Quatre titres. Quatre chansons. C’est ce qu’il nous aura fallu pour replacer Dominique A parmi les artistes qu’on aime de manière inconditionnelle. On a fait la fine bouche et on a fait preuve de scepticisme. On a douté et on s’est agacé au fil des ans. On a rechigné devant Vers les lueurs, trop beau, trop haut. On a dégoisé sur Eléor, trop sentimental et ampoulé. On a renié trois fois l’homme dans la même soirée, dans notre chambre, en concert et lors d’une soirée entre amis. Et pourtant… il faut se rendre à l’évidence : on a jamais vraiment cessé de considérer Dominique A comme autre chose qu’un des artistes les plus importants de notre génération, des plus proches de ce qu’on ressentait, comme un frère et un abri de tempête. On a jamais cessé de l’aimer absolument.
Les quatre chansons qui composent cet EP du confinement, Le silence ou tout comme, rappellent à quel point Dominique A est non seulement génial mais indispensable. Les quatre titres sont d’une beauté irradiante, bouleversants et proches de la perfection. On a déjà fait l’article pour Papiers Froissés. Et on pourrait le répéter pour les trois autres. Dominique A, dans le plus simple appareil, est le plus bel homme qu’on connaît. Le plus intelligent et le plus admirable. Il s’habille d’un rien et chante comme un écorché vif. A la même place est une pièce proto-électro minimaliste qui rappelle l’époque de Si Je Connais Harry en moins drôle. On pense aux expérimentations de Malcolm Middleton dont Dominique A sonne parfois comme un double mélancolique et bas du souffle. Le chant est malhabile mais surfe sans tomber sur une simple pulsation électronique que remuent, comme un vieux linge, trois notes de synthé. « Ils attendaient dans la voiture/ Ils semblaient vieux depuis longtemps/ S’ils se parlaient on est pas sûrs/ Ils regardaient droit devant/ Face au fleuve d’eau à l’océan./ Toujours à la même place »
Dominique A chante sur ce disque le dérangement qui vient remettre le monde en cause. Les certitudes tombent une à une et l’étrangeté devant l’effondrement l’emporte sur la certitude enracinée depuis des décennies que rien ne changera. Est-ce que les choses bougent pendant qu’on ne bouge plus ? Que se passe-t-il en dehors des murs de la maison ou de l’appartement ? Est-ce que ce qui semblait immuable et ennuyeux peut perdurer ? Est-ce que le manque de ces choses qu’on trouvait de peu d’intérêt leur amène de la valeur ? Dominique A n’a pas plus les réponses que nous mais il a les questions. Vie Étrange est un hommage d’équilibriste, élégant et économe, au chanteur Christophe. Le silence domine le morceau, entrecoupé de respirations lugubres et synthétiques qui rappellent la beauté funéraire du Stigmata de Martin Rev. Dominique A chante comme il pleure, tandis que l’orgue scande la soumaque. La lamentation se chante en plainte à mi-morceau comme si les mots bleus étaient engloutis et prenaient leur distance avec le monde. C’est la disparition du chanteur référence que Dominique A met en scène ici en terminant par une dernière minute sans voix et sans parole. Le texte prend congé et laisse place au bourdonnement généreux de la mort.
Le EP se referme, comme souvent chez le Français, sur l’éclaircie du solaire Un Endroit Merveilleux. Le tempo est éteint mais feutré cette fois, le chant caressant et tendu vers le moment suivant. On pense à la pureté sacrée de Vers les lueurs mais en plus simple et intense. Le dispositif minimal permet à Dominique A de respirer et d’ouvrir l’espace vers demain. La musique sert le propos et offre à cet EP une voie dégagement quasi religieuse, fortifiante et splendide.
En quatre pièces, Dominique A fait des miracles, transformant un temps d’angoisse et d’inquiétude en un mouvement de bienveillance et de chaleur humaine réconfortant. Face à la mort ou face à la vie, la simplicité fait mouche au service d’une posture aussi majestueuse qu’héroïque. Grâce à lui, on peut (re)vivre tranquille. Le Bien est fait.
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