The National / I Am Easy To Find
[4AD]

7.2 Note de l'auteur
7.2

The National - I Am Easy to FindComme d’autres, on avait émis, à l’occasion de la critique de Sleep Well Beast notamment, une certaine lassitude face à l’évolution de The National, groupe outsider de nos années 2000 et roi du monde depuis High Violet en 2010. The National était-il désormais un groupe chiant et incapable de nous surprendre, un de ces groupes ayant enclenché le pilotage automatique en changeant d’échelle ? C’était encore ce qu’on avait en tête à la découverte des premiers morceaux annonçant I Am Easy To Find. On n’y trouvait pas cette âpreté des premières années, cette énergie de conquérir et cette audace originelle. Les rumeurs de discorde entre les membres avaient relayé cette inquiétude. Les frères Dessner et le chanteur Matt Berninger nous semblaient glisser peu à peu dans un univers où surengagement politique, vie bourgeoise et prétentions arty ne contribuaient pas à nous rapprocher.

On s’était largement plantés. I Am Easy To Find est un très bel album, évidemment très différent de ce qui a fait qu’on a aimé The National sur Alligator ou Boxer, mais qui témoigne de la capacité du groupe à travailler ensemble et à composer de belles chansons. On entend par belles chansons à cette échelle, des chansons qui ne sont pas là pour changer la vie, la bouleverser ou s’imposer comme des hymnes (encore que la version tant attendue de Rylan serait un candidat au poste), mais qui sont suffisamment pertinentes, bien fichues et construites pour émouvoir, toucher au cœur ou tout simplement s’endormir en pensant à autre chose. Avec I Am Easy To Find, The National devient le grand groupe saturnien qu’on percevait de plus en plus nettement depuis Trouble Will Find Me, un groupe dont la rage originelle a disparu, où le rapport au corps et à l’énergie électrique s’est volatilisé mais qui exprime toujours une mélancolie et une tristesse dans son approche du quotidien qu’il exprime par un recours à un imaginaire poétique maîtrisé et domestiqué accessible par l’intelligence. Ce ne sont pas le recours récurrent à des chœurs antiques sur la fin d’Oblivions, par exemple, qui nous emmène dans cette voie. Il y a une mélancolie apaisée et presque éteinte qui s’exprime ici et que relaie la voix de Berninger tout à fait sublime. Le partage des voix avec des duettistes quasi interchangeables  joue également dans le sens d’une écriture à visée mythologique. Ce n’est pas par machisme ou sexisme qu’on ne s’étendra pas sur les femmes ici mais elles figurent majoritairement à l’arrière-plan ou sont utilisées pour être mangées toutes crues par les reprises de l’ogre baryton. Etrange conception du duo pour un groupe progressiste au demeurant mais c’est ainsi. Les femmes interviennent ici parce qu’elles ne sont pas des hommes et pour pas grand chose d’autre. Elles ne conduisent pas mais enrichissent la texture des chansons et modifient de manière décisive l’équilibre global.

Groupe saturnien

Le premier morceau, You Had Your Soul With You, est l’un des plus enlevés du disque et l’un des plus moches côté effet produit. Cela sent le sentimentalisme surjoué, malgré une production novatrice assez aventureuse « à la Radiohead », et l’envie de construire quelque chose d’épique à bas coûts.  On préfère infiniment le groupe sans tempo et morne de Quiet Light aux chansons où ça s’agite. Berninger s’ennuie ferme et apprend à maîtriser l’inaction. Il s’allonge sur son lit et impose, par son immobilisme, une vision du monde nouvelle dont la rage et la combativité ont disparu. Il y a dans ce progressif retrait du champ de bataille (intime) une élégance qui s’exprime de la même manière qu’on pouvait aborder le génie (relatif) d’un Mark Eitzel. La beauté est dans la lascivité et une forme de surplace qui en devient soyeux, érotique et confortable. C’est ce qui se produit sur Roman Holiday, une chanson pour ne rien dire mais qui passe comme une lettre à la poste. The Pull of You a de faux airs de U2. On ne croit pas tant que ça à l’intimité du sujet. Voilà une chanson d’amour qui ressemble à un discours d’investiture. C’est à la fois cocasse et en même temps suffisamment convaincant pour qu’on écoute jusqu’au bout, mais le morceau est loin d’être mémorable. Les constructions sophistiquées de The National tombent régulièrement à plat. Hey Rosey est une cathédrale boursouflée et toc, soit à peu près le contraire de I Am Easy To Find, qui, avec les mêmes intentions et des moyens similaires, accède à une certaine justesse. L’album est long, ce qui n’est souvent pas bon signe. L’interlude Her Father In The Pool sonne comme une coquetterie chorale bien inutile dont la seule fonction est de renforcer le caractère académique et sacré du propos. Cela ne fait que nourrir l’idée selon laquelle The National a fini par nous prendre de haut.

L’intellectualisation de la musique peut avoir son charme toutefois comme sur Where is her head où Berninger s’interroge magnifiquement sur l’incommunicabilité. La mise en son est exigeante mais on tient là une chanson expérimentale de grande qualité. « Is she sleeping ? What did she say ? I think i’m hittin a wall/ I hate loving you as much as i do. », chante-t’il incapable d’y voir clair. Not In Kansas est un long cycle biographique qui est aussi excitant et technique qu’un roman de Jonathan Franzen. On sent ici l’influence d’un Springsteen pour une « grande chanson américaine » qui parle du pays et du temps qui passe mais aussi de politique ou d’écologie. « Time has come now to stop being human/ time to find a new creature to be/ Be a fish or a weed or a sparrow/ For The earth has grown tired and all of your time has expired. »  Le résultat s’écoute deux ou trois fois mais finira par ennuyer à mourir comme toutes les chansons démonstratives. C’est un peu la limite de la transformation à l’œuvre chez The National : on ne peut pas toujours en appeler à la raison et à l’intelligence au point de détourner l’auditeur après quelques écoutes.

Fidélité

Il y a bien quelques raisons de se réjouir par la suite comme Rylan justement, un morceau à l’ancienne que le groupe baladait sur scène depuis des années, et qui nous rappelle comment c’était mieux hier quand The National n’était pas un groupe si cérébral. Cette seule chanson suffit à décôter ce qui précède : les So Far So Fast, Hairpin Turns de pacotille. Rylan est le portrait d’un enfant malade, autiste peut-être, et rejoint les tableaux naturalistes du premier âge. C’est l’une des vraies chansons incarnées ici. Le traitement lui-même est un peu abstrait mais c’est ce que le groupe proposera ici de plus juste avec la balade finale, Light Years, un morceau magnifique qui a de faux airs, sur son début, d’Arab Strap et exprime l’éloignement de deux personnes qui se sont aimées. The National redevient sur ces trois minutes trente le meilleur groupe du monde. Le texte est épatant et l’accompagnement porté par le piano d’un raffinement et d’une délicatesse extrêmes. Light Years sera parfaite pour terminer les concerts et sortir les briquets. Elle conclut en beauté un album déconcertant et qui a finalement plus de qualités que de défauts.

I Am Easy To Find n’est pas la déception annoncée. C’est la réponse imposante et à rallonge d’un groupe qui pousse sa maturité et sa soif d’avancer dans ses (derniers) retranchements. Le groupe a réussi à remplacer l’énergie des débuts par un mécanisme d’intellectualisation de sa manière de composer qui le préserve de l’assèchement et nous offre une poignée de titres admirables. L’ensemble n’en reste pas moins trop conceptuel pour faire de cet album un album complètement attachant ou marquant. The National ne peut plus faire mouche que par instants. Mais ces instants là valent largement le déplacement. Comme souvent en matière de pop, on peut trouver du plaisir dans l’exercice de la fidélité. On peut trouver un intérêt à s’ennuyer un brin avec de vieux amis, en sachant qu’il y aura toujours un moment qui nous rappellera ce qu’on a vécu ensemble.

Tracklist
01. You Had Your Soul With You
02. Quiet Light
03. Roman Holiday
04. Oblivions
05. The Pull of You
06. Hey Rosey
07. I Am Easy To Find
08. Her Father In The Pool
09. Where Is Her Head
10. Not In Kansas
11. So Far So Fast
12. Dust swirls In Strange Light
13. Hairpin Turns
14. Rylan
15. Underwater
16. Light Years
Écouter The National / I Am Easy To Find

Liens

Lire aussi :
The National / Laugh Track

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Mots clés de l'article
, , , ,
More from Benjamin Berton
Camp Claude chante (dirty) Old Downtown ou la malédiction divine
Histoire de différer le plaisir, on s’était retenus jusqu’ici d’évoquer le futur...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *