The Apartments / That’s What The Music Is For
[Talitres]

8.6 Note de l'auteur
8.6

The Apartments - That's What the Music Is ForCeux qui se sont extasiés il y a quelques semaines sur le dernier album de The Divine Comedy, Rainy Sunday Afternoon, pourraient bien mourir de pâmoison devant le 7ème disque de The Apartments. Si quelques décennies séparent Neil Hannon et Peter Milton Walsh, on ne peut pas s’empêcher de penser que l’Irlandais et l’Australien (longtemps installé à Londres et désormais adopté par la France, le label Talitres et ses chanteuses) sont deux états simultanés d’un même artiste, ayant évolué à des époques et sous des identités musicales à la fois semblables et tout à fait différentes. Il y a du côté de Divine Comedy désormais une vitalité un peu supérieure, un sens des tempos rapides un peu plus prononcé ainsi qu’une tendance plus marquée au baroque mais une communauté d’élégance, une convergence des grâces et un goût pour les arrangements soignés et parfois luxuriants qui ne trompent pas. That’s What The Music Is For est un disque qui, après la résurrection du groupe en 2015, vient confirmer que le groupe est encore capable d’atteindre les étages supérieurs de la beauté musicale. On avait émis quelques doutes quant à la séduction de In and Out Of The Light, disque sur lequel le groupe nous avait paru chercher une voie de passage, et son leader un second souffle, y compris dans l’entretien de sa voix. Le nouvel album a le mérite de répondre à tout ça pour le meilleur et… le meilleur.

L’entrée en matière est aussi classieuse que soyeuse et caressante. On prend la nostalgie et la tristesse en pleine poire avec une violence délicieuse et que véhicule comme à la parade l’alliance de la voix fatiguée et d’arrangements cristallins.

I will always sing your name
I will always sing your name
Every darkness, every dawn
I lost count of all the drugs you were on
You seemed to be so happy that last day
Was there no place in the world for you?

Le groupe se tiendra à ce programme désolé et désolant tout du long. Afternoons est splendide, magnifiquement écrit de bout en bout et soutenu par un texte qui flotte avec grâce autour de nous, masquant (peut-être) la relation véritable et surtout le statut des protagonistes. Le chanteur s’adresse à une femme partie ou disparue, morte ou vive, comme il parlerait tout seul. Le final est bouleversant, emportant avec l’homme et la femme, le monde entier dans l’abîme. Il n’y a guère que The Apartments pour marier avec cet air de ne pas y toucher les enjeux intimes et universels. La voix de Walsh est un peu moins séduisante sur A Handful of Tomorrow qui, du coup, ne décolle pas et ne trouve jamais son ressort mélodique. Cette petite faiblesse est rattrapée par l’élégance downtempo d’un Another Sun Gone Down qui fait le portrait d’une femme prénommée Ana qu’on voit prendre vie sous nos yeux et nos oreilles. Walsh fait entrer des trompettes sur une mélodie monotone et presque terne, en phase avec la sublimation/et l’effacement de l’amour (perdu). Le groupe gère avec parcimonie et minutie ses effets pour créer une atmosphère évanescente, fuyante mais consolatrice. Il se dégage du tout une impression de justesse et de sincérité.

Le titre éponyme ajoute de l’ampleur au mouvement, évoluant entre pop à la Bacharach et jazz.Le chanteur balade un spleen assuré et plaintif d’une voix comme mise en sourdine et qui ne force jamais en intensité. D’aucuns trouveront que ce nouvel album manque de fougue et d’impact. On peut au contraire en goûter la douceur et l’infinie précaution pour nous ménager et nous accompagner pas à pas dans un état de sidération mélancolique, plus confortable que déprimant. Le leader du groupe a expliqué que les chansons avaient largement été composées en studio ce qui explique peut-être la présence autodépréciative et presque amusante du très joli single, Death Would Be My Best Career Move. Difficile de ne pas recevoir ce texte avec humour quand Walsh le chante avec tant de sérieux et de profondeur. On compatit à ce regard désabusé porté par un tel artiste sur sa situation et son statut : aussi culte que négligé et noyé dans la clandestinité. The American Resistance (adapté d’une chanson de Pauline Drand) est un titre curieux au contenu quasi explicitement politique. C’est fait à la sauce The Apartments, en suggérant plutôt qu’en appelant à l’insurrection, sans ciller et sans une note ou un mot plus haut que l’autre, comme s’il s’agissait de masquer ou de voiler l’agitation à l’œuvre par pudeur ou découragement. You Know We’re Not Supposed To To Feel This Way ramène le débat à l’échelle d’une relation sentimentale autour du temps qui passe, des épreuves, des mises à distance et retours au bercail. C’est le mouvement de la vie qui résonne ici sur six minutes sublimes et qui constituent la plus grande réussite du disque. The Apartments rendent palpable le mouvement bref et néanmoins infiniment riche d’une vie, trop courte et si longue et accidentée à la fois. C’est prodigieux et porté, en son milieu, par un Walsh qui daigne enfin élever la voix et nous emporter avec. La dernière strophe est incroyable :

I thought we had time
I just don’t understand
Why you ran out of years
Are you there in the songs that I’ll leave behind?
Well that’s where you live
Are you there in the sun?
Are you there in the songs that I’ll leave behind?

posée simplement comme une dernière énigme dont on pourra interroger le sens exact pendant des semaines et des mois.

That’s What The Music Is For porte son titre à la perfection. Il fait bien mieux qu’aligner les chansons et les thèmes, il fait autre chose que d’essayer de nous faire pleurer sur la nature de l’amour et la flèche du temps. C’est un disque qui a une portée exploratoire et nous invite à nous instruire sur nous-même et nos ressorts, à plonger au fond de nous pour y trouver à défaut de nouveauté, ce qui nous anime et nous maintient en vie… quand tout ou presque a disparu. On connaît les drames qui ont ponctué la vie de Peter Milton Walsh et notamment la disparition de sa fille. C’est autour de ces manques que s’organisent désormais non seulement sa souffrance mais aussi les joies qu’il connaît et espoirs qu’il formule. Le disque a la beauté théâtrale d’un corps à deux doigts d’être englouti et qui graviterait autour d’un trou noir. La lumière décline mais on ne voit qu’elle encore.

Tracklist
01. It’s a Casino Life
02. Afternoons
03. A Handful of Tomorrow
04. Another Sun Gone Down
05. That’s What the Music Is For (When the Fair’s Over)
06. Death Would Be My Best Career Move
07. The American Resistance
08. You Know We’re Not Supposed to Feel This Way
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