Ceux qui ont découvert Peter Perrett sur le tard, à travers ses albums solo récents, seront bien inspirés de se procurer ce live fabuleux retrouvé dans les archives d’une émission de radio de Chicago, Sunday Morning Nightmare, enregistré en 1979. C’est un document qui rivalise aisément avec le seul concert dont on disposait actuellement en CD, BBC sessions exceptées, capté, lui, quelques mois plus tard, en mai 1980, à l’Electric Ballroom de Londres et qui était déjà sacrément impressionnant. La note de pochette indique d’ailleurs que l’émission de radio indépendante a des archives des enregistrements d’à peu près tous les groupes importants de l’époque et qu’ils vont peut-être se mettre à les éditer prochainement. C’est une excellente nouvelle.
En 1979, The Only Ones, qui débutent, sont déjà à la tête d’un répertoire époustouflant. Perrett, qui, en parallèle, vend de la drogue pour financer leurs enregistrements, y apparaît en chanteur charismatique et doté d’un organe aussi exceptionnel que singulier. Sa voix nasale est incroyablement puissante et capable d’une variété de modulations assez surprenante pour un type qui n’a pas une technique immense. A ses côtés, John Perry à la guitare, Alan Mair à la basse et l’ancien Spooky Tooth Mike Kellie (décédé il y a peu) forment une phalange qui jure avec les musiciens de l’époque par sa relative ancienneté et surtout par sa capacité à jouer du rock qui ne ressemble ni à du punk, ni à du post-punk naissant à la Joy Division/ The Cure/ The Fall pour ne retenir que ces trois-là.
The Only Ones est un OVNI en 1979, un truc bizarre qui aligne les solos de guitares « antidatés » et crée un lien évident entre les musiques d’hier (le Velvet et les Stones, disons) et celles qui caractériseront historiquement l’époque dans laquelle ils évoluent. D’aucuns les tiendront pour une sorte de Big Star anglais, tellement à contretemps qu’ils voulaient dire quelque chose. Les Only Ones sont déjà en 1979 un groupe de vieux mais probablement le plus incandescent, virtuose et inspiré d’Angleterre. Ce live à Chicago, qui comporte douze titres, est extraordinaire de bout en bout et met en évidence les qualités d’écriture du chanteur, leader, guitariste. Peter Perrett chante avec une décontraction crâneuse dans la voix qui rappelle Lou Reed. Son visage renvoie à celui d’un Jim Morrison jeune. Ses textes sont sombres et vénéneux, littéraires et pop à la fois, hantés par des images funèbres et un romantisme lugubre, mélange de sensualité trouble, d’animalité renforcée par le sex-appeal irrésistible du chanteur et de romantisme byronien. In Betweens est magnifique à l’ouverture mais ce sont les standards, majoritairement agités, du groupe qui suivent qui font de ce disque un objet proche de la perfection. L’enchaînement Programme/ The Big Sleep/ Lovers of Today/ Miles from Nowhere/ Another Girl, Another Planet est irrésistible et indépassable. On parle de cinq morceaux qui s’enchaînent à un niveau de qualité, dans l’interprétation et la composition, que peu peuvent espérer atteindre.
The Only Ones joue bien et à toute vitesse. Perrett réalise le rêve de beaucoup qui est de conjuguer la noirceur poétique de Lou Reed, la séduction naturelle et cabotine de Mick Jagger et l’énergie du punk. La seconde moitié du disque est un bonheur également. Peter and The Pets est un morceau fabuleux au même titre que le très rare The Guest, new-yorkais jusqu’au trognon. Tout est emballé en trois minutes, sans gras, ni redite. Les chansons sont séduisantes, dotées de refrains solides et construites dans le plus grand respect des canons de l’époque. La virtuosité du groupe fait le reste. Les Only Ones crachent No Solution à la face du monde et terminent le set sur un The Beast magistral. Il faut écouter cette chanson, la plus longue du set, parce qu’elle est l’une des meilleures composées cette année-là. C’est une chanson menaçante et horrifique, une chanson qui fait frissonner et frémir, une chanson occultiste et qui annonce la décadence à venir du groupe et de l’homme. La bête, fasciste ou tout simplement monstrueuse, est du chanteur comme le ver dans le fruit. C’est la drogue et la corruption extrême, la noirceur, l’égoïsme et l’hydre à mille têtes.
Out on the streets/ The modern vampire prowls/ He’s been spreading disease/ All Around
There’s an epidemic/ if you dont believe me/ You ought to take a look/ At the eyes of your friends/
When someone tempts you/ you can’t refuse/ It’s getting colder and you know/ you got nothing to lose
You need it/ Know you got nothing to lose/ You need it
Les Only Ones seront foutus après ça. Ils feront trois albums merveilleux et puis ce sera fini pour Perrett pendant vingt, trente ans. Il y avait trop de noirceur en lui. Il devait y céder, quitte à vivre dans un trou et à avaler sa propre urine. C’était ça, Thatcher ou une vie à la campagne. S’il avait su…