Il nous arrive souvent de croire en la possibilité d’une chanson pop heureuse et guillerette. Mais le seul artiste qui y sera parvenu sans s’enliser ou se ridiculiser trop souvent, l’Américain Jonathan Richman, n’est pas de première jeunesse. Lorsque l’époque est triste, sombre et sans grand espoir, introduire dans le monde une musique uptempo, souriante et feel good est une tentative qu’il faut prendre au sérieux et saluer. C’est ce que tentent les Teleman, groupe londonien, sur leur quatrième album, toujours chez les pointus Moshi Moshi.
Des frères Sanders, il ne reste plus que Thomas, le chanteur et principal animateur du groupe, puisque Jon ou Jonny a opté entre ce disque et le précédent pour une carrière en solo consacrée aux musiques de film et instrumentales. Paradoxalement, alors que c’était lui qui était réputé pour bosser sur l’électronique et les synthèses, Good Time/ Hard Time est le disque le plus fabriqué de tous, un disque où les guitares refluent au profit des synthés justement, des mélodies imparables à deux touches et d’hymnes dansants. Le résultat est un hybride bien de son temps, rock aux entournures mais surtout quasi funky et surtout très pop, constitué d’une dizaine de chansons à la légèreté aussi sublime que superficielle.
On écrivait en 2016 à la découverte du groupe que Teleman avait tout pour être la réponse anglaise à Sufjan Stevens et autres orfèvres pop américains, si le groupe ne se « laissait pas avaler par la tentation de devenir Coldplay« . La voix de Thomas Sanders évolue dans les aigus et avec une telle facilité qu’elle se doit de viser le plus souvent les hauteurs, de décoller, pirouetter et poser à l’infini. Le rôle du groupe est de ne pas la laisser partir trop loin et de ne pas se laisser embarquer par la dynamique qu’elle induit. Les meilleurs morceaux du groupe se présentent quand le groupe freine des quatre fers et tente de retenir son leader sur terre. L’ouverture, Short Life, est excellente, tubesque, bien ancrée sur une rythmique efficace et un texte très intelligent.
Wait a minute, This isn’t right
The world is turning But I’m stood in the line
I changed my hair, I changed my address
But the feelings follow wherever you tread.
I sing for money, dance if you like
Take a picture, it’s a short life
On tient avec ce morceau ce que Teleman fait de meilleur. Mais ce n’est malheureusement pas toujours le cas sur ce quatrième disque qui se laisse trop souvent griser par la facilité avec laquelle ses membres enjouent un morceau pop. Trees Grow High est un magnifique morceau d’amour mais à qui il manque un double fond mélancolique. C’est une version alternative et très 2023 de Hand In Glove pour les amateurs, celle qui raconte comment un couple alternatif devient la cible du grand public. Ca respire la diversité mais avec une forme de naïveté et d’absence de combativité qui agace. Wonderful Times s’effondre sur une seconde partie aussi mécanique (et brillante) qu’un single surjoué de Blur. On ne peut à l’écoute de Teleman qu’éprouver un sentiment répété d’attraction et de répulsion selon qu’on se laisse séduire ou qu’on se détourne (dans la longueur) de l’immense capacité de séduction du groupe. Tout est très bien fait, millimétré, construit pour plaire au mainstream, si bien que le goût manque de points d’appui et d’aspérités pour s’accrocher. Easy Now I’ve Got You est beau comme du Coldplay cosmique, bien intentionné et remarquable de netteté. On retrouve sur Cherish une sorte d’intro kraftwerkienne subtile, une histoire qui ressemble au Paint A Vulgar Picture de The Smiths (autour d’une actrice allemande) et une exécution cabotine au possible qui lorgne vers le pire de Belle and Sebastian, avec lesquels les Londoniens ont tourné il y a quelques années.
Il y a tellement de talent dans l’écriture mélodique et le chant chez Teleman qu’on ne peut pas ne pas les apprécier. Cela ne nous empêche pas de ne pas supporter des chansons boyscouts à la Hello Everybody, titre si gentillet, insignifiant et consensuel qu’on l’imagine déjà monté avec des images IKEA pour une pub ou un concours de vues sur youtube. Le coeur d’album est taillé pour l’animation d’un goûter d’anniversaire imaginaire entre gens de la bonne société progressiste. I Cant Do It For You est chichiteux au possible et The Juice très pénible. Le final ne rattrape rien puisque le groupe semble s’engluer plus profond dans la guimauve et un faux lâché prise qui, au lieu d’inspirer quoi que ce soit, ennuie et indiffère. The Girl Who Came To Stay est juste joli, avant qu’on ne se sépare sur le titre éponyme, Good Time/ Hard Time, lequel concentre sur lui toutes les ambiguïtés du groupe.
On se demande souvent si cette peur de tomber dans un précipice mainstream n’est pas surjouée et si ce n’est pas juste une vue de l’esprit de snobinards indé. Ce quatrième disque de Teleman nous montre qu’il y a bien un risque énorme ici de verser dans quelque chose qui ne s’écoutera plus jamais de la même manière. Seuls les groupes qui ont d’énormes ressources peuvent basculer et rejoindre le mauvais côté. Les autres seront cantonnés (parce que limités par une voix, une instrumentation manquant de pureté, une image déficiente) aux marges. Teleman se situe aujourd’hui à la lisière des deux mondes. On trouve encore sur ce disque des raisons d’espérer mais aussi mille et une traces d’une lente aspiration vers un univers doux et sucré qui demain pourrait bien nous répugner tout à fait. Good Time / Hard Time est un disque qui, d’ici là, reste réconfortant et engageant, coloré et souvent bien fait.