Plus de quarante ans après sa naissance, le mouvement punk réserve encore pas mal de surprises. On découvre des groupes oubliés et on se rend compte que beaucoup d’entre eux avaient su développer une identité originale depuis les « codes » (si l’on peut appeler cela ainsi) posés par la déferlante Sex Pistols. C’est le cas de The Prefects, le premier groupe punk de Birmingham, qui a droit ces jours-ci à sa première compilation officielle. Formé en 1976, le groupe réunit deux frères, Paul et Alan Apperly, et le chanteur Robert Lloyd. Ce dernier a officié vaguement comme roadie des Ramones et s’est surtout embarqué en tant que fan dans la caravane des Pistols. L’aventure du groupe ne dura que deux ou trois ans (et plus de 80 concerts), mais suffisamment pour que le groupe développe un son singulier et connaisse, à titre posthume, un mini-succès avec son single le plus connu Going Through The Motions et soit invité deux fois à jouer en Peel Session. Aucun label ne voudra d’eux ou est-ce qu’ils refuseront tout engagement dans une carrière pro. Toujours est-il qu’ils disparaissent assez vite de la circulation, les uns et les autres poursuivant leurs rêves dans d’autres formations restées obscures. Le groupe ne sort aucun disque de son vivant et attend un an après sa séparation pour être présent dans les bacs.
Paradoxalement, le morceau-titre n’est pas du tout le morceau le plus intéressant du disque. The Prefects préfigurent à eux tout seul le post-punk qui vient. Ils savent jouer plutôt pas mal. La voix de Lloyd est puissante et posée sans précipitation. Surtout le groupe travaille ses morceaux au point de les allonger et d’en faire des prototypes intéressants assez proches de ce qu’on appellera après le kraut-rock ou l’art-rock. Escort Girls et Bristol Road Leads to Dachau font penser à un mélange réussi de Joy Division et de Wire, l’humour en plus. Ce dernier morceau est particulièrement impressionnant : d’une durée exceptionnelle (10 minutes), il constitue une parfaite illustration des qualités du groupe. Le riff fondateur est solide, simple et répété ad lib comme chez The Fall. La voix est menaçante et grave, s’abîmant dans un déchaînement final qu’on situe quelque part entre le déraillement d’un Ian Curtis et les hurlements de Frank Black. Les guitares grésillent et nourrissent un climat d’angoisse progressif et saisissant. D’où qu’on se place, ce morceau est génial. Il n’est heureusement pas seul ici. A côté des hymnes punk plus classiques (Faults, Barbarella’s), on trouve quelques pépites comme le plus pop Things in General ou l’assez incroyable Total Luck avec son saxo et sa nonchalance fascinante. Les Prefects n’hésitent pas à faire n’importe quoi, à jouer du kazoo en plein milieu d’un titre ou à changer de registre.
La compilation réunit aussi quelques enregistrements live de toute beauté. She Cracked est impeccable, d’une belle brutalité frontale. 625 Lines est jouée à toute vitesse et avec la bave aux lèvres. Difficile de faire aussi bien en moins d’une minute trente. Le dernier morceau, lui aussi capturé sur scène, est une histoire à lui tout seul. Embarqués sur le White Riot Tour du Clash, The Prefects y cotoyent les Slits avec lesquelles ils se retrouvent souvent sur scène pour des reprises ou des improvisations inspirées de standards de l’époque. Les quelques trois minutes qui terminent le disque sont inédites et témoignent précisément de la folie ambiante. Parler de musicalité à l’écoute de ce charivari serait exagéré mais il y a une énergie qui se dégage de tout ça qui est destructrice et, de ce fait, réjouissante.