Paupière, c’est la promesse d’un rêve éveillé. Un fantasme perlant le rimmel et au goût rouge à lèvre. Les deux noctambules Julia Daigle et Pierre-Luc Bégin viennent de sortir leur second album, Sade Satie. Celui-ci s’est vu précédé d’un EP et de la sortie du single éponyme, dont nous avions dit tout le bien, invoquant les divinités Eros et Thanatos, celles dont se réclament les jeunes qui badinent en mal de siècle, se complaisant à faire pleurer les cœurs écorchés.
Le marquis de satin
On appréciait fortement la saveur désuète et anachronique de l’album À jamais privé de réponses ou des 2 EP. Les noms de ces salves de titres (Brûler bruyamment, Défunte Lune de miel, etc.) sont représentatifs de la gravité pop qu’ils accordent à la pureté des sentiments : une musique se réclamant en grande pompe des nouveaux romantiques et de la new wave des 80’s. Ces groupes qui chantaient leur désespoir dans des postures teintées de tragique, sur des musiques froides et entraînantes, tels Animotion ou Visage. Mais aussi à l’italo disco et (un tout petit peu à) l’eurodance. Dans À jamais privé, nous pouvions y repérer des références à peine maquillées à Depeche Mode, Giorgio Moroder tout comme à du Dr. Alban. Nouvellement duo, le couple a des goûts éclectiques. Le second album se faisait attendre sur le qui-vive.
On est d’abord étonné de s’apercevoir que l’album ne dure qu’un peu plus que 25 minutes, pour seulement 10 pistes. Juste avant de découvrir que la version physique collector en contient quatre de plus. Bon, on a un peu le gloss en travers de la gorge, mais on respire encore. On a l’espoir que la version digitale reste aussi généreuse que le poitrail d’une druidesse. Mais après la première écoute, la crainte se confirme. On a cette impression de demi-album, ou plutôt, d’un gros EP grimé, quand on constate que même des intermèdes de 30 secondes s’enchaînent… entre eux.
Entendre des voix chantées sur des nappes électriques est une surprise. Entendre dans un français irréprochable comme l’hexagone ne le fait plus, constitue un plaisir véritable. Il n’y a que le Québec pour vouloir préserver cette langue. Paupière l’honore en déployant sa richesse vernaculaire. Malheureusement, plaisir et surprise s’érodent quand il s’agit de chanter des abstractions sans queue ni chair. L’album semble être un doublon du premier, en moins bien. Les sons du clavier utilisés par Pierre-Luc n’ont pas tremblés d’un iota, toujours impérieux et étouffant, un peu comme Obsession d’Animotion en son temps, le peps en moins. On est surpris de ce manque de variété musicale, ce dernier ayant tâté des batteries au sein de groupes rock comme Polipe ou We are Wolves.
Où sont passés le sexy de Berlin, le romantisme des Book of Love, la légèreté des Thompson Twins dont ils réclament l’époque ? Il y a un esprit de sérieux qui transpirent de cet orgue électrique, quelque chose d’inutilement intimidant. On espère que notre imaginaire nous laisse entrevoir des créatures aux vulves carnassières, des bellâtres pleurant des larmes de sperme se réveillant de leur linceul. Une ambiance de giallo, emplie de fantasmagorie. Nous n’avons au final qu’une jeunesse montréalaise déguingandée qui, dans son spleen profond, freine son passage à l’âge de raison en lambinant dans leur chambre. Celle des films de Xavier Dolan ou Monia Chokri, grands enfants refaisant le monde autour de leur nombril.
Le spiritisme dans le boudoir
Écouter Cœur Monarque et En ce matin revient à se retrouver devant une énorme pâtisserie dégoulinante de nappage synthétique et de sucre folklorique. C’est cette attendrissante nubilité dont l’utopie n’est possible seulement la nuit venue, lorsque l’alcool fait pousser les canines, et ouvre tous les possibles du fabuleux. Le moment où les jeunes se languissent et les langues se délient. Pourtant, les paroles des deux chanteurs sont emplies d’une symbolique inutile, car amphigourique. Cela semble convoquer badinages et éclipse lunaire, déceptions et olympe indien, troubles existentiels et figures gothiques. Et pourtant, cela manque terriblement de fesses. C’est creux comme un sarcophage vide. Tout le contraire d’un Videoclub.
Ceci n’est pas un appel à la vulgarité, mais à une sensualité palpable. D’autant plus que la musique contemporaine, l’urbain en tête, regorge de grossièretés. Toutefois, la dream pop, par ses dimensions féérique et romantique, conserve une chasteté à l’eau de rose qu’il serait bon de rompre. Paroles abstraites et musique pompeuse donnent une patine rococo quelques fois rasante. Dans Cœur Monarque, on nous parle d’une fille de passage qui « accueille tous les naufragés« , mais ceci n’empêche en rien que l’ensemble reste aussi prude que des cancans adolescents.
En ce matin cristallise les travers de la jeunesse d’aujourd’hui. On ne peut qu’esquisser un sourire d’agacement quand on entend le refrain répété ad nauseum « en ce matin de premier mars 2017!« . C’est le crime d’une jeunesse qui n’a pas assez vécu. Le fantôme de Steve Strange aurait envie de les empoigner et de leur dire « eh oui mes petits, c’est ça la fin d’une bluette, c’est à vous en fendre le cœur, ça vous donne des envies de taillage de veines mais… vous savez, cela arrive à tout le monde! Et cela continuera encore! De là à se souvenir du jour et à l’insérer dans un de vos titres, bon…même quand on est new romantic , n’en faites pas tout un pataquès ». À cela, on a envie de rajouter qu’il y a des dates plus importantes que d’autres, encore plus dans un monde qui s’est mis en veilleuse en 2020, et qui à détruit d’innombrables amourettes. Là encore, et c’est un travers assez grave de la jeunesse d’aujourd’hui : pleurnicher de manière alogique sur le rien.
New Balance nous promet enfin un nihilisme sans possibilité de rebond, quelque chose sans une once d’espoir :
Chaque détours tu connais d’avance
Et c’est perdu d’avance
Il n’y a pas de seconde chance
Tu dois garder la cadence
Et voilà tout : il n’y a presque rien. Les paroles de chaque titre tiennent sur un mouchoir de poche. Les paroles pourraient sembler oniriques et enveloppantes. Néanmoins, elles perdent toute substance en musique, s’accrochant à peine à notre imaginaire. Certes, l’abstraction des phrases nous permet d’esquisser un début d’interprétation sur le train-train quotidien, les choix de vie irrémédiables… et so what? Les grands poètes de la littérature nous ont fait frôler, par des mots accaparables et l’usage d’un implicite poétique, des vertiges existentiels insoupçonnés. Et pourtant, chez Paupière, même adossé à leur musique, on ne sait où cela ripe. Cette dernière est cependant mélancolique et dansante, avec des envolées violonées, ce qui a d’ailleurs toujours été la marque du groupe : des textes sombres et des mélodies pour danser en boom ; ou tout du moins, seul devant son large miroir de chambre. Malgré cela, aucune noirceur nous pénètre avec Sade Satie. Les textes de Singe sont absolument maigres et l’ensemble, ripoliné. En fait… on n’ose pas le dire : nos tympans ne comprennent rien, et craignons qu’ils ne chantent du vide.
Eyes Narrow Opened
Inutiles d’évoquer les 3 interludes, tant ces derniers le sont. Nous leur conseillons de s’inspirer de ceux de l’album Complètement fou de Yelle. Il suffisait à ces derniers de 40 secondes pour nous laisser entrapercevoir un monde. Les deux derniers titres, No. 00 et ADN, viennent nous sauver. Certes, ils gardent les qualités de leurs défauts : c’est toujours aussi sulfureux que de sucer un diabolo menthe. Mais la musique l’emporte. D’ADN, émane quelque chose de sale. L’impureté des chambres profanées et des rues éternellement sordides. On a presque l’impression d’entendre du Justice ou les climats somptuaires de Seamus Haji. Les sonorités se renouvellent enfin, mais tout est déjà fini.
Cette chronique ne tient pas compte des 4 pistes réservées à la version deluxe. Peut-être que ces dernières sont géniales, ou, tout du moins, du même acabit que les deux pistes précitées. On se permet d’en douter. Entre la promesse et le désenchantement, il n’y a qu’un cils. Sade Sati nous ferme définitivement les yeux en nous enfoncant dans un sommeil profond : celui de l’ennui. Peut-être que la confection de l’album aura souffert du départ d’Éliane Préfontaine, partie vers le rivage de la maternité. Dans sa forme initiale, Sade Sati relève plus du gros EP fardé en album. Et celui-ci réussit l’exploit d’être court et à la fois boursouflé. On évoquait les postures romantiques de nos spirites, mais s’il y a deux qualités indéniables qu’on ne peut leur enlever, c’est leur sincérité et cette envie de bien faire. On espère que nos deux chimères s’éloigneront de leur pudeur de gazelle pour mieux éclabousser de fluides nacrés leur musique.