Chris Conde / Engulfed in the Marvelous Decay
[Fake Four Inc]

9 Note de l'auteur
9

Chris Conde - Engulfed in the Marvelous DecayA l’image de sa pochette magnifique, Engulfed in the Marvellous Decay ouvre pour le rappeur Chris Conde une sorte de période bleue, aussi soignée, sophistiquée et nuancée que la précédente était sombre et radicale. Révélé par un premier album à l’impact dévastateur et taillé dans la souffrance et la rédemption d’un parcours torturé, le chanteur queer XXL n’embrasse pas pour autant une carrière mainstream mais varie les tempos pour un disque qui s’imprègne du savoir-faire et des variations de rythmes de sa maison hôte, le label Fake Four Inc. Il invite et retrouve d’ailleurs l’un des frères fondateurs du label pour un Summer of Our Discontent qui constitue l’une des plus belles réussites du disque.

S’il y a un monde (expérimental) et  un vrai fossé artistique entre son précédent EP Conde Digital et ce nouvel album, le pont est fait avec l’exceptionnel Mariposa, dont on avait parlé il y a quelques mois et qui fait la jonction entre le Conde libéré et assumé du disque et le Conde rédempteur et vengeur du passé. Côté textes, le LP est engagé et appliqué à réclamer (quitte à aller les chercher) considération et liberté pour les freaks et les marginaux. Conde allume les censeurs moraux et idéologiques sur le beau Cancel Culture Blues aux beats dark et vibrionnants. « Fais gaffe à ce qu’ils ne t’annulent pas« , menace-t-il dans un refrain sombre à ceux qui seraient tentés par cette culture de la censure et de l’éradication. Le ton rappelle les angoisses prophétiques d’un Deltron au sommet de sa vision anticipatrice ou d’un Moodie Black, dont K Death assure d’ailleurs la production. Le Texan embraie sur un American Faggot tout aussi sophistiqué et imposant. Conde confirme qu’il est le fils indigne que l’Amérique ne veut pas voir. Les beats sont électroniquement riches et complexes mais grésillent en permanence du sceau de l’impureté et de la radiation des cadres, conférant à l’ensemble un sentiment de clandestinité et de marginalité excitants. La surprise vient pourtant d’une série de tracks lumineuses et splendides qui mettent en scène un Conde au flow mielleux et suave. C’est le cas du remarquable Everyday dont la texture rappelle la matière jazzy et trip-hop d’un King Krule. Chris Conde qui nous avait habitué à un flow rapide et incisif s’y trouve adouci et, à son échelle, en mode crooner. Cela fonctionne au-delà des espérances et permet au Texan de réaliser son vieux rêve de proposer une musique engagée, combative et en même temps potentiellement populaire et quasi mainstream.

Tout l’album bénéficie de cette recherche et de cette variété. Conde signe avec Sammu’s Interlude un interlude impeccable avant d’aller chercher avec Re-Emerge, la chanson la plus émouvante et éblouissante du disque. La prod est signée Mid-Air! et offre à Conde un écrin pour diva déviante aux sonorités West Coast irrésistibles. On se pince devant tant de délicatesse et de précision, tant de sérénité dans l’expression et de cool attitude. Le disque se fait planant et voyageur (Okinawa), pop (Summer of Our Discontent, magnifique) sans perdre de son caractère offensant (Seat at The Table).  La musicalité des instrus permet à Conde de prendre le temps de poser son texte et de développer ses talents de conteur, bien au delà de ce qu’il avait pu faire sur son premier album Growing Up Gay. On découvre ainsi un artiste à la palette bien plus large que ce qu’on avait entrevu jusqu’ici et dont le placement instinctif lui permet d’être à l’aise sous toutes les latitudes. On pense à la souplesse et à l’agilité d’un Del The Funky Homosapien sur Leaves avant que Conde ne retrouve son flow, joueur et au débit de mitraillette, à la Eminem sur un Climb somptueux et nimbé de soul.

Si Engulfed in The Marvelous Decay n’est clairement pas aussi abrasif que ce que Conde avait signé jusqu’ici, le disque est une remarquable réussite qui marque la progression géométrique de l’homme et du rappeur. En se mettant à distance de son histoire torturée, Conde lui donne un tour universel et une portée extraordinaires. Sa musique y gagne en élégance, en émotion et en complexité. Coffin Apartement sent bon la Motown et la musique pour charts à l’ancienne. Il n’est pas dit que Conde prospère ou soit accueilli à bras ouverts sur ce territoire mais il montre ici qu’il peut (avec son poids, sa folie) s’inviter là où bon lui semble.

Ce gars-là peut pousser la chansonnette devant votre grand-mère ou la famille réunie pour la fête de l’école, comme il peut s’exhiber avec un string en cuir dans un bar pour gays délurés. Ce n’est pas donné à tout le monde mais Conde est le talent le plus brut, brutal et incroyable, que le rap US ait enfanté ces dix dernières années.

Tracklist
01. Light repeating
02. Mariposa
03. Cancel Culture Blues
04. American Faggot
05. Everyday
06. Sammu’s Interlude
07. Re-emerge
08. Okinawa
09. The Summer of Our Discontent (feat. Ceschi)
10. Seat At The Table
11. Leaves (feat Rodleen Getsic)
12. Climb
13. Coffin Apartment (remix)
14. Sun
Liens

Lire aussi :
Chris Conde est The Notorious Fag

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