Eko & Vinda Folio / Therapy
[Talitres]

7.4 Note de l'auteur
7.4

Eko & Vinda Folio - TherapyIl faut un peu d’imagination pour se confronter au premier album des Géorgiens de Eko & Vinda Folio. Imaginer qu’on connaît Tbilissi et qu’on en a appris suffisamment pour comprendre ce que le duo raconte. Imaginer peut-être aussi que le groupe révélé au label Talitres qui les accueille par l’entremisse de Vlad Parshin, le leader de Motorama, ne vient pas prolonger à quelques années de distance l’œuvre du grand groupe de Rostov Sur le Don. Et la chose n’est pas simple : il faut un certain temps pour expliquer à notre oreille que Eko & Vinda Folio est un groupe original et pas un side project romantique et un brin plus léger en basse de Motorama lui-même.

Les deux membres du duo Eko & Vinda Folio, Erekle Deisadze (au chant) et Temo Ezugbaia (guitare et chant), travaillent ensemble depuis 2012. Ils font partie de la jeunesse éclairée et protestataire du pays aux quatre millions d’habitants, agité depuis des décennies par des divisions intérieures et par la proximité avec son voisin russe envahissant. Véritable creuset culturel entre Asie, monde Russe et Europe Occidentale, la culture géorgienne est désormais dominée par une jeunesse anglophone, ce qui n’empêche pas nos deux musiciens de s’exprimer ici en géorgien, langue kartvélienne pas piquée des hannetons et qui est caractérisée par sa subtilité et sa complexité grammaticale mais aussi par son mélodisme mélancolique. Le premier album de Eko and Vinda Folio a mis quelques années à se concrétiser. On rendait compte il y a trois ans d’un premier single qui donnait le ton et n’aurait pas dépareillé sur l’album. Therapy démarre avec des arpèges de guitare « à la Motorama ». Les titres des chansons sont en anglais et dessinent un territoire où les émotions sont reines, un territoire abstrait et confus où on essaie de rassembler ses effets et de réfléchir au temps qui passe. Emotionaly Captive, Lucid Thoughts, Out There, Ramble Around. C’est à peu près tout ce qu’on saura ou comprendra de ce qu’exprime la belle voix de basse de Erekle Deisadze. La langue géorgienne a une élégance toute latine (qu’elle n’est pas) dans le phrasé et la souplesse mais est parfois rattrapée par des accents assez gutturaux qui freinent l’enchaînement des harmonies. La musique est, comme chez Motorama, en mode clair-obscur, posée dans un environnement urbain désolé où une fenêtre est restée ouverte sur les grands espaces et permet de respirer les paysages lointains. La tonalité est new-wave, pop mais nettement moins sombre et sépulcrale que chez les voisins russes. Endlessly est une balade qu’on pourrait qualifier de gentiment populaire. Le refrain est enjoué, le ton badin comme s’il s’agissait d’entreprendre une grande balade avec l’être aimé et de s’enfoncer dans la romance à jamais. Cette idée d’une déambulation sentimentale est sublimée par le motif de guitare qui ouvre le somptueux Ramble Around, l’une des plus jolies chansons du disque. Eko and Vinda Folio donnent parfois l’impression de reprendre des standards de la variété italienne, tant leur musique exprime la douceur et la délicatesse des premières attentions. Le chant est discret, secondaire et d’autant plus situé à l’arrière-plan qu’on n’en comprend rien. Les refrains, au lieu d’occuper le centre des morceaux, semblent taillés pour ramener l’intérêt vers les transitions mélodiques et les séquences instrumentales.

La musique de Eko & Vinda Folio trouve son équilibre et son sens profond dans la prise d’espace, entre les notes et entre les musiciens. C’est ce temps qui s’écoule entre les reprises, les attaques et les respirations du chanteur, qui met la musique en mouvement et constitue la vraie originalité du disque. Therapy agit comme un baume apaisant, en appliquant un faux rythme langoureux sur nos blessures sentimentales. Out There est un exercice d’apesanteur que prolonge la répétition de Nisliani. Notre oreille tente de distinguer les titres les uns des autres et n’y parvient pas toujours. Cela atténue la force du disque et brouille évidemment notre perception. L’album sonne parfois comme une longue pièce atmosphérique d’un seul tenant qu’agitent de subtiles variations du même à l’identique. On n’est pas certain de ce qu’apporte Emotionally Captive, ce qui ne nous empêche pas de fondre pour la beauté tranquille et l’évidence charmante de Me As A Sound. La fin sonne comme les reprises de New Order par Peter Hook, vacillantes et sur le fil, et permet de toucher du doigt ce qui manque encore au duo pour se hisser au niveau des Mancuniens : un brin d’allant dans les entames, d’esprit de décision et de lisibilité sur les transitions, de caractère pour laisser filer l’émotion et l’aider à grimper aux rideaux. Lucid Thoughts est trop en retenue pour emballer mais He Was All of Them est solide sur ses bases, évoquant par la simplicité abrupte de ses arrangements les tonalités du Grec Vagina Lips. Holding A Brick II offre au disque un final plus électro et cold wave qui ouvre un horizon, plus électrique et remuant pour le groupe.

 Eko and Vinda Folio pourraient évoluer vers plus de vigueur et de tranchant. Therapy n’en reste pas moins un très bel album de rentrée, tendre et évocateur, poétique et qui invite au voyage. On aurait aimé plus de variété et d’engagement, tout en sachant que cette mélancolie ne tient que dans la répétition et repose sur sa capacité à se jouer et déjouer dans un mouchoir de poche. Notre cœur est géorgien. Il est petit et a peur de son ombre. Cet album procure les bienfaits d’un séjour en sanatorium ou de la lecture de Thomas Mann, ce qui revient au même.

Tracklist
01. Therapy
02. Endlessly
03. Ramble Around
04. Out There
05. Nisliani
06. Emotionnally Captive
07. Me As A Sound
08. Lucid Thoughts
09. He Was All of Them
10. Holding A Brick II
Écouter Eko & Vinda Folio - Therapy

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