Il nous avait fallu un certain temps pour apprécier à sa juste valeur Yolande et l’amour, le premier disque de Yolande Bashing, le chanteur et musicien lillois, sorti en 2019. On espère que Disparaître, son deuxième album, prendra le même chemin, et révélera ses charmes au fil du temps.
On a la sensation à chaud qu’il se situe un peu en dessous des immenses attentes qu’on avait placées en lui. Rien de grave, rassurez-vous, ce disque est probablement l’une des meilleures choses chantées en français que vous écouterez ce semestre-ci et probablement en 2023. La synth pop, electro-clash poétique et millimétrée de Baptiste Legros et de son comparse Aurélien Gainetdinoff, évolue vers un peu plus de sophistication. Elle est légèrement moins lo-fi, plus portée sur les synthés et les rythmiques syncopées, galactique sur la Cité, quasi afro-beat sur Le Chat, dance ou new wave.
Le premier single Delhi nous avait un peu foutu les jetons : on y trouvait (à tort ou à raison) que Yolande Bashing y sonnait un peu comme une version expérimentale de Julien Doré, timbre de voix similaire et mélodie qui nous rappelait un peu le sinistre Coco Câline. Le texte lui-même nous avait semblé plus joueur (Dehli/délit) que vraiment intéressant. Sa présence à l’ouverture de Disparaître nous aura donné l’idée tenace que ce disque n’était pas immédiatement à la hauteur du précédent, moins/plus écrit et plus porté sur les effets de langue et les rythmes que sur les effets de sens et l’émotion.
L’impression est assez vite démentie heureusement par un CQSFDM (Ce qui se fait de mieux) quasi parfait, effondré, poétique et glorieux. « Je fais ce qui se fait de mieux dans les bars le soir« , chante Yolande Bashing, « je fais ce qui se fait de mieux en musique torchée de sortie de bar« . Le morceau est un précipité de culture chav, entre dérive éthylique en Nord et manifeste dance, triste et bravache. Yolande Bashing marie efficacité et ultra-réalisme avec une simplicité dans l’énoncé et une évidence mélodique redoutables. Les titres qui suivent ne parviennent pas à produire un effet aussi puissant que ce deuxième titre. L’Eléphant est un morceau qui reste trop hermétique pour créer de l’émotion et de l’adhésion. Le texte est gentiment surréaliste, intrigant et plein d’élégance mais ne livre finalement pas suffisamment de clés pour qu’on le comprenne et le reçoive avec l’intensité qu’on pouvait éprouver, par exemple, à l’écoute de la poésie absconse d’un (Alain) Bashung.
Yolande Bashing a cette même capacité à jouer avec les mots et à les faire sonner entre eux. En perdant en transparence et en cherchant à complexifier ses approches, poétiques et mélodiques, le fil nous échappe parfois à l’image de l’insondable Le Chat, chanson qui nous perd par sa recherche endiablée de rythme, qui nous fait danser mais nous déconcerte sur chaque séquence de trente secondes. Où Yolande Bashing veut-il en venir avec ces morceaux ? La cité est un excellent exemple de ce qui nous perturbe et nous enchante à la fois : le groupe n’a jamais sonné aussi puissant et inspiré que sur le morceau… qui, paradoxalement et passé l’introduction, va se contenter de jouer durant près de quatre minutes autour d’un « j’ai décidé de décéder sur l’Ile de la Cité… » qui finira par horripiler sur la dernière minute.
Disparaître nous donne parfois le sentiment qu’il est plus intelligent et radical que nous, ce qui n’est jamais une chose à faire. On peut se raccrocher aux branches connues sur une seconde partie d’album peut-être plus académique et lisible que la première. Le temps qui passe est magnifique même condamnée au ralenti, quelque part entre Léo Ferré, Orelsan et Ray Bornéo. Tu te répètes a de faux airs rétro pop et une allégresse new wave qui fait penser aux années 80. On retrouve ici les repères réalistes et intimistes qui faisaient merveille sur le premier disque, couplés à une livraison tubesque qui épate. Disparaître est encore meilleur, doublée par les choeurs irrésistibles d’une Accidente (aka Sévérine Cagnac) dont on ne saurait trop conseiller l’album et la reprise dingue des Sunlights des Tropiques de Gilbert Montagné.
Dans l’univers alternatif de Yolande Bashing, les genres se mélangent comme les époques. Le final du disque est somptueux et éclaire rétrospectivement le projet d’une liberté absolue et d’une vivacité qui ne nous avait pas sautées aux oreilles initialement. Cette variété électronique est à la fois incompréhensible et renversante, tantôt absurde et sidérante de beauté, horripilante, régressive ou arty, populaire et infectieuse. Solitude est l’un des plus jolis morceaux jamais écrits par l’artiste. « Oui, je suis responsable de ma propre solitude« , chante Yolande Bashing, comme s’il composait une symphonie contemporaine et électronique à la gloire de Jean-Luc Le Ténia.
DIY jusqu’au bout des orteils mais aussi spacerock et psychobilly, floydien et galactique comme un Bounty futuriste et divin, Disparaître est une énigme, une énigme imparfaite à laquelle on devrait se confronter de longs mois et de longues années.