Tristesse Contemporaine : groupe moderne, groupe heureux

Tristesse Contemporaine - Stop and Start

On se goure parfois. La première fois qu’on avait eu à apprécier la musique de Tristesse Contemporaine, sans doute en 2009 ou quelque chose comme ça, on s’était demandé à quoi on avait affaire et si ce groupe survivrait à la hype vaguement arty qui s’était emparé de son nom (philosophique), de ses origines cosmopolites et de son esthétique (le chanteur qu’on idolâtre depuis le milieu des années 90 évoluait alors masqué).  Huit ans après et sur la foi de ses trois premiers albums, Tristesse Contemporaine s’est plus qu’imposé dans le paysage. Musique exigeante, audace, absence totale de snobisme, efficacité redoutable et vision de plus en plus affûtée du monde moderne, le groupe qui réunit toujours Narumi Herisson (aux claviers), Leo Hellden (aux guitares) et Mike Giffts  (au chant) est devenu aujourd’hui l’une des formations les plus cotées et respectées de France. De retour depuis le 20 janvier avec un album foisonnant et passionnant, Stop And Start, le trio nous a reçu pendant sa résidence récente à la Boule Noire (en préparation d’un concert prévu le 17 février et rapidement sold out) pour nous parler à la bonne franquette et devant une pizza impeccable de son fonctionnement, de sa musique et de ce qui se passait (ou pas) autour d’eux. Après les avoir aussi côtoyés sur scène, en privé et reçu à domicile, nous est apparu, comme une évidence, ce qu’on avait pas vu ou compris auparavant : sous ses airs de ne pas y toucher, Tristesse Contemporaine est probablement en train d’incarner à lui seul ce qu’on peut attendre d’un groupe moderne.

Discret mais précis, bûcheur mais dispersé, doué et méthodique, discipliné mais pas hiérarchique, vivant mais inscrit dans la tradition, techno mais pas trop, expérimenté mais frais, décidé mais ouvert sur le monde, solide mais humain : ce trio là a non seulement tout pour lui mais est en plus en train de réaliser notre fantasme du « groupe de rock 2.0 ». Là où les anciens aimaient se regrouper autour d’un leader tyrannique, se déchirer en coulisses et lutter pour prendre le contrôle des musiques à venir, les membres de Tristesse Contemporaine jouent à fond la carte de la collaboration, de l’équilibre des forces, du don de soi et de la joie d’être ensemble (quand ils ne sont pas ailleurs). Avec leur troisième album, le trio, rejoint sur scène par un batteur (présent aussi sur une petite moitié des titres de l’album), a réussi une collection de chansons qui ressemble beaucoup à ses auteurs et qu’on aime apprécier. Ça sonne sûrement cul-cul la praline mais Tristesse Contemporaine est aujourd’hui un groupe qui sent bon le terroir parisien et la France terre d’asile. Échanges croisés dans un français juste approximatif et intelligent. Mike est loquace et amusant, concentré quand il parle de ce qu’il écrit. Narumi parle vite et a le sens de la formule. Leo précise et ponctue les échanges avec un mélange d’autorité et de sagesse. Une merveille d’équilibre, vous disait-on.

Pizza

Comment ça se prépare ce concert à la Boule Noire ?

Mike : Plutôt bien. Le concert est complet. Je crois même qu’ils ont distribué plus de places qu’il n’y en a dans la salle. Avec les invités et tout ça, cela devrait être bondé. C’est super. Et la salle est très belle.

(on quitte la Boule Noire où l’ingé son et le batteur peaufinent quelques réglages en vue de l’après-midi, pour aller déjeuner).

Mike : Vous voulez aller où on a mangé hier ?

Narumi (silence)

Leo : Bof. Je ne sais pas. Non, pas forcément.

Mike : Une pizza alors ? L’italien qui est par là-bas ?

Narumi & Leo : D’accord, ouais, parfait.

Ça fait plaisir de vous retrouver. Comment se passent les répétitions ?

Leo : Très bien. On travaille les nouveaux morceaux. Et on rejoue aussi les anciens. Cela fait longtemps et ça fait du bien.

Mike : On est contents. Contents aussi d’avoir fait cet album.

Tristesse Contemporaine - Stop and StartL’album perdu

Ça vous fait quoi d’avoir enfin ce troisième album en mains ? Ça a pris plus de temps que les fois précédentes, non ?

Narumi : Chaque album doit avoir du sens. Ça ne peut pas être juste qu’un assemblage de chansons. C’est pour cette raison que nous avions une certaine pression, pas par rapport aux médias, mais par rapport à ce que devait être cet album plutôt. Ca a pris plus de temps que prévu.

Mike : On avait beaucoup de morceaux. Pour tout avouer, nous avions quasiment bouclé un album avant celui-ci mais lorsqu’on l’a réécouté, ce n’était pas ça. Et on a voulu recommencer. Notre idée n’était pas de dire : ça y est, nous avons dix, douze morceaux, c’est fait. Ça ne fonctionne pas comme ça.

La dispersion

Entre les albums, vous avez été très occupés, Mike et Leo avec Camp Claude, Narumi, avec la longue longue tournée de Jeanne Added. Est-ce que vous vous êtes vus pendant ce temps-là ?

Narumi : On s’est croisés une fois sur le plateau d’un festival.

Mike : En fait, une bonne partie de l’album a été enregistrée avant Camp Claude et la tournée de Narumi. On a beaucoup travaillé au sortir de la tournée de Stay Golden.

Narumi : Fin 2014, oui. Je me souviens j’étais en résidence pour les Transmusicales avec Jeanne Added et j’ai fait l’aller-retour pour un mix de Let’s Go. Mais c’est une version qui n’a pas marché. Nous ne l’avons pas utilisée.

Leo : Si on n’a pas travaillé énormément pendant cette période où l’on tournait chacun de notre côté, c’est aussi qu’on a pas mal réfléchi. Et puis pendant tout ce temps, on travaillait également par correspondance. Même quand nos autres activités sont assez intenses, le groupe n’est jamais complètement au repos. Il y a toujours des moments où on pense Tristesse. On échange, on continue à travailler.

Travailler sur plusieurs projets en même temps, c’est quelque chose qui complique ou qui facilite les choses ?  A quel moment est-ce que les chansons de Tristesse Contemporaine naissent dans votre vie ?  

Mike : Ca se fait de plus en plus je crois. Les gens jouent avec plusieurs formations. Pour des raisons économiques parfois mais aussi artistiques. Regarde des types comme The XX. Ils se rejoignent sur leur projet commun et puis ils font leurs petites affaires entre les deux.

Narumi : Aquaserge aussi. Il y a pas mal de groupes français qui font ça maintenant. Finalement, c’est assez naturel.

Mike : On n’en a jamais discuté de cette façon-là tous les trois mais c’est assez évident. Lorsqu’on travaille chacun de notre côté ensemble, ou séparément, et qu’on tombe sur un morceau ou une séquence d’accords ou moi des mots, et qu’on ressent le feeling, enfin l’émotion ou je ne sais quoi. Je suis sûr que chacun de nous trois se dit : « ça, c’est un morceau Tristesse », sans trop se poser de questions.

Narumi : Je ne vais pas proposer certaines choses que je compose pour moi ou d’autres et qui ne sont pas raccord avec l’idée qu’on se fait tous les trois du groupe. Quand tu composes, tu le sais très vite. Tu mets de côté, tu laisses. Ou alors tu prends parce que ça sonne juste pour le projet.

Leo : Cette idée d’une maison commune est importante. Et ça marche vraiment ainsi et puis il y a aussi des périodes. A un moment, on se dit : il faut qu’on le fasse ! Tu regardes ton disque dur et tu te dis : bon, qu’est-ce que j’ai en stock ? On se retrouve, on teste et hop, si ça marche, ça marche. Ce n’est pas toujours réfléchi et cérébral.

Narumi : Il faut nourrir la machine. Nous sommes un groupe ouvert, où il y a assez peu d’interdits, de choses qu’on ne s’autorise pas. Chacun est son propre juge. Et je trouve cela plutôt bien car c’est à travers ces interdictions qu’apparaissent les frustrations, artistiques notamment mais aussi personnelles. C’est pour cette raison aussi que je trouve intéressant d’évoluer sur plusieurs groupes.

Leo : Cela fait presque dix ans qu’on travaille ensemble.

Ouverture

Mike : Pour en revenir à cette histoire de tournées, je crois que c’est aussi une source d’inspiration. Etre sur la route, voir plein de choses, rencontrer des tas de gens. Cela permet d’étendre l’univers. C’est important quand on écrit les textes.

Leo : Ca donne de l’air. Si nous n’avions pas chacun de quoi nous occuper par ailleurs, je ne crois pas que nous aurions pu réaliser ainsi ces trois albums. Je suis content de ça car, cela va peut-être vous amuser, mais c’est la première fois que je suis dans une structure, dans un groupe qui réalise trois albums sans exploser. Je ne l’ai jamais fait auparavant. Et je suis assez content de ça. Trois albums, ça n’est pas rien.

Narumi : C’est l’album de la confiance.

Vous venez d’univers différents ? C’est quoi le périmètre commun qui permet à Tristesse Contemporaine d’exister ?

Narumi : C’est vrai que nous avons des parcours différents. Mais il ne faut pas exagérer. Nous avons pas mal de gouts communs. Ce qui est bien lorsqu’on est ensemble, c’est qu’on cultive plutôt nos points communs qu’on insiste sur nos différences. D’un autre côté, c’est plutôt normal. Lorsqu’on parle avec quelqu’un, on ne va pas choisir un sujet où tu sais pertinemment que l’autre n’en a rien à faire ou ne comprend rien, tu vois. On va parler des choses qu’on peut partager. Et puis nos territoires musicaux sont tout de même assez proches.

Leo : Au début, tu as l’impression que tout est très ouvert et puis peu à peu cela se referme naturellement. Tu sais que lui n’aime pas ça, qu’elle n’est pas trop dans ce genre de trucs. Tu te connais mieux et oui, tu t’autocensures mais sans que ce soit violent. Nous n’en avons pas encore parlé mais si nous faisons un autre album, le jeu sera probablement de sortir de notre zone de confort, de ne pas nous cantonner à ce qu’on aime bien ou ce qu’on sait faire. Sinon justement on risque de s’autocensurer jusqu’au point que tu n’as pas de possibilité d’avancer. Il faut se forcer à casser le truc pour ne pas être coincé. Il faut que le groupe reste dynamique.

Collaboratif

On a l’impression que le groupe est équilibré ? Pas écrasé par quelqu’un ? Cela se ressent quand on traîne un peu avec vous. Il y a de l’attention l’un pour l’autre et une volonté d’écouter tout le monde. Ca fonctionne aussi comme ça musicalement ?  

Mike : Chacun a sa personnalité. C’est dans notre nature. Il n’y a pas de désir chez l’un ou l’autre d’être le leader. Aucun de nous n’est là pour dominer, pour régner sur les autres.

Leo : Ca n’aurait pas été le même groupe.

Narumi : Chacun essaie d’apporter ce qu’il sait faire. Je ne peux pas écrire les paroles comme Mike. Ce qui nous anime c’est vraiment une volonté commune et partagée de rendre les morceaux plus intéressants. Qu’est-ce que je peux ajouter ou enlever qui rend le morceau meilleur ou plus stimulant ?

Mike : On apprend aussi en allant. On tâtonne pas mal. C’est très pragmatique. Plus de claviers, moins de claviers. Il y a une forme d’hésitation permanente mais qui aboutit à quelque chose de très décidé.

Narumi : Au début, ça sonnait un peu comme The Cure. Et puis on a gagné en confiance. Il faut mieux se connaître pour lâcher prise et ne pas avoir peur de décevoir l’autre. On s’approche maintenant de la musique qu’on peut faire ensemble. Ca ne veut pas dire que ce n’était pas le cas avant mais les choses se mettent en place différemment.

Stop and Start

Vous avez lâché un album entier et puis vous êtes revenus pour rectifier ce qui n’avait pas fonctionné. Vous aviez alors une idée précise de l’album que vous vouliez ?

Leo : Lorsqu’on a enregistré les premiers morceaux, on est allés dans une direction. Une voie s’est ouverte. On pensait qu’il y avait une piste, dans mon souvenir, avec la batterie. C’était les premiers morceaux et on a voulu faire tout ça de cette manière. Les morceaux avec de la batterie sur l’album sont ceux qui sont restés. On avait certains titres qui étaient bons et d’autres qui ne marchaient pas. La piste n’était pas mauvaise mais elle ne pouvait pas fonctionner sur un album entier. Peut-être qu’on s’était emballés.

Narumi : 2ème album, septembre 2011- Novembre 2013, c’était fini. On est allé très vite. On pensait sortir l’album en 2014, à la Beatles, tu vois. On enchaîne.

Léo : J’avais l’expérience d’un groupe où l’on a bossé ensemble pendant cinq ans. Et puis au final l’album n’est jamais sorti. Après cette expérience, j’ai toujours eu peur de ça : rester scotché avec un album sur les bras. Si tu fais un album, il faut qu’il sorte tout de suite. Je ne suis pas sûr d’avoir raison de me reposer sur cette expérience traumatique mais tout de même j’ai du mal à voir comment cela peut être pire que de ne pas sortir un album. On l’a gardé, on a repoussé la date de sortie, on l’a repris. Il fallait trouver un moment opportun, le marché, ça traînait. Avec Tristesse, je voulais que ça sorte. Et puis si tu regardes le monde moderne, c’est la tendance. Il n’y a qu’Adele qui arrive à sortir un album, à disparaître aussitôt ! Et à faire une longue longue pause, de plusieurs années. Les autres sont obligés de sortir plus. Oui. Les longues pauses, c’est risqué. Tu peux t’éteindre. On s’en est bien sortis.

Narumi : Tristesse qui ?

Mike : Non, c’est pas mal. Les choses changent tellement. Je trouve que cette pause n’est pas mal tombée. Et puis c’est le bon moment.

La maison de disques vous pressait ?

Narumi : Non, pas du tout.

Mike : Ils sont très relax.

Leo : Les choses se sont faites par envie, par souci de réalité aussi. D’une certaine façon, je suis sûr que si la maison de disques avait insisté un peu plus et nous avait précipités, nous aurions probablement sorti quelque chose avant et cela aurait peut-être été un peu moins bien, différent en tout cas. On ne peut pas savoir. C’est juste que nous, au lieu d’être frustrés, on attend que les gens nous rappellent, on a juste modifié le projet pour s’adapter à notre propre rythme. En garder le contrôle. Si nous on ne veut pas faire un album, personne ne peut venir le faire à notre place. C’est encore ça la richesse du modèle. Je vis les choses d’une façon assez intense et cela me paraîtrait insupportable d’enregistrer un disque et d’attendre deux ans avant qu’il sorte. Alors je fais de la musique, j’enregistre des choses. Je compose deux ou trois albums pour tuer le temps. C’est ma manière de faire. Je peux m’adapter au rythme des choses mais il faut tout de même s’adapter à la réalité.

Valeur travail

Narumi : Pour ma part, j’aime bien rester affûtée et active. Un groupe de rock ce n’est pas non plus rester là à rien branler. Et c’est une façon de rester dans le coup, de rester créatif. C’est ce que j’aime dans l’idée de travailler pour pas mal de monde. Comme on n’a pas beaucoup le temps ensemble, ça te force à aller vite, à faire les choses sérieusement. Mon temps est précieux. Je me dis : qu’est-ce que je dois répondre ? Allez j’y vais. Je ne fais ça de manière nonchalante.

Mike : C’est pas du tout, si ça l’a jamais été, un truc du genre : « ok, je suis un génie. J’arrive et paf. Je fais mon texte, ma musique. » Pour moi, être dans un groupe, c’est faire plein de choses, bosser, écrire des trucs tous les jours, enregistrer sur le téléphone, sur ce que tu as sous la main.

Narumi : On a su varier les modes de composition. On fonctionne par correspondance et puis il y a des fois où l’on se retrouve au studio juste comme ça et on bosse ensemble quelques heures, pour accélérer les choses et faire ça comme il faut, en direct. Est-ce que je peux faire ça ? Qu’est-ce que tu dis de ça ?

Mike : Ca n’est pas différent pour les textes. Je modifie beaucoup. Je travaille chez moi où j’enregistre en permanence. C’est ce que je trouve vraiment agréable dans la manière dont on travaille. Je me balade avec mon micro et je chante quand je veux, à l’heure que je veux. Dans mon salon, après avoir conduit mon fils à l’école.

Leo : Nous sommes plus productifs sur des séances rapides. Deux ou trois heures, une demie-journée.

Il y en a encore pas mal de groupes qui réservent encore 3 semaines en studio d’affilée, non ?

Leo : Sûrement. C’est vraiment une question d’équilibre. Il y a des choses qui se font très bien tout seul et puis il y en a d’autres qui fonctionnent ou qui évoluent plus vite quand tout le monde est là, te regarde.

Narumi : Il y a une immersion.

Leo : Tu peux tenter des choses et lire tout de suite dans le regard de l’autre ce que tu as fait. Pour ma part, j’aime bien aussi fonctionner en direct. Avant, j’avais plutôt ce besoin de rentrer dans le truc mais maintenant j’aime bien passer en studio, me concentrer et puis jouer. Je peux y être avec Mike et prendre du plaisir. L’avantage, c’est que je n’ai pas besoin de réfléchir pour savoir si c’est bien ou pas. C’est quelque chose de très important pour Tristesse Contemporaine. J’avais une expérience antérieure où je travaillais beaucoup avec un ingé son etc, dans un grand studio. Quand tu as une idée, le temps d’installer tout ça, que le gars te fasse tes réglages, les micros, etc. Une fois sur deux, tu oublies ton idée ou tu te dis avant d’y aller, est-ce que ça vaut la peine d’embêter tout le monde pendant une heure alors que ce n’est juste qu’une idée ? Avec Tristesse, on voyage et on compose léger. Moi ce qui m’intéresse aujourd’hui, c’est d’être rapide. Le principe, si t’as une idée, c’est de pouvoir la tester en 30 secondes. C’est un privilège et une vraie méthode. Tristesse n’aurait pas existé sans ça. Le troisième album est paradoxalement un peu différent. C’est un album plus réfléchi, plus structuré.  Au début, c’était vraiment spontané. Capter le moment. Au démarrage.

La méthode

L’album est assez minimaliste d’ailleurs. C’est ce que vous vouliez. Mais c’est aussi sophistiqué.

Leo : Aujourd’hui, on est moins dépendants de cette agilité. Et on a aussi plus de savoir-faire, pas individuel mais ensemble. Notre méthode tire le meilleur parti des deux dispositifs.

Tes textes, ils arrivent quand, Mike ?

Mike : Ca dépend. Il m’arrive d’écrire de petites choses comme cela, des phrases, des séquences. Mais la plupart du temps, j’essaie lorsque j’écoute une piste de comprendre ce que le morceau a à me dire. C’est toujours difficile à expliquer mais j’essaie de visualiser et de comprendre les couleurs, la dynamique. Qu’est-ce que ça veut dire, cette musique ? Mon texte vient de là.

Vous discutez ensemble des textes ?

Leo : je découvre souvent les textes longtemps après. Ca a une grande importance évidemment mais dans un premier temps, cela n’affecte pas ce que je fais, ni la musique qui est à l’origine du morceau. Je suis concentré sur ce que j’ai à faire. Ce qui ne veut pas dire que je ne les apprécie pas ou que je ne les considère pas comme un part importante du tout. Ils font partie de la musique et apportent des choses.

Est-ce que le texte peut ensuite affecter ta façon de jouer ?

Narumi : Un peu. Il y a des musiciens pour lesquels la musique doit rester de la pure musique et qui se moquent vraiment des textes. Mais ce n’est pas le cas. Je ne pourrais pas jouer dans un groupe où le chanteur raconte n’importe quoi. Pour ma part, je suis en totale confiance avec Mike. Cela résonne et puis… c’est bien.

Mike : (rires) En fait le truc, c’est que si je chante vraiment de la merde, ils vont venir me le dire. Tant que ça ne se produit pas, c’est que ça va à peu près.

Leo : Ce n’est pas ça ! Il veut des compliments. Je considère les mots clés, la façon dont le texte joue avec la musique et s’appuie dessus. C’est ça qui est important pour moi d’abord et Mike fait ça très bien. Au début, cela se faisait peut-être moins naturellement mais avec le temps, l’intégration des textes et de la musique est de plus en plus facile. Je me souviens qu’on a parfois enlevé certains couplets, retiré des séquences. C’était au début. Mais plus maintenant.

J’ai l’impression aussi que le style de Mike a évolué, non ? Avant tes vers étaient plus longs. Tu as pas mal simplifié ta manière d’écrire.

Mike : Il y avait trop de mots ! Si tu écoutes le rap maintenant, c’est quelque chose qui se fait, il y a moins de mots, moins de textes. C’est moins compliqué et bavard d’une certaine façon.

J’ai le sentiment aussi que tu es moins descriptif. Tu es plus dans l’allusion, dans des phrases répétées. Des recherches sonores.

Mike : Ca dépend. Parfois j’ai encore vachement de textes quand même et oui, on me coupe encore. C’est plus léger maintenant, c’est volontaire. Je joue plus avec l’espace entre les mots.

Narumi : Au début avec Leo, on disait qu’est-ce qu’il cause ! On n’arrivait pas tout le temps à comprendre tout ce qu’il disait. Maintenant c’est mieux ! (rires)

Mike : C’est vraiment une évolution dans le hip hop. J’ai commencé à chanter dans un contexte essentiellement rap et à une période où le meilleur du rap consistait à placer le plus de mots, de phrases dans un couplet. C’était un concours de vitesse, d’éloquence. Si aujourd’hui, je ne chante plus vraiment dans ce registre car je fais de moins en moins de rap, lorsque j’écris, c’est toujours plus ou moins du rap dans ma tête. Cela sonne toujours comme cela pour moi. Et le rap justement que j’écoute encore a pas mal évolué. Ce qui compte maintenant de plus en plus, c’est l’espace entre les mots. Tu dois aérer les séquences, ménager cette notion d’espace. Il y a moins le côté performance, plus le côté haïku. Une volonté d’entrer en phase avec la musique. Mais cela reste toujours aussi sérieux et important. Ca n’est jamais quelque chose de léger pour moi.

Justement, il y a pas mal d’engagement dans ce que tu écris. Ce n’est pas politique mais tu parles des choses du monde.

Mike : Il y a toujours une histoire derrière mes textes, une portée. Ce n’est pas toujours d’une clarté absolue parce que je ne veux pas être trop lisible mais j’essaie de raconter l’histoire qui est portée par la musique.

Parlez-moi de Ceremony d’ailleurs. C’est vraiment un titre bizarre. Ca démarre comme un machin satanique, bizarre et puis, à force de clichés, cela devient burlesque. Ca m’a fait penser à Rosemary’s Baby.  

Mike : c’est un morceau échappé de notre première période. Tu assembles des choses qui ne marchent pas forcément ensemble et tu es sûr que quelque chose va se produire. Ca sonne comme du Iggy Pop.

Narumi : Je crois que la musique a été inspirée par un bâtiment dans lequel on s’est retrouvé, avec des couloirs très longs, très sombres, une sorte de bâtiment industriel, très impressionnant, oppressant et mystérieux.

Suicide. C’est un truc que vous écoutez tous les trois ?

En chœur : ça fait partie du périmètre commun.

C’est quoi votre morceau préféré sur l’album ?

Narumi : No Hope.

Leo : No Hope je crois.

Mike : Je vais rester sur Let’s Go. J’aime bien ce morceau.

Leo : No Hope, c’est un autre Tristesse Contemporaine. Ce sont des nouvelles choses. C’est tout léger. Let’s Go également. Ca relevait d’une nouvelle logique pour nous. Par moment, nous avions l’impression en concert que nous n’arrivions pas complètement à «connecter » avec les gens. Il y avait une certaine froideur. On voulait par réaction à ça écrire des morceaux qui permettent d’entrer en contact avec les gens. Lorsqu’on a fait Let’s Go, on s’est dit : voilà une chanson qui va servir à ça. Si on a ce morceau, ça va aller pour le live. On ne restera pas longtemps séparés du public.

Votre côté sombre est contrebalancé par une énergie évidente. Girls, Dem Roc. Let’s go démarre avec des claquements de mains et une instrumentation très simple. Et puis il y a ce riff incroyable. 

Leo : Exactement. Let’s go fonctionne comme une invitation à entrer dans l’album. Il n’y a pas de ticket d’entrée. Oui, le riff, merci.

On a l’impression que vous avez fourni un travail pour décortiquer et mettre à nu votre musique et en même temps oser de nouvelles choses, être plus audacieux.

Leo : Audace, je ne sais pas. Les morceaux sont plus structurés mais il y a beaucoup de choses qui sont simples et sont venues comme ça.

Mike : A force de travailler ensemble, il y a des choses qui viennent naturellement. Je ne crois pas, au contraire, que la structure des morceaux soit plus compliquée que sur Stay Golden. Mais c’est une bonne impression !  Nous sommes un groupe simple et compliqué à la fois !

Photo : Team SBO

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