Andy Shauf / The Neon Skyline
[ANTI-]

7.7 Note de l'auteur
7.7

Andy Shauf - The Neon SkylineC’est l’histoire d’un type qui passe la soirée dans un bar, baptisé le Neon Skyline. Il est entouré de quelques personnages familiers : son copain et une barmaid notamment. La soirée est arrosée d’alcool et de réflexions sur sa récente rupture. Le gars (qui ne semble pas avoir de prénom) est triste et un peu paumé, perdu dans la culpabilité d’avoir laissé filer cette Judy qu’il aimait tant et qui a quitté la ville. Et puis Judith débarque et le gars ne sait pas vraiment quoi faire. Est-ce que les choses peuvent redevenir comme avant ou est-ce que tout est définitivement cuit ?

Le script du dernier album concept d’Andy Shauf fait penser aux films de Woody Allen des années 80. C’est une réflexion solitaire sur le couple et l’amour, un aimable badinage qui parlera sûrement au « cœur de cible » du Canadien, une certaine jeunesse cultivée et urbaine, qui a l’habitude de traîner ses peines de cœur entre bars branchés, music lounge et confidences amicales pour oreilles attentives. The Party avait une amplitude dans les arrangements et une magie que The Neon Skyline ne réussit pas tout à fait à reproduire, une forme d’allégresse sui generis qui rendait euphorique et donnait le sentiment d’assister soi-même à la soirée entre amis. The Neon Skyline n’en reste pas moins assez virtuose et bluffant. La mise en place est certes moins immersive que sur l’album précédent. Les chansons sont menées à la guitare et pas au piano, ce qui change tout et enlève à la musique du Canadien une bonne part de son originalité. La clarinette qui est l’instrument favori de Shauf est omniprésente et reste un instrument un peu étrange dans ce contexte mais elle reste parfaite (voir Pierre et Le Loup) pour introduire une narration, ce qui est fait superbement sur Thirteen Hours.

The Neon Skyline est une miniature d’une précision savoureuse et d’une sensibilité extraordinaire. D’aucuns considéreront, à juste titre, qu’on se situe un ou deux crans en dessous en termes de profondeur d’analyse que chez, disons, Belle And Sebastian. Mais il y a une légèreté dans le propos et une facilité dans l’écriture pop qui touchent au cœur. Shauf est atrocement bavard mais c’est un plaisir de l’entendre chanter ainsi, sa tristesse relative et ses questionnements tarte à la crème. Est-ce que l’amour nous manque ? Est-ce qu’il est froid ou chaud ? Est-ce qu’on a tort d’être soi-même ? Que se passe-t-il quand l’autre n’est plus là ? Est-ce que les souvenirs restent ? Quelle forme a l’absence ? Clove Cigarette est une chanson magique. On est  suspendu aux lèvres du chanteur, tenu par le suspense de ce qui viendra après. Thirteen Hours, à l’inverse, sonne superficielle et ennuyeuse. Shauf ne réussit pas toujours à transcender une matière première assez convenue et mainstream. Cela donne parfois au disque l’impression qu’il n’avance pas ou qu’il ne va pas au bout des choses.  Things I Do est une belle chanson qui rappelle Randy Newman pour l’écriture et Paul Simon pour le grain de voix, chaleureux et bienveillant, le refrain efficace. Mais cela ne fonctionne pas. L’introspection est une exploration de surface qui se heurte à une forme de désinvolture renforcée par la musique elle-même.

La seconde moitié du disque sonne plus juste avec le très beau Living Room et l’impeccable Dust Kids. Andy Shauf est bien meilleur finalement quand il s’affranchit un peu de son dispositif narratif. La chanson est triste et parfaitement équilibrée. Il s’en dégage une belle justesse et le sentiment que le chanteur a enfin mis des mots sur l’insaisissable émotion autour de laquelle il tournait depuis le début. The Neon Skyline fonctionne mieux quand les descriptions sont précises et quand Shauf met la pédale douce sur les explications. The Moon repose sur deux accords de guitare rachitiques et fonctionne à merveille.  Le narrateur et Judy sont dans la rue. Le chanteur envisage un instant renouer avec son ex qui se défile quand il tente de lui prendre la main. The Moon est pleine de nuances et de demi-tons. Le jeu des deux mains est l’instant clé qui « retourne » l’album comme une vieille chaussette. C’est un véritable petit miracle qui ouvre sur une séquence de chansons remarquables, comme si en se délestant de cette histoire pleine de pathos (et un peu emmerdante), Shauf avait récupéré le ton qui nous avait tant plu sur son album précédent. Try Again est emplie de rires et de joies. On sent la vie qui reprend et c’est un bonheur absolu, clair et lumineux. « Come on baby, try again ! », répète-t-il en guise de sésame vers une évidence pop retrouvée. Fire Truck est impeccable, maîtrisé de bout en bout et Changer tout aussi allègre et anecdotique. Shauf excelle dans cette manière tout en touché de suggérer et de glisser au-dessus du réel. Il a la superficialité généreuse et le don de laisser le regard sur les choses comme s’il les caressait.

The Neon Skyline ne fonctionne pas aussi bien que The Party. On y sent Andy Shauf corseté et prisonnier d’un concept, finalement, assez limité et un peu forcé sur son démarrage, coincé dans un dispositif bourgeois et faussement intelligent. Mais il y a suffisamment d’instants de grâce et de poésie ici pour qu’on ne s’en aperçoive qu’à peine. The Neon Skyline file comme une soirée entre amis. C’est un album réconfortant et qui enivre un peu, un album qui est radicalement amical et procure une chaleur humaine qu’on avait plus l’habitude de chercher en lisant qu’en écoutant de la musique. C’est peut-être là sa véritable originalité et son mini-coup de génie : être un album un peu triste mais qui redonne la pêche, un album de renaissance et de lutte contre la mélancolie. Les musiques qui ont ce pouvoir sont rares. Andy Shauf est rare et cher. Vous connaissez l’histoire du cheval qui va avec… C’est bien, mais pas mieux.

Tracklist
01. Neon Skyline
02. Where Are You Judy
03. Clove Cigarette
04. Thirteen Hours
05. Things I Do
06. Living Room
07. Dust Kids
08. The Moon
09. Try Again
10. Fire Truck
11. Changer
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