Vie Marine : Le Grand Bleu remixé par Maud Geffray

Maud Geffray - The Big Blue OvertureCela faisait assez longtemps qu’on avait pas essayé de faire de l’apnée dans la baignoire familiale en pensant au Grand Bleu, le chef d’œuvre hallucinogène de Luc Besson, sorti… en 1988. Étrangement, ce monument du cinéma français est rarement rediffusé et continue ainsi de flotter, intact, magique et enivrant, dans notre conscience post-utérine (et adolescente), entre les dauphins et les barbus de trois jours à l’accent italien.

Dans ce bouillon mémoriel, la musique signée Eric Serra, compagnon de route du cinéaste, tient évidemment une place immense, tant le Grand Bleu s’avérait au final un film de peu de mots. Les longues descentes des plongeurs n’existent que parce qu’elles sont arrangées et sonorisées par un Serra au sommet de sa grâce synthétique. Il aura fallu 32 ans pour qu’un autre musicien, une musicienne même, venue d’un bord de mer industrieux, s’attaque au monument et revisite la Grande Ouverture du mélodiste de Saint Mandé. Maud Geffray, au sommet de son art, donne une version du Grand Bleu qui touche au sublime, respectueuse et moderniste, transformant ce qui était devenu, avec le temps, une scie musicale des profondeurs, en une odyssée à ressort.

Le morceau garde ses qualités introspectives, ses échos de dauphin, mais y gagne une forme de sens épique qui n’est pas forcément le propre de Geffray. Hans Zimmer est tout de même assez loin mais on sent une recherche d’efficacité d’abord, puis une sorte de difficulté à franchir les paliers atmosphériques jusqu’à mi-morceau. Geffray essaie de suggérer l’urgence du descendeur, la raréfaction de l’air dans les poumons avant que l’illumination ne se produise. La seconde partie sonne la renaissance du plongeur, l’ivresse de celui qui oublie son appartenance terrestre et s’abîme parmi les poissons et les rochers. Le Grand Bleu de Maud Geffray est moins serein et poétique que celui de Serra, moins romantique sûrement. Il est plus sportif et physique, plus organique aussi comme s’il appliquait à l’apnée les techniques développées par Kraftwerk pour décrire le mouvement du vélo ou de l’automobile. La seconde partie du titre fait presque écho au double maudit Abyss de James Cameron, qui sort l’année d’après, tant on s’attend au détour d’une boucle à voir surgir une créature venue d’ailleurs. Maud Geffray n’en rajoute pas dans l’abstraction et donne à sa version une densité et un sens du réel dont l’original se dispensait. A la naïveté de Serra, elle substitue par petites touches un souffle onirique délicat et suggestif mais contenu et étrangement non exploité. On aurait aimé que le titre se prolonge quelques minutes encore pour pousser le voyage un peu plus loin.

Le résultat est étonnant en tout cas et nous redonne une envie folle d’y retourner. Pour dire la chose, on n’a pas tenu les cinq minutes et dix secondes du titre sous l’eau, ni même jamais dépassé les trois minutes. Le remix de Maud Geffray annonce la sortie d’un Grand Coffret consacré à la BO du film et une série de ciné-concerts dans toute la France (reportée mais à venir).

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2 Comments

  1. says: Dorian

    Cher Benjamin,

    Vos critiques musicales sont un délice de lecture. Elles sont rafinnées, délicates et extrêmement bien référencées. Je l’avais déjà remarqué par petites touches dans vos romans tels que « Le Nuage Radioactif » (quand vous évoquiez Aaron Copland).

    Je suis complètement d’accord avec vous pour ce très bon remix de ce sublime titre de Serra. L’original, que mes parents avaient en cassette, réveille certains souvenirs d’enfant.

    On en vient à espérer revoir plus de films hypnotiques et envoutants au cinéma – même si on retrouve cette sensation dans les films de Nicolas Winding Refn, et ses BO de Cliff Martinez.

    Petite précision : je crois qu’il s’agit de cris de baleines, un autre cétacé, que l’on entend (et non d’échos de dauphins). Là réside l’ambivalence! Serra est revenu dessus lors d’un entretien sur France Inter.

    Amicalement

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