Il faut bien considérer cela comme un miracle. Peter Perrett est revenu d’entre les morts il y a trois ans maintenant et cueille les lauriers et la reconnaissance que ses meilleurs travaux de jeunesse ne lui avaient pas valu. A 67 ans et quelques, l’ancien The Only Ones a valeur patrimoniale pour les vieux fans de rock indé (qui s’en veulent de ne pas l’avoir découvert avant) et valeur refuge pour les plus jeunes qui ne croiseront plus de leur vivant un tel destin brisé. Ceux qui connaissaient par cœur les albums de l’origine et celui de 1996 se sentent un peu dépossédés mais se consoleront facilement avec les douze morceaux de Humanworld.
Peter Perrett fait son âge ici, mais un peu moins que sur How The West Was Won, album qui jouait beaucoup plus que celui-ci sur sa propre mythologie et son statut de reborn-junky. C’était normal : il fallait raconter l’histoire à tout le monde et tenter de faire saisir aux gens ce qui avait conduit un type tranquillement installé à fumer des pipes de crack en se pissant dessus pendant trente cinq ans à sortir de sa tanière pour chanter et se faire interviewer par Télérama. Humanworld est l’album avec lequel Perrett renoue les fils de son histoire. La voix a perdu de son intensité et encore un peu plus de sa capacité à accélérer sur les refrains mais on retrouve ici l’intelligence et le sens mélodique du gars qui a composé toutes ces chansons définitives à la fin des années 70. A l’époque, Perrett était déjà drogué jusqu’aux orteils (il vendait aussi à se heures) mais marchait sur l’eau. Ses morceaux de l’époque comptent parmi les plus brillants du post-punk qui n’existait pas encore. The Only Ones, le premier album de son groupe, est quasi parfait. Ceux qui suivent le sont tout autant. Perrett mêle un regard assez caustique sur l’existence, un brin d’arrogance désolée et un romantisme forcené qui font mouche. Sa belle gueule et sa voix nasillarde font le reste : le chanteur est animé par la beauté du diable. Quarante ans plus tard, le charme fonctionne toujours. La beauté a disparu mais pas le panache et la séduction vénéneuse. L’énergie d’antan est en partie compensée par la qualité d’une production sobre mais inventive et la solidité technique du groupe (constitué, entre autres, de ses deux fils et de sa belle-fille).
On peut penser que I Want Your Dreams à l’ouverture est lent et poussif mais on y retrouve la pulsation du junky propre aux morceaux des Only Ones, qui rend le titre dangereux malgré lui et permet à l’ensemble, renforcé par un contrepoint superbe, de décoller. Once Is Enough est impeccable. « Got a friend who is crazy as fuck. She’s got a heart so big it hurts. If I was young, i’d call it love. », chante Perrett à la parade avant de retourner à sa majestueuse indifférence. « The past comes back to haunt you » Il faut un certain courage et beaucoup de confiance en soi pour avoir gaspillé sa vie ainsi. On croise le fantôme de Lou Reed sur Heavenly Day, l’une des plus belles chansons du disque. Peter Perrett est inégalable dans ce registre et il le démontre sur quelques autres morceaux comme le magnifique The Power Is In You, chant d’espérance et de renaissance gorgé d’empowerment curieux mais efficace, ou encore le tendre Walking in Berlin. On peut assez aisément chez Perrett distinguer les chansons qui s’adressent à sa compagne de quarante ans et celles qui renvoient à un béguin passager, une beauté fugitive qu’il a croisée entre deux fixes. Les secondes ont une légèreté et une insouciance qui font très Nouvelle Vague.
Humanworld est un album aux thématiques plutôt positives. Peter Perrett s’évite la tragédie et les histoires qui finissent mal. Le romantisme lui va bien. Les premières tentatives de durcir le ton ne fonctionnent qu’à demi. Love Comes On Silent Feet manque de dynamisme, malgré un bon refrain. Believe In Nothing ne fait pas beaucoup mieux, même si Perrett y renoue avec le cynisme de ses débuts, cela sonne comme une musique de vieux. Heureusement qu’arrive War Plan Red, titre joué déjà sur la précédente tournée, et qui constitue l’une des plus belles réussites ici. Le groupe est à l’aise et Peter se lance dans un refrain savoureux et plein de mordant. Le texte est gentiment politique et égratigne la classe politique à tout va. C’est un excellent travail à tout point de vue. « The so called free world stands for Evil incarnate… When people realize there is no justice in this world, it should come as no surprise that they resort to acts of desperation » Perrett est un activiste redoutable. Il n’a absolument rien à perdre. 48 Crash fonctionne, avec un peu moins de bonheur, selon les mêmes codes. Perrett abandonne le chant à son fils sur un Master of Destruction qui est une composition de rock très classique. Il n’y aura pas de salut sans lui : c’est ce que rappelle en conclusion le magnifique Carousel, balade de rupture somptueuse adressée à sa maîtresse mythologique. « It’s best for both of us that I am gone, my love » C’est toujours ainsi que les choses fonctionnent, pas vrai ?
Comme tous les salauds, Peter Perrett s’en tire formidablement bien. Humanworld est probablement un moins bon disque qu’il en a l’air. Mais ce n’est pas la question, on le sait depuis longtemps. « A final day in heaven. Such a heavenly day. »
02. Once Is Enough
03. Heavenly Day
04. Love Comes On Silent Feet
05. The Power Is In You
06. Believe In Nothing
07. War Plan Red
08. 48 Crash
09. Walking in Berlin
10. Love’s Inferno
11. Master of Destruction
12. Carousel