Ty Segall est si prolixe que la plupart des gens en ont marre. A part quelques doux dingues dont tout le monde se fout, le Californien est aujourd’hui l’un des seuls musiciens de renom capable de suivre ce rythme effréné sur une telle période. Son précédent album, Emotional Mugger, est sorti il y a tout juste un an mais le bonhomme qui fêtera ses 30 ans en milieu d’année, ne s’en est pas contenté puisqu’il a aussi sorti un album avec ses amis sous le patronyme de GGØGGS. Les journalistes en ont marre et passent leur temps à comparer l’album qui suit à celui qui précède, essayant (parce que ça devient un sacré bordel) de séparer le bon grain de l’ivraie et de donner du sens à tout ça. Quelle chienlit !
A notre échelle, parce qu’on n’a jamais été obsédé par le génie supposé du type, on accueille le cru 2017 pour ce qu’il est : le 9ème album d’un type qui s’y entend pour faire du rock garage, broder autour et faire ce dont il a envie. On sait d’emblée qu’on écoutera cet album jusqu’au prochain et sûrement à peu près aussi longtemps que lui a mis de temps à l’écrire et à l’enregistrer mais qui s’en soucie ? Puisqu’on est là et lui aussi.
Ty Segall (l’album, qu’on ne doit pas confondre avec le Ty Segall l’album de 2008) a été enregistré avec un vrai groupe composé pour moitié des Muggers (groupe formé pour soutenir l’album précédent) et de « vieux » collaborateurs de Segall. Le son est puissant, net et plutôt rock…. sous-rayon psychédélique années 70. On avait connu un Ty Segall bolanien, un Ty Segall stoogien et parfois nirvanesque, on est ici dans un truc assez vintage qui évoque la dernière période de John Lennon, c’est-à-dire un beau bordel désordonné qui alterne des machins proches du hard rock (Break A Guitar), des trucs psyché garage, des échos de rock stonien (plus blues), des trucs cons (Freedom) et des balades sentimentales (la chanson d’amour pour Madame, Orange Color Queen). Comme Ty Segall n’est pas tout à fait Lennon et comme nous ne sommes pas dans les années 70, l’album a souvent un air de déjà vu et déjà entendu, un je-ne-sais-quoi vieux jeu dans sa manière d’aligner les solos de guitares qui n’est pas toujours plaisant mais la qualité des compositions et l’allégresse générale emportent aisément le morceau.
On est clairement là pour s’amuser et faire ce qui nous passe par la tête. Si on a envie de terminer l’album en faisant rugir la guitare et en appelant ça Untitled, qu’est-ce qui peut nous en empêcher ? Si on veut inviter Beck à une soirée scout, on peut chanter Papers au coin du feu. Jouer à Led Zeppelin sur The Only One ? Aux Beatles sur Talkin’ ? Ty Segall ressemble à un bœuf/beauf entre amis ou à une soirée cabaret chez les Freaks Indé. C’est à la fois décevant et grisant à force, si l’on considère que c’est le même mec qui a écrit TOUTES ces chansons. On pourrait dire que Ty Segall manque de cohérence mais ce ne serait rien comprendre au bonhomme que de lui en demander. La plus grande qualité de Ty Segall est probablement de ne pas vouloir (ou pouvoir) être où on l’attend. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’est pas parfois au rendez-vous. Cet album est probablement son plus académique depuis un bail. Ce n’est ni un bien, ni un mal, même si on préfère la partie la plus déconstruite de son travail. On peut faire la fine bouche mais Break A Guitar, Thank You Mr K et quelques autres sont suffisamment cool pour qu’on s’en foute plein la lampe. Faire l’amour dans sa voiture sur Take Care (To Comb Your Hair) doit être plutôt pas mal. On peut même essayer de faire croire à sa femme qu’on l’aime encore en chantonnant Orange Color Queen. Elle oubliera ses cheveux gris.
Etre punk, c’est ne jamais oublier qu’on l’a été. Il y a quelques chansons ici qui deviendront peut-être des classiques d’ici cinq ou dix ans. Le reste pue du bec.