Il y a des albums qui portent bien leur titre. C’est le cas du magnifique A Ghost By The Sea, énième réalisation d’un Frank Rabeyrolles qu’on imagine coincé dans une bulle sanitaire éternelle, paumé et solitaire dans un hôtel de bord de mer, au moment de la composition de ce disque. Emballé autour de six morceaux et d’une vingtaine de minutes, ce nouvel album se prête paradoxalement plus à de multiples écoutes qu’à de longs discours, tant il est lisible et saisissant.
Dominé par une composante électronique et synthétique régressive et rétro, le disque brille par la richesse de ses textures, incorporant des guitares, des craquements, qui mettent en lumière (le beau Try Happiness) les éclaircies qui transpercent les couches de brouillard. On pense à l’écoute de Child Fiction aux premiers pas maladroits d’un enfant dans un univers qui, par sa nouveauté, dégage une forme d’étrangeté bien qu’il soit aussi familier et domestique. Cette distance et cette gêne face au réel semblent bien fournir au disque son fil rouge, comme s’il s’agissait de balader un regard interrogateur devant le monde qui nous entoure. C’est cette attitude, poétique en diable, qui donne sa saveur au disque, comme si le musicien était ébahi par le tour que prend le monde. Le talent de Rabeyrolles tient souvent sur cette distance au réel, cette impression de flotter juste au dessus des choses, dans une sorte de suspension rimbaldienne qui fait de la vie de tous les jours quelques choses de fragile, d’évanescent et parfois d’inquiétant. Oscillation dit assez bien ce mouvement de bascule entre le bien et le mal, le familier et l’incompréhensible, le stable et l’instable. Dans son récent L’avènement des Fantômes (petite histoire métaphysique de la spectralité), le philosophe Kevin Cappelli resituait l’âge d’or du spiritisme dans un XIXe siècle où la science commençait à occuper tout l’espace. Les fantômes d’alors (esprits des grands hommes convoqués à coups de tables qui tournent) n’étaient alors que des phénomènes scientifiques parmi d’autres, des manifestations d’un irréel qui s’ouvrait aux autres comme ils découvriraient plus tard l’infiniment petit ou l’infiniment grand de l’espace. Rabeyrolles rend à ses fantômes personnels, bucoliques et maritimes, leur poésie et leur caractère affable. Le Port est une pièce magnifique où l’on entend le bruit des voiles qui s’entrechoquent, le bruit des appareils qui se préparent à prendre la mer. La distance entre les notes est immense, laissant entrer l’air du large et le souffle du vent, alors que l’espace est réduit au minimum. Tout ceci est fait avec une concision qui peut constituer la limite du disque mais qui nous va bien aussi car elle correspond à l’intention fugace et fugitive du projet.
A Ghost By The Sea est un beau disque d’apparition. Il s’évanouit aussi vite qu’il est venu, laissant (jusqu’à l’écoute qui suit) une simple marque à l’esprit, une tâche informe et dans laquelle on peine à retrouver la forme qu’on avait cru y déceler.
02. Child Fiction
03. Try Hapiness
04. Oscillation
05. Le Port
06. This Is Not A Library
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Frank Rabeyrolles / Minor Blue