regarde par la fenêtre. Sur notre chanson préférée, By A Thread, le chanteur questionne la fragilité de l’existence en la comparant à une feuille qui tombe par nature. L’image est commune mais montée avec une belle vigueur poétique à l’image d’un disque qui manie des éléments iconiques avec une grande maîtrise et sans jamais tomber dans le cliché.
Do you see the leaves dancing in The autumn wind/
They have done their time /
See them waltz on the ground /
Can you touch the clouds hovering Low and grey/
They bring the drain/ Upon your weary selves
Years In Marble n’est pas le disque le plus révolutionnaire et surprenant de l’année, mais c’est un disque qui tient debout en se tenant sur un seul orteil, un disque de savoir-faire absolu qui ne sent pas l’effort, un disque plus technique qu’il n’en a l’air mais qui ne vit que pour l’émotion. On peut pleurer ou sourire à l’écoute de Moonlit Visit, même si on ne parle pas un mot d’anglais. Triste ou content ? Béat ou insouciant ? Le cœur humain tient tout entier dans l’abri d’une chambre-forteresse. Entre folk et pop, il ne faut pas toujours choisir. Raoul Vignal se tient à la fois au milieu et au sommet.
My fortress Breached by rays of silvered relief /
Welcome to the room Said one.