Dans un songe déplacé, on a imaginé que VIOT assurait l’ambiance un dimanche après-midi lors d’une animation loto organisée dans une petite ville rurale. La salle porte le nom d’un acteur inconnu et les familles boiteuses se pressent jusqu’à atteindre 300 ou 400 personnes pour placer des grains de riz sur des cartes magiques. Façon go pour le peuple d’en bas. Une boule en maille de fer est placée sur l’estrade, devant la pile constituée par les lots de l’après-midi : machine à laver, téléviseur HD, vibromasseurs coquins, panier garni. Tandis que le maître de cérémonie met ses boules une à une sur la table, VIOT prend la scène et joue à ne rien laisser paraître. Ca y est, le jeune homme est devenu le nouveau chouchou des familles, le héros national, celui qu’on entend partout. Radio, loto, dodo. Le petit fiancé de la France chante avec la même moue détachée que sur le clip où il faisait l’indien.
Si Adrien Viot aime les mises en scène, son album vaut mieux que celle-là, surréaliste et à petits budgets. Mais elle dit bien l’horizon qu’on lui souhaite : celle d’un dépassement des seuls horizons indé pour entrer dans le champ, pas si dégradant (même si on y cotoye de tout) des musiques populaires. Astana est un album important, exigeant et accessible. C’est un album, qui pour un premier, est aussi un coup de poker audacieux. On en a profité pour examiner le phénomène en devenir. De près et un peu en travers. Itinéraire d’un enfant du siècle, comme disait l’autre, ou comment faire de la musique et prendre la citadelle.
Photo : Astrid K.
Ce premier album intervient après un assez long processus de maturation depuis ton premier single et tes premiers pas en tant qu’AV. C’est difficile de mettre la dernière main à un premier album ?
Astana a été réalisé en quinze jours dans une maison louée pour l’occasion, avec mon guitariste Vincent Béchet, les Casamorga mais aussi Alexandre Armengol Areny qui avait déjà arrangé mes deux EPs. En réalité, ces trois dernières années, deux albums ont été bouclés mais ne sont finalement pas sortis. Il y avait des blocages d’ordre financier en particulier. J’ai même failli tout arrêter… La rencontre avec Léo Deleuze (chanteur de Casamorga) a été l’un des éléments déclencheurs qui m’ont remis sur les rails avec le premier titre de l’album Rouge qu’il a réalisé et co-composé.
Qu’est-ce qui fait, alors qu’on vante aujourd’hui la facilité d’emballer rapidement un album (pas cher, etc.) pour tout un chacun, que tu aies passé autant de temps à enregistrer le tien ? Est-ce une question d’exigence sur le produit fini ou une question de cheminement personnel et artistique ?
Si on veut bien faire les choses et être indépendant, la question financière revient toujours sur le tapis. Un mastering, une promo, la fabrication du vinyle, les droits de distribution, etc. Tout ça coûte cher. Après, on peut faire le choix de proposer des morceaux non masterisés et non mixés en téléchargement gratuit. Mais pour moi, les titres mis en ligne doivent être finalisés et bien ficelés.
Quelle importance a pour toi cet album ? Est-ce que cette étape du premier LP signifie quelque chose de très différent que de sortir par exemple des EPs comme tu l’as fait ces dernières années ?
J’aime les albums avant d’aimer des titres. Pour moi un album est un long métrage, un EP un court. Par moment un court métrage suffit à évoquer un sujet ou une thématique, des fois ce n’est pas le cas. Je sais que mon prochain album sera plus court par exemple. Mais on sait tous qu’un EP est surtout fait pour draguer les labels…
Tu sors le disque sur ton propre label. Après l’écho rencontré par tes premiers travaux, on s’attendait plutôt à te retrouver sur une maison de disques plus « officielle ». Comment cela s’est-il fait (ou défait) ?
J’ai eu quelques rendez-vous avec des labels, mais je crois que je leur ai fait peur. Je ne suis pas méchant pourtant… mais je tiens à ma liberté. Bosser avec les arrangeurs qui s’occupent disques des trois quarts de la pop française, non merci. Alexandre a fait un super travail sur mes EPs, il était donc hors de question de me séparer de lui, bien que quelques collaborations avec d’autres arrangeurs ont été tentées. J’ai eu souvent l’impression d’avoir le cul entre deux chaises, trop indé pour les gros labels, pas assez pour les petits. Et puis la concurrence est rude, dix fois plus qu’il y a cinq ans et beaucoup de beaux disques passent malheureusement à la trappe. La création de Langage Records a été la seule solution pour ne pas avorter d’un troisième album.
C’est une curiosité du reste mais tu as choisi, ce qui se fait pourtant pour un premier album, de ne pas inclure les titres forts qui figuraient sur tes précédents singles comme Venus Bar, Zombies ou Autostrada. Pourquoi ?
Ces titres-là devaient figurer sur le premier album qui n’est jamais sorti, ils ne rentraient pas sur l’album Astana, trop cinématographique. Mais je suis très fier de ce qui a été fait avec Alexandre et Christophe Van Huffel. Autostrada va bien vieillir et Venus Bar est un très bon titre pop.
Si tu devais résumer en quelques mots l’état d’esprit qui t’habite à quelques encablures de cette sortie, ce serait quoi ? Tes espérances, ton ambition, ce que tu ressens ?
Beaucoup de stress, j’ai été un peu aidé par un mécène qui suit mon parcours depuis longtemps mais ça n’a pas suffi. J’ai dû liquidé mon PEL, emprunter de l’argent à ma famille et vendre un synthé. Il n’y a rien de pire pour un musicien que de vendre ses instruments. Après tant de sacrifices, j’ai évidemment beaucoup de pression et beaucoup d’espérances… Pour éviter l’angoisse et le sentiment d’attente, je suis déjà en train de bosser sur le prochain album. Je pars une semaine après la sortie de l’album pendant quinze jours pour enregistrer un disque très électro avec Alexandre et les musiciens qui m’accompagnent maintenant sur scène.
Cet album me paraît assez osé. On y retrouve à la fois des sonorités plutôt dark, ou new wave, délibérément « indé » et en même temps une certaine légèreté « chanson » avec des titres tubesques. Ce n’est pas si fréquent dans le rock français qui est souvent clivé entre rock et variétés de créer ce type de passerelles… A qui est-ce que tu destines ces chansons dans ton imagination ? Qui va-t-écouter ?
On revient à ta question de tout à l’heure, j’ai l’impression que c’est compliqué de faire le grand écart entre arrangement indé et accessibilité. Mais je ne désespère pas. Feu! Chatterton, Lescop ou encore Christine and the Queens ont bien réussi. Quand je suis dans la création je ne me pose pas la question de savoir à qui je m’adresse, je fais de la musique de la manière la plus égoïste possible, il faut que ça me plaise avant tout.
Tu as fait pas mal de concerts ces dernières années. A Paris notamment mais on sent que tu es plus L’International et petite couronne qu’hyper centre branché… On se trompe ? On dirait que tu n’as pas cherché complètement à exploiter ton image naissante : le côté « belle gueule » photogénique, etc.
Merci pour la « belle gueule », mais je ne choisis pas mon public, si demain on me demande de jouer au Silencio ou au Pitchfork, j’irais avec plaisir.
Je reviens sur cette question du genre musical qui est toujours une question limitative mais je sais que tu revendiques cette absence de frontière entre la musique populaire et la musique supposément plus pointue. Quels sont tes modèles français dans ce domaine ? Tu as croisé Daho notamment. Je crois que tu n’as rien contre Bashung ou Christophe. Ce sont des gens dont tu peux admirer le travail et la position artistique, par exemple ?
Si Christophe et Etienne Daho sont encore à ce niveau de création et de popularité c’est qu’ils n’ont pas suivi de plan de carrière, au contraire. Si on les aime tant c’est qu’ils nous surprennent à chaque disque et qu’ils restent sincères et intègres dans leur démarche.
Le thème principal de l’album est peut-être bien l’amour et plus particulièrement la confiance, la trahison dans le couple. La vision que tu en donnes est très cinématographique comme si l’amour ne pouvait que relever d’une mise en scène, d’un jeu de rôles. Il doit y avoir de la grandeur, de l’invention. C’est plutôt romantique. C’est ta façon d’envisager les choses ?
Oui l’album parle de corruption, de trahison et de mensonge. « Astana » sonnait aussi bien comme un prénom de femme que comme une destination inconnue. Cela veut dire « capitale » en kazakh. Les histoires que je raconte peuvent se dérouler dans n’importe quelle capitale du monde, où l’on est plus exposé qu’ailleurs aux tentations. Le romantisme est pour moi la vulnérabilité face à l’inconnu. Doit-on rester fidèle à ce que l’on est et aux autres quand on y est confronté ? C’est la principale question qui est posée dans ce disque.
D’une manière générale, tu te distingues de certains chanteurs français par cette manière que tu as de penser les choses en grand. Tes textes sont amples. Tu mets pas mal d’emphase dans ta vision des choses. C’est très loin de certaines chansons chichiteuses ou de l’autofiction. On a l’impression que tu as envie d’emmener l’auditeur en voyage. De l’emmener dans une représentation qui s’apparente à un film, à de grands espaces…
C’est gentil. Je crois que je conçois la musique comme un film, j’ai besoin de tout cadrer, de tout mettre en scène. Mais ce n’est pas quelque chose de calculé, c’est vraiment un reflex.
Parle-nous de Honey. C’est un morceau étrange. On dirait un vieux truc de rockeur, de lover aussi, du rockab’… C’est une chanson que tu pourrais prolonger des heures et que tu étires sur scène d’ailleurs… Tu joues beaucoup sur les sonorités lorsque tu écris. Les rimes, les assonances. On sent que ça t’intéresse au moins autant parfois que le sens « normal » des mots. Tu aimes quand ça claque.
Etant un grand fan d’Alan Vega je rêvais de faire ce genre de morceau. Et j’ai redécouvert ma voix grâce à ce titre. Avec Alexandre nous nous sommes influencés d’un remix de Bruce Springsteen par Trentemøller. Je voulais réaliser un morceau de rockab’, dans la retenue, sur le fil, jouer avec la tension et apporter de l’intention au texte et à la voix. En live Honey marche hyper bien, on la fait durer parfois vingt minutes, avec une fin très rock qui donne au morceau un coté J’aime regarder les filles de Coutin.
Comment ça se passe une composition de Viot ? Tu viens avec le texte ? Les musiciens te proposent des musiques ou est-ce que tu composes toi aussi ? Tu enregistres vite ou est-ce que tu y reviens sur plusieurs sessions, sur plusieurs semaines ?
La compo commence toujours par une mélodie de voix qui me trotte dans la tête, j’écris ensuite un texte à partir de cette mélodie que je place sur un basse-batterie. Puis je demande à mes musiciens de me faire une dizaine de propositions différentes en leur donnant des indications, des directions. Je leur demande surtout de ne pas faire ce qu’ils savent faire, c’est le meilleur moyen pour avoir au final quelque chose de singulier. Avec Alex nous faisons ensuite un choix de pistes sur la section rythmique que nous avons choisie et travaillé ensemble. Pour Devenir un indien, j’ai cru que mes musiciens allaient finir par m’étrangler car ils ne me donnaient pas « satisfaction », jusqu’au moment où Vincent m’a proposé le son de guitare « indien » du morceau qui lui donne son côté China Girl. Léo est venu ensuite proposer un nouveau riff avec le son de Vincent. Bref le processus de création peut être très long et compliqué. C’est pourquoi nous nous sommes isolés quinze jours dans une maison sans wifi pour faire l’album. J’ai besoin que tout le monde soit concentré.
Je reviens à cette notion d’audace que j’évoquais au début. Certains reprocheront au disque de faire le grand écart entre des morceaux comme Rouge ou Renaissance qui ont un tempo très ralenti, qui sont très intimistes et des titres qui sont plus offensifs comme Grand Action. C’est ce qui te plaît, ce passage par différents états ?
Il y a effectivement un rêve synthétique, une parenthèse onirique au milieu de l’album qui commence par Tout est enfumé. J’y fume peut-être quelque chose qui m’inspire ensuite Grand Action et Astana…
Dans l’idéal, qu’est-ce que tu aimerais que l’auditeur ressente ou garde de toi en écoutant ce disque ?
Sincèrement, quand je réalise les chansons, le seul auditeur c’est moi. Le studio, c’est un délire assez égoïste. Il y a ensuite le live, et là oui il faut aller chercher le public, le séduire, l’attirer l’accrocher, le déstabiliser.
Tu donnes un peu les clés de ton écriture sur le très beau Un Métier. C’est une chanson qui, par son thème, sonne comme une déclaration d’intention et qui parle de fait de tout autre chose que les autres. Tu présentes l’écriture comme une forme de don, de mise à l’écoute complète mais aussi un peu comme une malédiction… Tu peux nous en dire plus sur ta manière de concevoir les choses ?
Un métier est certainement la chanson la plus courageuse et la plus sincère que j’ai pu faire, j’en suis très fier. Avant, il y a eu Parce que c’est vous, une chanson d’adieu écrite au moment où je voulais tout arrêter, j’étais écœuré par tout un tas de chose et désespéré par la précarité de ma situation. Puis un jour Etienne Daho m’a demandé de faire sa première partie à la Cité de la musique et à Nantes. Ça m’a remis en selle. J’ai écrit cette chanson pour décrire le métier d’artiste comme étant difficile parce que ça n’en est pas vraiment un. C’est plein de petites batailles quotidiennes que l’on gagne rarement… C’est très sincère mais très cynique aussi.
A travers tes paroles, on t’imagine comme un type plutôt solitaire, timide et sauvage mais aussi comme quelqu’un qui peut être aussi très émotif, presque violent et exclusif : s’attacher fortement aux gens, au groupe et évidemment aimer sans retenue. Cela te correspond ou c’est ton « personnage de chansons » ?
Peut-être. C’est sûr que j’ai un rapport passionnel avec la musique donc aussi avec les musiciens. J’ai une admiration immense pour Vincent mon guitariste et Alex mon arrangeur qui me supportent maintenant depuis cinq ans…
Tu joues beaucoup sur le réel comme fiction, sur cette idée que ce qui se passe est peut-être la vérité mais aussi souvent un film, une construction, un mirage. Tu es grand rêveur ou tu crois qu’il est toujours préférable de se réfugier dans les histoires qu’on se raconte ?
Il y a toujours une dimension cinématographique dans ma narration car elle permet un peu de pudeur et donc un peu de mystère. J’apprécie ça quand j’écoute certains albums. Je comprends rarement, par exemple, les chansons de Jean-Louis Murat, mais je suis persuadé qu’elles sont sincères, ce qui permet de les interpréter de mille manières.
Il y a plusieurs chansons qui sont assez sévères sur l’amour. Je pense à Pars et Devenir un Indien. Tu aimes cette idée de rupture ? Ce qu’elle entraîne comme émotions ?
L’idée de rupture c’est aussi l’idée de renaissance, c’est sans doute pour ça que ce thème est récurant dans mes chansons.
Tu as abandonné le nom d’AV qui renvoyait peut-être à un personnage de fiction pour toi pour revenir à Viot justement. Cela correspond à quoi ce changement de nom ? Redevenir réel, être sincère… ou c’est juste pour être plus facile à trouver sur Internet ?!!!
Oui les chansons sont plus personnelles, je me suis dit qu’il était tant de défendre mes chansons sous mon propre nom. Et en effet, VIOT est plus simple à trouver que AV. Il n’y a qu’une marque de champagne qui me fait de la concurrence !
Tu peux nous en dire un peu plus sur ton parcours ? Tu viens de quel genre de milieu ? Comment tu as découvert la musique ? Comment ça t’a intéressé au début ? Il y avait quel genre de musique autour de toi ?
J’ai grandi en banlieue parisienne, je n’ai jamais été confronté aux inégalités et à la bourgeoisie. J’étais le seul « français de souche » dans ma classe, c’était très enrichissant. Mes parents n’écoutaient pas de musique, La seule musique que j’entendais très jeune c’était chez mes deux oncles admirateurs de Léo Ferré et Serge Gainsbourg. Mais aussi dans la chambre de mes deux grands frères qui écoutaient du hip hop et de la brit pop. Au lycée, à l’internat, le soir au lieu de réviser je me réfugiais au CDI et je lisais de la poésie. J’ai commencé par les Fleurs du mal puis Capital de la douleur de Paul Eluard. Après ça, en première j’ai rencontré une fille qui m’a fait découvrir Depeche mode, The Cure et David Bowie. J’étais resté également en contact avec mon prof de français de 3e qui m’a permis d’acquérir beaucoup de ma culture musicale via Joy Division, Lou Reed ou encore Brigitte Fontaine… Mon « éducation » s’est ensuite faite au fil des rencontres, comme avec Alice Botté qui m’a fait découvrir Suicide et les albums 90’s de Talk Talk.
Tu as une écriture assez littéraire aussi. Tu lis pas mal ? Ou tu as de beaux restes !
Je ne lis pas assez mais j’adore la poésie. Je découvre en ce moment par exemple l’œuvre d’Aimé Césaire. Il y a quelques semaines je suis tombé sur ce poème intitulé L’Echo qui m’a foudroyé…
L’écho
Bien sûr qu’il va mourir le rebelle. Oh il n’y aura pas de drapeau même noir, pas de coup de canon, pas de cérémonial. Ça sera très simple quelque chose qui de l’ordre évident ne déplacera rien, mais qui fait que les coraux au fond de la mer, les oiseaux au fond du ciel, les étoiles au fond des yeux des femmes tressailliront le temps d’une larme ou d’un battement de paupière .
J’ai lu quelque part qu’au début ce n’était pas forcément quelque chose à laquelle tu avais pensé, la musique, mais que cela s’était fait comme cela… Et que tu avais continué… On t’aurait bien vu aussi faire du cinéma…
Très longtemps, je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie, je ne le sais toujours pas d’ailleurs… Acteur, pourquoi pas, mais pas dans des films très bavards alors. Un Jim Jarmusch, un Bruno Dumont ou un Werner Herzog par exemple.
Aujourd’hui, tu as l’air vraiment investi. C’est devenu très sérieux, non ? Comment tu vis avec cela : Viot le chanteur… quand tu vas au travail, quand tu vis ta vie de tous les jours. Cela doit être étrange au début… Tu vois des chansons partout. Tu te balades avec ta dégaine de scène… Est-ce que tu ressens l’étrangeté de ta condition ?
J’exerce à côté un autre métier, je n’ai pas l’impression d’avoir une vie à part. Je pense que l’on a cette sensation quand on fait ça à plein temps. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas une journée sans que je me dise « mais qu’est ce que je fous là ? ». Sans non plus avoir la sensation d’être un escroc, mais vu mon parcours familial et le milieu d’où je viens, je me dis que je reviens de loin.
En termes de vie de tous les jours d’ailleurs, tu aimerais ne faire que ça ou ta vie actuelle avec un boulot à côté te plaît bien ? On a un peu de mal à te voir en artiste glandeur total. Tu es plutôt travailleur ou dilettante ?
Je suis très travailleur mais je supporte de moins en moins le stress parisien. Il y a quelques années je suis allé visiter le village de Jean Ferrat, ça m’a beaucoup fait fantasmer. J’ai une vraie admiration pour le milieu rural. Les agriculteurs ont le même rapport que les artistes avec les français, tout le monde les adore et les respecte mais on ne peut pas s’empêcher de les regarder de haut…
Je me fais peut-être un film mais tu donnes l’impression d’avoir cultivé ce goût de la musique en solitaire. La poésie vient souvent de là aussi. Tu étais quel genre de gosse ? D’ado ? Tu avais l’instinct grégaire ou est-ce que tu as passé du temps tout seul ?
Je suis venu à la poésie parce que j’étais très timide. Dès l’école primaire j’écrivais des lettres d’amour aux filles, c’était mon seul moyen de les atteindre.
Musicalement, quelles ont été les périodes décisives pour toi ? Tu as fait un voyage à Manchester. C’était important ou c’est juste bon pour la mythologie indé ?!!
Probablement la rencontre hasardeuse avec Asyl à Prague en 2004. Mathieu et Antoine sont devenus de véritables grands frères et m’ont présenté ensuite Alice Botté, le premier à vraiment m’encourager à écrire et chanter. Manchester, je n’y suis pas allé pour la mythologie indé, il n’en reste plus grand chose d’ailleurs, mais parce que j’avais une amie qui était en mesure de me loger là-bas. J’étais en terrain connu pour y être allé plusieurs fois avant. Le climat et l’ambiance du Lancashire étaient parfaits pour me mettre en quarantaine.
Quand est-ce que tu as eu le sentiment d’avoir fait ton choix en musique ? De dire « c’est ça qui est bien »… Tu écoutes pas mal de hip hop je crois. Du classique aussi. Comment on fait, après avoir écouté de la musique, pour dire, moi Viot, je vais faire ce genre de musique ?
J’espère que cet élan ne me prendra jamais… Sinon s’arrêterais. Mais j’aimerais m’aventurer à travers les genres : jazz, blues, folk, techno, hip hop. J’espère ne jamais faire deux fois le même album.
Il y a des chansons très amples, très ambitieuses sur l’album. Je pense à Astana qui est ma préférée. Un bijou. Mais je pourrais citer aussi Nu, Parce que c’est vous. Comment on se lance dans un morceau comme Astana de plus de 8 minutes. Il faut « savoir y aller ». Comment on se sent quand on développe un morceau comme celui-ci ?
Ça a été le morceau le plus long à faire. Le but était de faire sonner les synthés comme des instruments classiques et les cordes comme de la matière électronique. Le morceau est une vraie réussite. Je tire mon chapeau à Alex qui a arrangé le morceau, et a réalisé l’enregistrement des cordes.
Dans tes chansons, Les femmes et les filles dont tu parles sont assez désincarnées, comme si c’était des créatures mystérieuses et un peu vénéneuses. Elles ne donnent pas l’impression d’être complètement réelles. C’est très The Cure, un peu évanescent. C’est quoi ton rapport aux femmes justement ? Tu es un grand séducteur ?
Ouh là, je pourrais écrire un roman là dessus. J’ai trop peur de faire une réponse à la Julio Iglesias. Mais elles sont à la fois ma première source d’inspiration, une obsession et un danger. Mais comme je te le disais je suis très timide, je suis loin d’être un grand séducteur du coup je me mets rarement en danger. Je n’ai jamais pu par exemple accoster une fille dans un bar.
Tu n’as peut-être pas envie d’en parler mais je crois que tu avais été approché par Christophe pour un ou deux textes sur son nouvel album. Comment ça s’est passé ? Est-ce que tu veux nous parler de cette expérience ? Ca aurait représenté quoi pour toi qu’il chante tes textes ?
Oui effectivement Christophe m’a demandé des textes et ça a failli passer. L’album va probablement être sublime, c’est donc une grande déception de ne pas avoir eu de texte retenu. Mais je suis quand même très fier d’avoir été approché par un monument et un monstre du paysage musical français. De mon coté je ne suis qu’un petit poucet qui essaie de semer des cailloux de plus en plus gros. J’espère qu’il me laissera une deuxième chance. Le fait d’avoir écrit à partir de ses yaourts m’a fait beaucoup travaillé la musicalité de mes textes.
Tu as fait une cover de Dominique A qui marche bien sur scène. Tu aimes l’exercice des reprises ?
Oui, cette reprise marche bien en live. Le problème d’une reprise est qu’il faut, au moins, qu’elle égale l’originale, il faut donc être très prudent quand on s’attaque à des monuments. On peut parfois se péter la gueule.
Ceux qui t’ont vu évoluer savent que tu as pas mal changé vocalement, sur scène notamment. Cela valait la peine de laisser passer un peu de temps entre tes débuts et aujourd’hui. J’ai l’impression que tu es beaucoup plus solide vocalement, que tu t’appuies sur des certitudes plus établies. C’est un parcours « vocal » mais qui semble s’accompagner d’un travail sur le mental aussi. Tu peux nous parler de ton évolution ?
J’ai une malformation des poumons, ils ont arrêté leur croissance trop tôt, ce qui fait que j’hyperventilais très facilement. J’avais beaucoup de mal à chanter avec le ventre et j’étais par moment à la limite du malaise. Du coup je chantais avec la gorge et je finissais les concerts aphone, j’avais beaucoup de mal à enchaîner les concerts. Un jour mon amie Barbee, chanteuse de Berline, m’a conseillé une coach vocale qui donne des cours de chant un peu particuliers, « des cours de chant holistique ». Un mélange de psy, prof de yoga, hypnotiseur et prof de chant. En quatre heures de cours, elle a fait des miracles, j’ai pris confiance en moi, je n’ai plus eu aucun problème de respiration ou d’endurance, j’ai moins de crises d’asthme, j’entretiens une meilleure relation avec mes musiciens et enfin, surtout, je prends du plaisir sur scène.
On va te libérer, histoire de garder quelques questions pour la suite. Comment tu vois la période : la sortie de l’album, une tournée ? Je crois que tu as envie d’enchaîner assez vite entre le 1er et le 2ème album… C’est une période exaltante qui s’ouvre. Tu es déterminé ou tu angoisses ?
J’espère que l’album sera bien accueilli. Je crois qu’il est honnête, il a été fait avec très peu de moyens, par moment ça peut s’entendre, mais je crois que c’est ce qui le rend touchant. C’est un vrai disque de chambre, nous ne sommes jamais passés en studio à part pour le mastering, même les instruments à cordes on été enregistrés directement chez les musiciens. Je prévois de partir la deuxième moitié d’avril pour enregistrer un autre album qui sera, je pense, beaucoup plus radical. Après ça, j’enchaîne avec un concert à l’Espace B le 20 mai, ce sera un vrai test, on verra si la promo a bien marché. Je prépare déjà des surprises pour cette date avec probablement des invités sur scène.