Cela fait deux ans maintenant qu’on a croisé la route de l’Abominable Steucko, le mystérieux rappeur solitaire qui évolue autour de Nice et ses faubourgs. Steucko est secret (on ne connaît pas son visage), discret. Il chante seul mais ne dédaigne pas poser ses textes sur les instrus qu’on lui fournit. Le 28 février, il sortira son premier album officiel, 43 cachets, qui pourrait confirmer tout le bien qu’on pense de lui.
On retrouve sur UFO, le premier morceau tiré de cet album à venir, toutes les qualités qu’on avait pu apprécier sur ses précédentes livraisons clandestines, des mixtapes, quelques singles sublimes comme Disque d’Or, l’an dernier, ou encore le plus ancien et collectif Jeunes qui rappent sans merci. L’Abominable Steucko évolue dans les marges d’un rap pour jeunes en partance vers nulle part, un rap d’après la cité, d’après l’espoir, un rap empreint de mélancolie où l’on joue pour oublier qu’on ne fait que ça et parce que la poésie ne se vend pas.
Il y a dans la simplicité des approches du rappeur une authenticité qui bouleverse, une âpreté qui s’exprime dans l’absence de traitement des voix tout à fait originale et qui s’apparente aux premiers pas du garage en Grande Bretagne. On retrouve ces approches primitives et brutes chez Goune, par exemple, mais elles semblent plus dépouillées ici, débarrassées de second degré et de toute volonté de faire sourire ou de faire mal. Dans le rap de l’Abominable Steucko, c’est le flow qui prime sur les punchlines (même si on en trouve sur l’album), la cadence qui prime sur la puissance du beat, l’introspection qui sert de point d’appui à la peinture sociale. UFO évolue aux confins de l’ambient, du trip-hop et d’une drum’n’bass ralentie, comme s’il s’agissait de faire battre le coeur ou de marteler le pas ferme d’une prise de distance avec le monde.
L’Abominable Steucko exprime une sorte de culture chav, mi-prolétaire, mi-urbaine quasi absente du paysage français, sociale et contemplative, speedée et en même sans illusion. C’est l’antithèse du rap qui marche, l’anti-trap et tape à l’oeil, le rap des traîne-savate et des petits boulots contre celui des mercos et des narcos. Étrangement, on n’est pas certains d’avoir croisé un morceau si vivifiant et si triste depuis plusieurs années. UFO est le petit joyau d’un extra-terrestre d’ici, un morceau fragile, humain et abominablement juste.